Après un verdict défavorable de la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire française, qui avait jugé en 2006 que Bernard Tapie n’avait droit à aucun dédommagement dans l’affaire Adidas/Crédit lyonnais, la justice a été dessaisie au profit d’un "tribunal arbitral" qui lui a accordé une somme record – elle devrait atteindre les 400 millions d’euros. Difficile de ne pas y voir la récompense de son ralliement à Sarkozy durant la campagne présidentielle.

 


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Thierry Philippon, rédacteur en chef du service Économie au Nouvel Observateur, auteur d’un magistral article sur le sujet, ne mâche pas ses mots : Un scandale d’État est son titre ! "Première surprise : c’est une indemnité énorme, qu’aucune décision de justice ne lui avait jamais donnée. C’est même le triple de la somme la plus favorable accordée par un jugement en cour d’appel il y a trois ans. Deuxième surprise : ce verdict prend le contre-pied de la décision d’octobre 2006 de la Cour de Cassation. Celle-ci avait en effet conclu, en assemblée plénière, que Tapie n’avait droit à aucun dédommagement ! Comment est-il possible que la plus haute juridiction du pays soit ainsi déjugée ? Tout simplement parce que cet arbitrage doit peu au droit et beaucoup à la politique. Ce « tribunal arbitral » n’est pas un vrai tribunal. Ce n’est pas une juridiction officielle, mais une instance privée, choisie par le gouvernement et Tapie à l’automne dernier. (…)« On a dessaisi la justice de la République au profit d’une justice privée », fulmine un haut fonctionnaire. Cette sentence ne doit, en théorie, pas être rendue publique. Et en plus elle n’est pas susceptible d’appel, sauf si on peut démontrer que les arbitres du « tribunal » n’ont pas respecté leur mandat ! Pour l’instant, Christine Lagarde semble s’en satisfaire. François Bayrou, le leader du MoDem, crie au scandale : « À l’encontre de toutes les règles qui veulent que l’État ne puisse s’en remettre qu’à des décisions de justice, on a mis en place un dispositif qui va permettre à Tapie de toucher des centaines de millions d’euros sur le dos des contribuables. » Exact. Mais ce n’est que le dernier acte d’une série de coups de pouce de l’État en faveur de Tapie au détriment de finances publiques pourtant exsangues." Lire la suite ici.

Le pertinent point de vue de Philippon est résumé dans le Trois questions à intitulé "L’État n’avait aucun intérêt à confier le dossier à des juges privés". Extraits : "Ce tribunal a en fait décidé de verser non pas 285 mais 400 millions d’euros à Bernard Tapie, en y ajoutant les intérêts financiers cumulés depuis le début de la procédure en 1994. (…) la Cour d’appel en 2005 avait accordé 125 millions d’euros à Bernard Tapie. Puis la Cour de cassation a annulé cet arrêt en 2006. Dans les deux cas, Bernard Tapie ne pouvait éviter sa faillite. Il est donc surprenant que l’État ait abandonné une position favorable, après la décision de la Cour de cassation, pour confier le dossier à des juges privés qui ont accordé 400 millions d’euros. Ce qui correspond à un montant trois fois plus important que celui établi par la Cour d’appel. L’État, donc le contribuable, n’y avait aucun intérêt. (…) Est-ce un tribunal ? Non. C’est une instance privée composée de trois membres dont la moyenne d’âge est de 80 ans. Elle a été nommée d’un commun accord entre les liquidateurs du groupe de Bernard Tapie et les représentants de l’État, c’est-à-dire le gouvernement de Nicolas Sarkozy, à l’autonome 2007. Pourquoi le gouvernement a-t-il besoin de dessaisir la justice de la République qui devait statuer définitivement sur cette affaire, pour la confier à trois juges privés, rémunérés, en plus, à hauteur d’un million d’euros ? (..) Lors de l’élection présidentielle, Bernard Tapie, autrefois à gauche, a appelé à voter pour Nicolas Sarkozy. Quelques mois plus tard, le gouvernement a décidé de confier cette affaire à une instance privée, qui sauvera Bernard Tapie de la faillite. Quelle coïncidence !"

bayrouFrançois Bayrou, président du Modem, n’utilise pas l’euphémisme de "coïncidence" mais accuse clairement : "Chaque fois que Nicolas Sarkozy a été soit au ministère des Finances, soit à la présidence de la République, comme par hasard des protections se sont déclenchées à l’endroit de Bernard Tapie. La situation ainsi créée envoie un message très simple : si vous êtes avec moi, vous êtes protégé et vous n’aurez qu’à vous féliciter des libéralités dont vous ferez l’objet par l’Etat, si vous êtes contre moi, à ce moment là, on vous casse." À la question de savoir pourquoi la justice a été dessaisie, Bayrou répond : "pour éviter la décision de justice dont on savait qu’elle serait défavorable à Bernard Tapie".

Le gouvernement, dont on sait qu’il ne bouge pas un petit doigt sans l’aval présidentiel, vient donc d’octroyer à Tapie une somme faramineuse, directement volée dans les poches du contribuable, malgré le contexte de rigueur budgétaire officiellement imposé : des économies, d’accord, mais très sélectives… Par le fait du prince, Sarkozy dépouille les migaudFrançais pour donner à son ami ! Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, le député socialiste Didier Migaud, a décidé d’organiser une série d’auditions sur l’affaire en septembre. On applaudit, même si l’on doute fort qu’en surgisse la lumière : le précédent d’EADS ne plaide pas en faveur de cette hypothèse. On se souvient en effet qu’Arnaud Lagardère avait refusé de répondre aux parlementaires, interrogé sur la nature de l’aide que lui avait apportée le président de la République, alors ministre de l’Économie ! Asservissant l’État au profit d’intérêts privés, le souverain de cette monarchie bananière fait bien ce qu’il veut, sans rendre de comptes à quiconque. L’affaire Tapie, qui vient d’en donner une nouvelle illustration, est particulièrement scandaleuse : Sarkozy se lamente que les caisses sont vides, mais il dilapide les deniers de l’État pour tout sauf l’intérêt général (22,4 millions d’euros pour le budget communication de l’Élysée et 190 pour la présidence de l’UE) ! Ajoutons donc le cadeau offert à Tapie. Le mot de la fin à François Bayrou, qui se base sur le montant octroyé sans les intérêts pour calculer : "le contribuable français, l’État, va payer 285 millions d’euros" soit "la totalité de tous les salaires annuels des 15 000 postes d’enseignants qui vont être supprimés l’an prochain". Sans commentaire.

Mise à jour : une fois de plus, le Canard enchaîné est sur le coup.

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