L’abbaye bénédictine de Sant Polycarpe de Razès fut fondée, vers l’an 780, par Àtal, un moine, noble de haute lignée d’origine hispanique, – c’est-à-dire un Wisigoth -, passé du Sud au Nord des Pyrénées après avoir échoué, « à cause des razzias menées en Catalogne par les Sarrasins », – tel le soutient la chronique -, dans sa tentative de fonder un monastère près de Peralada dans le Alt Empordà.


 

Àtal, Prieur de Saint Polycarpe.

 

Àtal s’était réfugié, avec ses gens, en terres de Razès et s’était retiré dans un petit monastère, quasi un ermitage, situé sur les bords du ruisseau Rieugrand et entouré de quelques maisons et de vignobles. Batailleur, fort-à-bras, belliciste et martial, n’hésitant point à occire ses contradicteurs, il imposa rapidement ses idées et ses méthodes soldatesques. Par la bonté divine d’une dague administrant l’extrême onction à son illustre prédécesseur, il fut élu, sans coup férir, prieur de cet établissement conventuel.


 
Maître inextinguible des lieux, il n’eut, lors, cesse d’agrandir son domaine, de l’améliorer, de l’étendre hors ses murs et, pour cela, y engloutissant sa fortune personnelle et, à la tête d’une troupe de spadassins et de bretteurs semant terreur et mort dans toute la région, celle qu’il amassait dans ses rapines, il le dota largement et richement.

Étant dans la parenté directe de Charles Martel et, par sa mère, bien que bâtard du Duc Eudes compagnon d’arme de son grand père maternel(1), neveu de Pépin le Bref, très rapidement il reçut la protection royale. Charlemagne lui accorda certains privilèges. Ceux-ci furent confirmés et revalorisés par ses successeurs, Charles II le Chauve, Louis I le Débonnaire, – dit aussi le Pieux -, et, en l’an 881, par Carloman II, second fils de Louis II le Bègue et d’Ansgarde, qui, après la mort de leur père, a partagé le pouvoir avec son frère aîné Louis III(2), – Roi de France et de Neustrie -, et a régné sur la Bourgogne, l’Aquitaine et la Septimanie, – Cévennes, Corbières, Nord des Pyrénées avec les villes de Narbonne, Carcassonne, Béziers et Nîmes -.

 

Les moines de Saint Polycarpe : des pionniers et des missionnaires.

 

Le prieuré de Saint Polycarpe se situant, à 6 kilomètres de l’Abbaye d’Alet, à 8 kilomètres de celle de Saint Hilaire et à 27 kilomètres de Sainte Marie de La Grasse, totalement enclavé entre ces trois établissements pérennes dotés de dépendances notables et multiples, se trouvait à l’étroit et ne pouvait pas élargir son domaine foncier dans sa circonscription. Àtal, son prieur, et ses successeurs, l’ayant compris, s’attachèrent à créer de nouveaux villages dans les terres du Bas Razès et à transformer, en communautés d’habitants, certains oppida wisigothiques essaimés dans les montagnes du Haut Razès.

 

 
En juin 898, le roi Charles III le Simple, par une charte(5), confirme, au prieuré, toutes ses possessions territoriales : Gaja et Malras dans le Bas-Razès, Salles, près de Limoux, Luc-sur-Aude, Terroles, Peyrolles et Cassaignes dans le Haut-Razès et Bugarach et Cornanel. Et, sur plus de deux siècles, les moines, missionnaires et pionniers en terres agrestes, prirent part à la rénovation du territoire et au développement social et matériel de leur population, jusqu’au jour où le Comte de Carcassonne, désireux de doter grassement l’Abbaye d’Alet, et les seigneurs circonvoisins avides de s’appropier de nouvelles terre, usurpèrent et dépouillèrent, de la majeure partie de ses biens en dépendance, l’établissement claustral.

