Or donc, les trois musiciennes et chanteuses du groupe russe Pussy Riot ont bien « offensé les sentiments religieux » de croyants orthodoxes dont il n’a été nullement demandé l’avis, la hiérarchie du patriarcat de Moscou sachant mieux qu’eux-même leur opinion. Dans le même temps, alors que Laurent Fabius a imprudemment considéré que le dictateur tant choyé par son prédécesseur ne mérite pas « d’être sur la terre », Bachar el-Assad continue de recevoir l’onction des autorités russes. Singulier paradoxe : naguère, l’atteinte au sacré valait la peine de mort, et les églises toléraient encore davantage la répression cruelle des souverains…

Soyons sérieux, vraiment sérieux : qu’adviendrait-il en France si des chômeurs de très longue durée prenaient les armes et affrontaient les forces de « l’ordre » dominant ?
Qu’ils en viennent à recourir à des « actes de terrorisme » (les bombardements massifs indiscriminés n’en sont pas, la pose de bombes ou les attentats-suicides en étant) ?
Croit-on vraiment alors que, comme le Conseil de sécurité de l’Onu, sous présidence française, vient de refuser de cautionner une initiative russe visant à faire condamner l’attentat de Damas à proximité de la délégation onusienne, ce même conseil exonérerait des attentats d’émeutiers français ?

C’est en fonction de témoignages sans doute pour la plupart indiscutables que Laurent Fabius s’est prononcé à l’encontre de Bachar el-Assad. Faute d’un Cayenne sélène ou martien, s’il faut le prendre au mot, le dictateur syrien mérite la mort. Fondés sur des témoignages tout aussi indiscutables et constants inverses, tout aussi horribles, le pouvoir dictatorial syrien justifie une répression sanglante.

Certes, tout comme en Libye, les manifestations ont d’abord été majoritairement pacifiques, avant que les armes fournies à certains éléments, préalablement, ce qui a été établi en Libye, et peut l’être tout autant en Syrie, conduisent à une guerre civile. Voire bientôt religieuse puisque tant le pouvoir que les États soutenant le plus activement leurs partisans au sein de l’Armée syrienne libre tendent à confessionaliser le conflit.

En Russie, Vladimir Poutine vient d’obtenir un verdict « clément » à la suite d’une offense qu’on pourrait qualifier de mineure (comparativement à ce qui se déroule en Syrie) visant davantage sa personne que les convictions religieuses des orthodoxes russes. Laurent Fabius n’appelle pas déjà des responsables du Kremlin à faire défection.

Quand le porte-parole du patriarcat moscovite avait dénoncé les Pussy Riot en leur attribuant « un crime pire qu’un meurtre », la France n’avait guère interpellé la Russie de Poutine. Le pouvoir français avait profondément enfoui les valeurs laïques sous le mouchoir du rapport de forces et de la poursuite des contrats d’armement décidés par le gouvernement UMP précédent.

Le patriarche Kiril est considéré, y compris au sein d’une partie de l’église orthodoxe de « toutes les Russies », tel un « voyou affairiste » motivé surtout par le lucre. Poutine est l’exemple même de l’autocrate, mais il reste un client, ce que Bachar el-Assad n’est plus.

Comme le rappelle Le Canard enchaîné, pratiquement tous les dictateurs ou souverains du monde arabe ont été reçus dans les cent premiers jours de la présidence de François Hollande, soit à l’Élysée, soit au Quai d’Orsay. Soit Hamad ben Issa al-Khalifa (Barhein), Mohammed VI (Maroc), le sheikh Hamad bin Jassim al-Thani (Qatar), un fils du roi Abdallah d’Arabie saoudite et Abdallah II de Jordanie, Mohamed ben Zayed al-Nayyan (Abu Dhabi).

L’anathème assorti d’une « fatwa démocratique » de Laurent Fabius à l’endroit d’el-Assad évoque surtout une incantation religieuse, celle de la raison d’État.

Les chantiers STX de Saint-Nazaire poursuivent la construction de navires de guerre Mistral destinés à la Russie qui pourraient servir pour contrôler la Géorgie.

À présent, la hiérarchie de l’église orthodoxe russe, quelque peu gênée par le soutien d’une partie de ses ouailles aux Pussy Riot, vient d’appeler Poutine à plus de clémence.
Nul doute que si Bachar el-Assad consentait à se retirer dans une ex-république autonome soviétique, il mériterait de nouveau « d’être sur la terre ». C’était d’ailleurs ce qu’estimait Laurent Fabius le 6 juillet dernier (sur Europe 1).

Quand le Quatar et l’Arabie incitent les groupes fondamentalistes tunisiens à réclamer la mort pour Habiba Ghribi qui s’est exposée en tenue « dénudée »  ou pour Oussama Mellouli qui a rompu le ramadan à l’issue d’une nage victorieuse aux Jeux Olympiques, la France – ou plutôt ses deux plus grands partis au pouvoir ou d’opposition – ne proteste pas trop. Quand les Pussy Riot écopent de deux ans de camp, sa réaction est molle ou inexistante.

« On » a toutefois laissé Filippetti, ministre de la culture, se dire « consternée » en fin de journée. de manière étrange, d’ailleurs. « Je regrette profondément cette décision et cette peine manifestement démesurée, à l’encontre de trois jeunes femmes qui ont l’insolence de leurs vingt ans et le goût de la provocation qui caractérise la musique punk… ». Pour des jeunes femmes qui sont des opposantes résolues, qui ont clairement exprimé une opinion politique, c’est quelque peu léger d’en faire des ados attardées, en quelque sorte. Dirait-on de même d’un encore plus jeune homme que ces opposantes qui se serait immolé par le feu ? Ce n’est pas faire un mauvais procès antijeunes et antiféministe que d’estimer que cette réaction est maladroite, trop diplomatiquement mesurée.

Bref, le changement, c’est maintenant l’occasion de se montrer fermement du bon côté du manche, ou des intérêts commerciaux divers des industriels bien en cour. On s’en doutait un peu. Était-il vraiment nécessaire de le faire si ostensiblement en donnant sa bénédiction aux groupes islamistes syriens prêts à liquider la famille élargie de Bachar el-Assad ? Permettez d’en douter…