Selon le quotidien britannique The Independent, la France, ou plutôt le seul Nicolas Sarkozy insisterait pour que la guerre en Lybie se poursuive, coûte que coûte (aux contribuables), et en dépit d’un protocole de paix qui prévoirait le départ de Mouammar Kadhafi. Pas question qu’il parte autrement que les pieds devant, et fut-ce au prix de femmes et d’enfants morts ou mutilés, pour le locataire de l’Élysée ?

Le quotidien britannique The Independent « a appris que des discussions se sont tenues à Tripoli entre une délégation menée par un ancien diplomate proche du Premier ministre grec George Papandreou et des membres du régime libyen dont le Premier ministre Ala Baghadi Al-Mahmoudi. ». Il en serait résulté un protocole d’accord qui est resté lettre morte car, selon les sources diplomatiques du quotidien, le gouvernement français aurait exercé un chantage sur les Grecs, et selon une autre source, implicitement menacé de saboter tout nouveau plan financier d’aide à la Grèce…

En fait, l’accord secret qui ne sera pas signé en raison, assurent des diplomates et cognocenti, d’une opposition farouche de Nicolas Sarkozy et de l’émir du Quatar, se fondait sur le déblocage de fonds libyens qui auraient profité tant à la partie dite légaliste du pays qu’à celle contrôlée par les forces du Conseil transitoire national de Benghazi. L’accord aurait été un préalable à l’ouverture d’un processus de paix et de réconciliation incluant le retrait du pouvoir de Kadhafi et un gouvernement transitoire.

Oui, mais, selon les mêmes sources, et ce en dépit du suivi discret du processus par les États-Unis, pas question pour la France et le Qatar d’en finir avec les affrontements armés en Libye et les bombardements de l’Otan sur Tripoli, avant que Kadhafi soit totalement réduit à merci, voire, peut-être, mieux encore, éliminé avec divers membres de sa famille. Pour l’instant, on n’en est qu’à quelques petits enfants de Kadhafi morts sous des bombes : cela ne suffirait visiblement pas à Nicolas Sarkozy ?

On en est aussi toujours dans l’impasse, avec, selon les observateurs, des forces du CNT sécurisant Misrata et la partie orientale de la Libye, brûlant d’avancer sur Tripoli… Serait-ce au risque de voir ces combattants se faire décimer, ou à celui de leur laisser voler la victoire à Nicolas Sarkozy que l’Otan les confine derrière des « lignes rouges » à ne pas franchir sans accord préalable des états-majors coalisés, ou plutôt sans l’aval de l’Élysée ? Au point où on en est, on peut se poser la question.

Une copie de ce « mémorandum » a été examiné par Kim Sengupta et Solomon Hugues, du quotidien The Independent. Il prévoyait que, dans un premier temps, la Lybie et la Grèce déploieraient une opération humanitaire « au bénéfice de tous les citoyens libyens. ». Mais aussi au profit des réfugiés ou des étrangers prisonniers des deux camps, « ce sans discrimination et en application des critères humanitaires internationaux. ». Parqués à Malte dans des hangars torrides, aux frontières tunisienne ou égyptienne sous des tentes, les réfugiés ayant pu fuir, et surtout ceux qui sont regardés avec suspicion, voire emprisonnés à Tripoli ou Benghazi, apprécieront la détermination de la France et du Qatar.

Certes, le document ne posait pas en préalable l’exil de Kadhafi. Mais est-ce bien l’essentiel quand les morts (sans compter les blessés, les estropiés, les mutilés, les handicapés à vie) seraient déjà, dans les deux camps, près de 15 000, selon une estimation des Nations unies ?

Dans le même temps, alors que le CNT estime ses besoins à trois millions de dollars, est à cours de liquidités, ce n’est que le tiers qui lui a été concédé. Il est urgent d’attendre que les frappes sur Tripoli fassent leur effet.

S’il semble évident que des opposants à Kadhafi sont emprisonnés ou agissent dans la clandestinité à Tripoli et dans les zones encore contrôlées par les loyalistes, il est tout aussi évident, selon les dires mêmes des combattants de Misrata qui font des prisonniers, que le dirigeant libyen conserve des partisans. Il s’agit certes de familles alliées, voire de tribus, mais aussi de combattants qui ne sont pas tous des mercenaires étrangers (lesquels sont plutôt sommairement exécutés que faits prisonniers, selon d’autres rapports internationaux).

On en vient à se demander ce que Nicolas Sarkozy veut enterrer en même temps que la famille Kadhafi. S’agit-il encore de protéger des civils, ce que la vulgate coalisée répète à satiété, en dépit de quelques évidences, ou de toute autre chose ? Soit peut-être de sélectionner les futurs dirigeants libyens sans que les Libyennes et les Libyens n’aient d’autre rôle que d’entériner ces choix en votant, un jour, comme les plus soutenus financièrement le leur suggéreront.

Pour le moment, d’un côté, les États-Unis fournissent des bombes dites « intelligentes » aux forces aériennes coalisées, surtout britannique et française. Les ravitailleurs en vol de l’US Air Force restent indispensables pour la poursuite des frappes aériennes depuis des chasseurs. Des hélicoptères sont engagés pour des frappes dites de précision. Cela ne fait pas que des victimes favorables à Kadhafi.

Qu’ils soient contraints ou volontaires pour combattre, les présumés partisans de Kadhafi, et leurs familles, restées avec eux, réfugiées à Benghazi ou à l’étranger, morflent lourdement. Pour sauver la face de Kadhafi ou celle de Sarkozy ?

Plus prosaïquement, alors que l’euro est menacé, ce sont des sommes considérables, des millions quotidiens, qui sont consacrées à des opérations qui n’ont visiblement plus pour seul but de protéger des civils. Les États-Unis, qui ont déjà consacré, à la mi-mai, 664 millions d’USD à la mission libyenne, ne vont pas accentuer leur soutien. La Norvège, pour sa part, retire des chasseurs dès à présent et ne participera plus aux opérations fin juillet. Robert Gates, ministre de la Défense des États-Unis, a révélé que si tous les membres de l’Otan ont approuvé la mission libyenne, « moins de la moitié ont vraiment participé… », et « seulement le tiers a participé aux frappes. ». La Turquie plaide aussi pour une solution négociée. Des « médiateurs » russes sont attendus à Tripoli.

Le porte-parole de l’Otan dit et redit chaque jour que les forces de Kadhafi sont « démoralisées », que « ses généraux et ses ministres l’abandonnent. ». Peut-être. Le Britannique Liam Fox se congratule : des progrès seraient chaque jour constatés. Possiblement. Selon Liam Fox, ce serait parce que « nous » aurions « une considération plus forte pour les vies humaines que celle que Kadhafi a montré » que « nous » l’emporterions. Admettons.

Pour le moment, d’humanitaires, on ne voit que ceux qui envahissent les hôtels de Djerba et coordonnent de loin on ne sait trop quelles opérations logistiques. Cela permet sans doute à ceux revenus d’Afghanistan, devenu une destination trop dangereuse, de se refaire une santé. De manière assez insolite, on ne voit guère les bâtiments des forces navales coalisées évacuer les réfugiés qui veulent fuir la Libye depuis que leurs propres ressortissants ont pu se rapatrier. Mais leur sort indiffère la plupart.

Ce qui importerait, serait-ce de sauver la mise de Kadhafi ou de sauver celle de Sarkozy ? Il ne s’agit pourtant pas que de cela. Mais, parfois, on en viendrait à en douter…