Salut l’artiste

Hergé, Jacques Martin, le père d’Alix, Edgar Jacobs et Hugo Pratt devront réserver une place supplémentaire à leur table au paradis des dessinateurs de bandes dessinées. Un verre en plus pour un nouveau pensionnaire, Jean Giraud alias Moebius, décédé ce samedi 10 mars 2012 à l’âge de 73 ans à Paris à la suite d’une longue maladie, terme générique pour nommer le cancer. Une grand artiste s’en est allé, rejoindre ses pairs dans l’au-delà, une occasion de revenir sa carrière.

 

Jean nait le 8 mai 1938 à Nogent sur Marne dans une famille modeste. Il passe son enfance  en banlieue, à Fontenay-sous-Bois. Il grandit sous l’œil bienveillant de ses grands-parents paternels pour lui éviter d’éventuels allers et retours entre ses parents, vivant leur vie chacun de leur côté.  

 

Comme tous les enfants, ils aiment dessiner, mélanger des couleurs, tracer des traits sur le papier, faire «vivre » les idées foisonnant dans son imagination. Il est très vite fascinés par les cowboys et les indiens, certainement influencés par les films de John Wayne diffusés à la télévision. Son père, un jour, lui montre un magazine intitulé Fictions, il tombe sous le charmes des dessins et des histoires contenues dans la revue, ce sera pour lui une seconde source d’inspiration. Deux exemples prouvant que les émotions fortes ressenties durant nos plus jeunes années deviennent des références pour le reste de notre existence.

 

Tout juste adolescent, il parvient à vendre sa première histoire à Marijac, dessinateur de bande dessinée réputé pour son personnage de Jim Boum. La voie vers les arts plastiques lui est destiné, il s’inscrit à l’Ecole des Arts Appliqués et suit les cours durant deux années. Ses dessins se vendent bien, des clients venant du monde de la publicité, de la mode et de la décoration l’engagent pour ses services.

 

La chance lui sourit à force de quêter les bureaux des différentes rédactions, il parvient à faire publier une série mettant en scène des cowboys et des indiens dans un mensuel. Il poursuit son bonhomme de chemin dans le monde des bulles et des cases remplies d’onomatopées. Jean collabore dans de nombreuses revues. Une bonne occasion pour se forger une expérience et un réseau de plus en plus conséquent. Il fréquente les ateliers de Jijé, membre émérite du journal de Spirou, et Jean Claude Mézières, auteur de la série Valérian et Laureline.

 

S’en suit un long voyage de 9 mois chez sa mère vivant au Mexique où il peut admirer les vastes étendues sablonneuses qu’il aime reproduire en dessin dans ses albums.

 

En 1963, le magazine Pilote cherche un dessinateur pour une nouvelle série se déroulant dans les plaines sablonneuses du Far West, il est contacté et accepte la proposition sans rechigner. Son titre, tout le monde le connait, elle a même donné lieu à un film mitigé, BlueBerry. Le lieutenant au Stetson poursuivra ses aventures durant 28 albums ayant tous rencontrés le succès.

 

Il se livre, dès les années 1960, à son autre passion, la SF. Il commence à dessiner des livres et des planches qu’il signe sous le pseudo de Moebius. Un surnom énigmatique provenant d’un ruban sans fin, dogme d’un mathématicien allemand.

 

Les relations avec les éditorialistes de Pilote s’enveniment si bien qu’il claque la porte au début des années 1970. Il œuvre pour Hara-Kiri, sommité du politiquement incorrect puis Jean s’installe dans les coulisses de l’Echo des savanes et crée Metal Hurlant. La liberté se paye chère mais elle permet de faire ce que l’on aime, il peut dorénavant, sans contrainte et de son propre chef, publier des histoires de science-fiction, dans un style particulier, éloigné des sentiers battus.


Arzach, est l’une d’entre elles, une œuvre qui lui permet d’être reconnu hors des frontières françaises et du monde de la BD. Très bientôt, des cinéastes français et américains le contactent pour le solliciter. Il aide alors aux pré-productions et aux adaptations de romans tels que Dune de Frank Herbert ou Alien, le 8ème passager. En parallèle, il crée une série en 6 tomes, entre 1980 et 1988, l’Incal. Il quitte la France pour Los Angeles, il travaille pour Stan Lee avec des illustrations pour le Surfer d’Argent. Un fait exceptionnel pour un auteur européen.

 

Passionné par l’art, avec sa femme, ils rachètent la maison d’édition et la galerie Stardom qu’ils renomment Moebius Production. Tout un commerce consacré à son génie et des expositions à travers le monde sont organisées. Mélange des cultures et des arts, ses dessins et ceux du japonais Hayao Miyazaki sont sacralisés lors d’une exposition commune en 2005. Au Futuroscope de Poitiers, véritable temple de l’animation cinématographique, il monte en partenariat avec le magicien Gérard Majax, une nouvelle attraction basée sur l’une de ses séries.

 

Pour finir sur une note positive, il fut honoré du titre de « meilleur artiste en arts graphique » par le Ministre de la Culture de l’époque et certainement le plus populaire à ce poste, Jack Lang. En outre, il reçut en 1985, des mains du président de la République, François Mitterrand, l’Ordre des Arts et des Lettres. Pour une fois, cette décoration saluait le travail d’un artiste méritant.  

 

Diminué par la maladie, il était devenu moins prolifique. Jean Giraud/Moebius a tiré sa révérence mais nous laisse un monde bipolaire aux dimensions diamétralement opposées, d’un côté des histoires réalistes et détaillées ayant lieu dans une Amérique en construction et de l’autre, un monde fantasmagorique, lyrique et enchanteur où l’on se plait à se distraire.