Certes, les initiant et en récupérant les fruits, les moines d’Alet n’étaient pas étrangers à ces spoliations seigneuriales. Le prieuré de Saint Polycarpe n’avait du son salut, ne conservant qu’un maigre écot de son domaine terrien, qu’à sa soumission, en l’an 1008, à l’Abbaye Sainte Marie de dite ville.

 

Le Prieuré de Saint Polycarpe élevé au rang d’Abbaye.

 

Pour l’aide apportée par les moines Teutbald et Hucbert, du Prieuré de Saint Polycarpe, lors de la captation(3) de l’héritage de ses frères aînés Louis III et Carloman II, au détriment de Charles fils posthume et légitime du roi de Francie Louis II le Bègue et prince héritier seulement âgé de cinq ans, par Charles III le Gros Roi d’Alémanie et d’Italie et Empereur d’Occident, celui-ci, en remerciement gracieux, en l’an 885, éleva la petite bâtisse monacale à la catégorie d’abbaye. Mais, dans les faits, et au moins jusqu’en 1090, ses supérieurs ne portant que le titre de prieur, Saint Polycarpe ne resta qu’un simple prieuré. Ce n’est qu’après cette date que le titre d’abbé leur fut alloué sans que les droits et les privilèges n’en fussent augmentés. Pour cause, le monastère, bien que convoité par les abbés de La Grasse, l’Abbaye d’Alet n’avait pas renoncé à exercer sa domination et le gardait sous sa dépendance.

 

 
En effet, depuis la création de Saint Polycarpe les deux établissements religieux, – celui de Sainte Marie de La Grasse installé entre Carcassonne et Narbonne, dans la vallée de l’Orbieu, au sein du massif des Corbières et celui de Sainte Marie d’Alet implanté au cœur même de la cité médiévale, sur la voie d’accès à la Haute Vallée de l’Aude -, s’étaient toujours disputés sa possession, En 1080, l’abbaye bénédictine Sainte Marie d’Orbieu(4) avait la main mise sur la congrégation sise en bords du ruisseau Rieugrand. Suite au concile tenu à Toulouse, en 1119, sous la présidence du pape Calixte II, et par celui de Saint Gèli, en 1135, sous l’autorité du pape Pascal II, l’Abbaye d’Alet en reprenait ses destinées tout comme elle voyait ses droits confirmés sur le monastère de Saint-Papoul et le Chapitre de Saint Paul de Fenouillet, sur des villages et des châteaux de ses dépendances.

 

Et, par un dernier procès, en 1197, Saint Polycarpe, prenant son indépendance, devenait abbaye à part entière.

 

Notes :

 

(1) Le 25 octobre 732, Charles Martel et le duc Eudes arrêtent les Arabes à Poitiers.

(2) En 879, Louis II désigne son fils Louis comme son seul successeur et le place sous la garde de Bernard d’Auvergne, associé à Hugues l’Abbé et à Boson V de Provence.

En septembre 879, grâce au soutien des grands de Francie occidentale dont Hugues l’Abbé, Boson V de Provence, Théodoric de Vergy et Bernard Plantevelue, le couronnement et le sacre de Louis III et de son frère Carloman II sont célébrés en hâte dans l’église abbatiale Saint-Pierre et Saint-Paul de Ferrières près de Montargis, par Anségise, l’archevêque de Sens.

(3) Le 12 décembre 884, Carloman II, roi de Francie occidentale, meurt sans héritiers. Il reste le dernier fils de Louis II le Bègue, l’adolescent Charles, âgé de 5 ans. Jugé trop jeune, l’assemblée des aristocrates francs emmenée par Hugues l’Abbé, – conseillé par une armada de moines, dont Teutbaldus prieur de Saint Polycarpe en Razés -, renonce à le proclamer roi et impose l’empereur Charles III le Gros à assurer la tutelle et la direction du royaume.

(4) Le monastère de La Grasse dont La charte de « fondation » remonte à la fin du VIII° Siècle mais toutefois un établissement devait exister antérieurement à la période carolingienne.

(5) Cette Charte est souvent attribuée à Eudes, – ou Odon -, mais il ne peut en être, le roi Eudes étant mort le 3 Janvier 898