Borloo, frustré dans ses ambitions de dirigeant industriel, doit préparer sa réélection à l’Assemblée nationale. Peut-être a-t-il compris que sa présence à la grand’ messe sarkozyenne de Villepinte pourrait le mettre en situation de ballotage délicat. Alors qu’il était annoncé aux côtés de Christine Boutin, la chargée d’une mission de bombinette atomique, de Frédéric Nihous (Chasse, Pêche, Trahison), et d’Hervé Morin (??? finalement), il pourrait, comme Rama Yade, non sollicitée, bouder un candidat qui n’est plus donné gagnant que par une hasardeuse martingale.  

J’ai rencontré par hasard hier au soir le secrétaire de la section PCF du dixième arrondissement de Paris.
Sympathique enseignant dans un collège de banlieue nord, il me confiait qu’il avait conversé récemment avec un (très) gros rentier qui lui avait démontré, par A plus B, l’intérêt, pour lui, de voter Sarkozy. Si seulement tous les gens disposés à voter ou revoter pour Sarkozy se livraient à de réels calculs, combien seraient-ils à ne pas se reporter sur Bayrou ?
Une vieille Mercedes, un loyer devenu trop coûteux, une maison de campagne lourde à entretenir, et un passé d’aisance de bon aloi… S. pense toujours qu’elle aurait intérêt à voter Sarkozy. A-t-elle seulement pris une calculette ? Non.

C’est davantage par réflexe d’appartenance à une classe qui ne se reconnaît plus en elle – trop « pauvre » à présent – qu’elle vote pour qui la taxerait encore davantage et lui rognera son épargne.

Craignant, à très juste titre, les incivilités et les agressions, elle pourrait, par réflexe, voter Marine Le Pen. Mais elle s’imagine voter « utile ».
Voici quelques mois encore, pourtant, elle jurait ses grands dieux qu’on ne l’y reprendrait plus. Il faut donc croire que la franche détestation qui animait les déçus du sarkozysme fléchit.

50,3 %, trop faible pour l’UMP

Les étiquetés UMP qui espèrent retrouver ou emporter des sièges à l’Assemblée nationale ne sont que très modérément rassurés par le score qu’une étude prospective fondée sur une modélisation mathématique accorde à Sarkozy : 50,3 % au second tour. Deux mathématiciens le prédisent, non pas sur la base d’une moyenne des sondages, qui donnent 57,54 % des électeurs votant à droite (Bayrou, Sarkozy, Le Pen), mais selon divers facteurs dont la perception de l’évolution du chômage. Toutefois, les mêmes, sur leur site Electionscope, consignaient le 25 février dernier, que, pour la première fois, « Nicolas Sarkozy n’est plus assuré de gagner ».

Même s’il l’emportait de justesse, parviendrait-il à s’assurer une majorité à l’Assemblée ? C’est toute la question qui divise ceux qui y croient encore, et ceux qui n’y croient plus. Pour ces derniers, un ralliement de Bayrou à une majorité présidentielle un peu floue serait pain béni. Mais d’autres, parmi eux, sans le dire, préféreraient voir Bayrou au second tour, ce que certains observateurs n’excluent plus si Sarkozy ratait son meeting de Villepinte, ce dimanche.

Bien évidemment, pour les caméras, ce ne pourra être qu’un succès. Elles s’attarderont d’ailleurs sur Depardieu, qui viendra peut-être acheter sa tranquillité s’il devait devenir le nième évadé fiscal à pouvoir se targuer de sa proximité avec un président réélu et doté d’une majorité. La claque sera soignée et les discours ponctués de « Nicolas, Nicolas, Nicolas ! ».
Mais si même Borloo craint le risque d’apparaître, et d’accepter de réciter un discours qui lui sera dicté, il n’est pas du sûr que le plébiscite acquis à l’avance d’une salle chauffée à blanc se traduise par de réelles intentions de vote d’une droite qui continuerait à douter du succès.

Avec la France rance

Pierre Méhaignerie est annoncé à Villepinte. C’est bien le seul qui dispose encore d’un vague capital de sympathie ou d’un droit à l’indifférence.
L’exercice est pour lui sans risque, il ne se représente pas.

La trentaine de députés qu’il va cesser d’animer a estimé qu’il valait mieux plier, pour éviter le risque de se voir opposer un candidat UMP de poids, désigné par l’Élysée, ou des mesures de rétorsion ultérieures.

Jean-Christophe Lagarde, du Nouveau Centre, a fait le même calcul. Son implantation à Drancy, où il a laissé pourtant construire une mosquée, est solide, mais il est redevable d’une juteuse vice-présidence à l’Assemblée. Et tout comme Hervé Morin, grâce à une improbable alliance avec le parti polynésien Fetia Api, il a pu bénéficier, comme 21 autres députés, de 45 000 euros annuels en chèque-emploi.
Leur souci, comme l’annonçait Hervé Morin en renonçant à sa candidature, c’est de « disposer pour les cinq années à venir de groupes parlementaires ». Et d’empocher les avantages divers afférents.

