Tout avait si bien commencé ! Au terme de son intervention télévisée dans l’émission spéciale baptisée Face à la crise, Nicolas Sarkozy, fidèle à sa fatuité* coutumière, était bien content de lui : "J’ai convaincu la moitié des Français, c’est déjà pas si mal par les temps qui courent", se serait réjoui le président, cité par Le canard enchaîné de cette semaine. Malgré le fait qu’il ait multiplié les mensonges – il faudra bien que nous consacrions un billet à déconstruire son discours manipulateur -, il se serait donc montré persuasif. Sur quoi s’appuyait-il pour l’affirmer ? Sur un sondage, publié par la Pravda sarkoziste (Le Figaro) et réalisé par l’institut dont la devise est : "L’UMP en rêvait, OpinionWay l’a fait". Son résultat : 53% de convaincus contre 46. Ainsi le quotidien du milliardaire marchand d’armes (avec l’armée française comme principal client !) et sénateur-maire du parti majoritaire Serge Dassault pouvait-il titrer : « Face à la crise » : Sarkozy a convaincu. Las, le lendemain sortait un autre sondage, rélisé par CSA pour Le Parisien/Aujourd’hui en France, qui donnait le résultat quasiment inverse : 36% seulement de convaincus contre 52%. Crise de nerf à l’Elysée ! "Si ce n’est pas de la malhonnêteté, alors, rien n’est malhonnête", ironise le président de la République (…). Nicolas Sarkozy évoque un sondage, et la une d’un quotidien affirmant qu’à 52%, les Français n’ont pas été convaincus par sa prestation télévisée", rapporte dans le Journal du dimanche Claude Askolovitch – l’homme qui se définissait jadis, quand il officiait au Nouvel Observateur, comme un "social-démocrate en peau de lapin", mais qui n’a pas hésité depuis à virer sarkoziste, son retournement de veste récompensé par un transfert au JDD et à Europe 1 et illustré par cet article au titre impérissable : Sarkozy en maître du monde (si, si, on vous jure qu’il l’a écrit !). Pourquoi donc ce sondage donnant 52% de Français non convaincus serait-il le comble de la couvmalhonnêteté ? "Si on prend les gens qui ont regardé toute l’émission, ils ont été convaincus à 55%, et le journal ne le dit pas !", s’offusque l’agité de l’Elysée. C’est donc ça. L’échantillon interrogé comprend en effet, outre les téléspectateurs qui ont vu l’émission en totalité, ceux qui l’ont vue en partie et ceux qui en ont entendu parler. Mais on ne saurait se cantonner à ceux qui ont subi l’émission entière ! Tout simplement parce que ceux-là sont plutôt des sympathisants de Sarkozy, ses opposants ayant forcément vite déserté, tant il est insuppotable de le voir répandre ses mensonges sans contradiction, quand ils n’ont pas tout bonnement boycotté le Sarkoshow, comme un mot d’ordre les y invitait. Ce qu’explique sur Le Post le directeur-adjoint de la rédaction et chef du service politique du Parisien-Aujourd’hui en France, Dominique de Montvallon : "La méthodologie utilisée pour ce sondage n’a pas été inventée pour l’occasion ! C’est celle qu’utilise le CSA et que nous relayons depuis 1992. Seules les personnes qui n’ont pas entendu parler de l’émission sont écartées de cette pondération. Nous avions employé la même méthodologie après le discours de Nicolas Sarkozy à Toulon, le 25 septembre 2008. À l’époque, cela n’avait pas posé problème. Depuis 1992, onze grandes émissions ont été ainsi testées. Il s’agissait pour nous de vérifier l’impact d’une intervention présidentielle" dans l’opinion publique. Ces arguments n’arrêtent pas les UMPistes et le grotesque Frédéric Lefebvre, porte-parole du parti de son état, annonce le 8 février dernier qu’il va saisir la commission des sondages. Mais aujourd’hui, tout le monde s’en contrefiche (si toutefois l’affaire avait jamais eu une quelconque importance) ! Pourquoi ? C’est qu’une avalanche de sondages calamiteux s’est abattue depuis sur la tête de Sarkozy, qui ne laissent aucun doute : non, il n’a pas été convaincant et il est plus que jamais impopulaire : 10 points de perdus à 61% de Français défavorables à son action (contre 36) d’après Ipsos pour Le Point, 66% d’insatisfaits de ses réponses à la crise (contre 31) d’après Viavoice pour Libération, 58% qui jugent que Nicolas Sarkozy "parle beaucoup mais ne fait pas grand-chose" d’après Sofres-Logica pour le Nouvel Observateur : un véritable assassinat !