Christine Boutin, elle, ne peut se permettre de passer pour celle qui aurait, de justesse, fait capoter la réélection du candidat de la droite. Tout comme Borloo, Amara, son action pour le logement et les villes se caractérise surtout par un rideau de fumée, sauf pour son ex-dircab’ qui bénéficiait d’un vaste logement parisien au prix d’un petit en HLM. Ayant refusé une nomination à l’ambassade auprès du Vatican, elle traîne le train de vie d’une mission ad hoc sur « les conséquences sociales de la mondialisation » (elle avait dû renoncer à 9 500 euros mensuels, en sus de ses 8 600 euros de retraite, mais des proches qu’elle avait casé dans cette fameuse mission conserveront avantages et émoluments). Sarkozy lui aurait donné des assurances sur le refus du mariage homosexuel et de l’union civile et la réaffirmation des racines judéo-chrétiennes de la France. C’est bien sûr sa motivation essentielle,  tout le monde y croit très fort.
C’est surtout sans doute sa dernière occasion de montrer sa permanente et son dernier tailleur, telle une Rachida Dati, à tant de monde. Elle doit veiller à ne pas montrer des escarpins ou des bottines à 1 700 euros la paire, ce que vient de renoncer de faire Kosciusko-Morizet (NKM).

Le cas de Frédéric Nihous, de CPNT, ancien RPR, rétribué par une mission d’un an sur le développement rural, conseiller régional d’Aquitaine, est plus délicat. Il joue son va-tout. Son souci est de se recaser, soit du côté du lobby nucléaire, soit sur une liste aux prochaines européennes, soit de fait en n’importe quoi. Le CNPT penche pour Marine Le Pen, ou a été dégoûté de Sarkozy, et Nihous ne représente plus que lui-même. Non-candidat, il n’existait plus, rallié à Sarkozy, il va à la pêche au poste.

Interviendraient ensuite Copé, Fillon, Accoyer, NKM, Juppé, Pécresse. On ne sait pour combien de minutes chacun. Peut-être sur le thème du nouvel « austère qui compatit », sans doute pour dire ô combien Hollande est nul en économie, politique étrangère, voire même environnement, ou redire que la Corrèze, depuis les Chirac, est la « Grèce de la France » (alors, pourquoi ne pas imposer aux Corréziens les mesures visant les Grecs ? Et notamment en visant Jean-Pierre Dupont, UMP, qui a laissé à son successeur 1 206 €/h, passés à 1 400, aussi du fait des emprunts précédents, ce qu’à reconnu la cour régionale des comptes du Limousin).

Détestation contagieuse

John Lichfield, de l’Independent, doute fort que la « majorité silencieuse » se reconnaisse encore dans l’humble candidat qui renfile ses pantoufles pour se lover devant une émission de télé-réalité en compagnie de sa première dame avant d’aller changer les couches de la fille de Carla Bruni.
Le correspondant permanent en France sait bien qu’affirmer, en dépit du bon sens et des faits, qu’un immigré retraité touche le double de la pension de réversion d’un agriculteur, passe comme une lettre à la poste devant des téléspectateurs. Sarkozy peut tout promettre, y compris un référendum sur le port d’armes de tous les conseillers municipaux de France et de leurs conjoints. Il peut annoncer qu’il passera ses vacances au Cap Nègre avec la famille Merkel, et que les Obama lui ont demandé de l’initier à la pétanque.
Mais son style à revirements incessants reste son talon d’Achille. Beaucoup de députés UMP, qui proclament officiellement le contraire, confient en privé qu’il faudrait un miracle ou une brochette de Mireille Matthieu sillonnant les maisons de retraite avec Sarkozy, un Depardieu faisant introniser Sarko tastevin et grand dépendeur d’andouille, pour renverser la tendance.

Il n’est même pas sûr que si Enrico Macias serait venu, devant les pieds-noirs et les harkis, pousser la ritournelle à Nice, ce vendredi, les rapatriés soient totalement oublieux du discours du candidat de 2007, à Toulon : que peut-il donc avoir à déclarer de mieux que les mêmes généralités ? Distribuer des promesses de nouvelles décorations ?

Si de vrais gens veulent bien encore figurer sur une photo aux côtés de Sarkozy, c’est, hormis pour les militants ou sympathisants UMP, sans surtout afficher une mine réjouie. Dirigeant européen le moins populaire de tous pour les Français, les Allemands, les Britanniques, les Italiens et les Espagnols, qui le connaissent pourtant tout autant que Berlusconi, il n’est plus crédible que sur un seul point : Merkel, Cameron, Rajoy et Monti ne lui balanceront pas des remarques assassines.
Flanqué d’une muette NKM se faisant passer pour une mère de famille de banlieue, connaissant le prix d’entrée à la piscine de Lonjumeau, le prix du ticket de RER (qu’emprunte peut-être la bonne), et celui de ses vacances (des dernières, dans le Cotentin, où elle possède une coquette résidence secondaire, près de Saint-Vaast, site classé par l’Unesco, moins de celles dans les Îles Éoliennes), Nicolas Sarkozy sait parler de lui en s’assimilant à la France qui souffre.