couvIl faut donc se résoudre à l’évidence. C’est là qu’intervient Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, qui tente dans Le Parisien-Aujourd’hui en France d’hier une diversion : l’impopularité de Sarkozy est due à la crise (ben voyons, elle a vraiment bon dos !) et serait partagée par les autres dirigeants européens. Et Bertrand de citer un exemple : "Angela Merkel perd 17 points". On se demande bien où il est allé chercher ce chiifre ! "La chancelière allemande caracole à plus de 65 %… et en hausse", rectifie le quotidien. Le mensonge et la manipulation sont décidément bien une seconde nature en Sarkozie. Ne nous attendons pas en tout cas à voir Bertrand démenti dans les colonnes de L’Aisne Nouvelle, le journal de la région de Saint-Quentin, dont le secrétaire général de l’UMP est originaire (et où il est adjoint au maire) : comme nous l’apprend Rue89, un nouveau rédacteur en chef adjoint vient d’être nommé au sein de la rédaction de ce titre appartenant au groupe Hersant : Erick Leskiw, qui "travaille […] de façon permanente et officielle pour le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand. Erick Leskiw collabore également en tant que photographe pour le bulletin interne de la municipalité de Saint-Quentin", accusent les journalistes du titre. Face à cette attaque, comment Erick l’esquive ? "Je fais ça pour Xavier, mais à titre personnel. Xavier Bertrand est un ami depuis vingt ans, je le connais bien. Comme tous les journalistes (sic), je fais des ménages. Par exemple, j’écris des livres pour des entreprises. Mais ce courrier est totalement diffamatoire : je n’ai jamais été payé par l’UMP ni par la mairie de Saint-Quentin, et je n’ai jamais fait de photos sur commande de Xavier. Il m’en a déjà racheté, c’est tout. Combien ? Je ne sais plus, il faudrait que je regarde. Mais maintenant que je suis rédacteur en chef adjoint, je vais devoir arrêter, faute de temps. Et aussi par déontologie." Si c’est par déontologie, alors…

Le journal à la botte de Bertrand

"Si l’on en croit certains Saint-Quentinois, la nomination d’Erick Leskiw à la rédaction en chef du journal n’est que l’aboutissement d’un asservissement progressif du titre à la vspersonne et aux intérêts de la gloire politique locale, poursuit Rue89. En septembre, un conseiller municipal UMP, Vincent Savelli, a donné une interview à L’Express qui publiait un dossier sur "le système Bertrand". Une interview plutôt libre de ton, comme il le raconte à Rue89  : "Je me suis permis d’employer le terme de “girouette politique”, d’évoquer son remarquable don d’adaptation à géométrie variable… Je disais que je n’ai jamais senti de conviction chez lui, et que je pense qu’en politique, il faut avoir des convictions." Ce "gaulliste convaincu", qui a quitté l’UMP "le jour où Bertrand en est devenu secrétaire général", résume ainsi son interview à L’Express, mais aussi celle qu’il a accordée à L’Aisne Nouvelle, dont un journaliste l’avait sollicité après la parution de l’hebdo. Mais cette seconde interview n’est jamais parue : "Le journaliste m’a interviewé pendant une heure trente. Deux jours après, il m’a appelé pour me dire que l’interview ne paraîtrait pas, car la direction du journal s’y était opposée." Directrice déléguée de L’Aisne Nouvelle, Claudine Desplanques n’a "jamais entendu parler" d’une telle censure. Elle aussi s’insurge contre la "diffamation" : "Si j’ai nommé Erick Leskiw à ce poste, c’est uniquement pour ses qualités professionnelles." Qui en douterait ?

 

*Définition de "fatuité" dans Le nouveau petit Robert 2008 : "satisfaction de soi-même qui s’étale d’une manière insolente, déplaisante ou ridicule". Et pour Sarkozy ? Les trois, mon général !