Elle souffre sans doute autant que les frères Igor et Grichka Bogdanov, qui sont à la physique ce que Paco Rabanne est à la divination, qui viennent de se reconnaître en Sarkozy (et un peu vice-versa) et voteront pour lui. Trop attachés à leur château parisien du 12e siècle et à la famille de Bourbon-Parme pour aller résider en Suisse, ils ont sans doute considéré leurs intérêts.
Si l’électorat potentiel de Sarkozy se résumait à ceux sachant utiliser une calculette, son retour au privé serait scellé. Mais, de 26 % (au dernier en date des sondages, publié hier), il passera sans doute à près de 28 après la prestation de Villepinte. Puis, victime de l’équilibre des temps de parole, et bénéficiaire de l’interdiction ultime des sondages officiels, il lui restera à croiser les doigts.

Mais, comme l’envisage John Lichfield, aux tout derniers moments, nombre de possédants de centre-droit, redoutant encore vaguement le pourtant fort peu agressif Hollande à leur endroit, peuvent estimer qu’un Sarkozy plié, et perçu toujours détestable, serait pour eux moins protecteur qu’un Bayrou retrouvant du poids dans le débat politique, notamment en matière de taxes et d’imposition. Cela ne porterait peut-être pas Bayrou au second tour, mais il faudrait alors convaincre très fortement l’électorat lepéniste pour compenser leur abstention.

Le FN lui met la pression

Encore faudrait-il que Marine Le Pen obtienne ses signatures in extrémis et ne passe pas pour une victime du sarkozysme. Il lui manquait, assurait-elle jeudi, encore « une trentaine » de parrainages. Gageons qu’elle les obtiendra ou non en fonction des sondages des lendemains de ce rassemblement à Villepinte (si elle ne les a pas déjà et n’entretient que le suspense et la posture).
À mon sens, pifométrique, l’indicateur le plus à surveiller ces prochains jours sera le score sondagier de Bayrou, dans tous les cas de figure (tassement ou progression de Sarkozy).

Là, le FN vient de se souvenir que le maire UMP de Forges-Les-Eaux avait préféré, fin février, Halal Viande Service à Eurobovin pour l’abattoir local. Bruno Le Maire est dénoncé pour ses promesses reniées aux producteurs de lait et tenues pour le groupe Besnier-Lactalis.
Et bien sûr le FN remémore la lettre présidentielle à la Turquie faisant état « des souffrances indicibles » et de « la brutalité aveugle de la colonisation française en Algérie. ». La nomination toute récente de Jean-Claude Trichet à l’honorariat à la Banque de France (qui n’a rien d’anormal, est elle quasi automatique pour les anciens gouverneurs) est dénoncée par le FN.
Jean-Marie Le Pen ne cesse de souligner que Sarkozy était de fait « vice-premier ministre » et trône au pouvoir depuis au moins dix ans.

Suffirait-il à Marine Le Pen de faire discrètement savoir qu’elle s’engage désormais à taper sur Hollande prioritairement et non plus trop sur Sarkozy pour que la situation se débloque ? Et que les banques débloquent des prêts pour sa campagne ?
Pour l’instant, le FN décommande encore des salles, limite les déplacements trop importants, faute de fonds. C’est donc haro sur le seul Sarkozy, en salves continues. On verra, jusqu’à la date butoir du 16 prochain (dépôt des parrainages), comment cela évoluera.

Une progression de Bayrou et un blocage de la candidature FN, en dépit du succès d’un meeting, seraient les signes avant-coureurs non plus d’un éventuel tassement de l’UMP, mais d’un mouvement de fond, pouvant déclencher la panique et un sauve qui peut.

Comme la résumé le député UMP Jean-Pierre Nicolas : « ce n’est pas compliqué, chez nous il y a ceux qui pensent que c’est irrémédiablement foutu et ceux qui mettent tellement de conviction à nous persuader du contraire qu’on va finir par les croire. ».
Ou de feindre publiquement d’y adhérer.
Mais jusqu’à quand ?
On donne aussi Frank Riester remplaçant de NKM. Fils à papa (grand-père était déjà vendeur d’automobiles), gueule de gendre idéal, 38 ans, député-maire (Coulommiers), il n’a dérapé pour la galerie que sur les investisseurs qataris, et c’est, lui, un bon chauffeur de salles. Pour redonner une allure fringante à un véhicule ayant plus de cent mille promesses au compteur, il peut sans doute réussir. Attention au porte-clefs fiscal ou sociétal en prime : ni trop cheap, ni trop bling-bling !

P.-S. – on relèvera que, pendant la campagne présidentielle du candidat-président, celles de publicités institutionnelles se poursuivent. Celle ci-dessus, du ministère de l’Éducation et de la Recherche, se trouvait sur Le Figaro ce vendredi 9 mars. On en trouvera d’autres, ailleurs. Le bilan, c’est pourtant la multiplication des partenariats public-privé avec des universités autonomes, ou d’autres, avec les collectivités territoriales fortement sollicitées pour suppléer l’État.
Par ailleurs, je vous fiche mon billet que, nommé à la place de NKM, Riester va changer de montre pour porter une Swatch, moins voyante.