Roumanie : majorité, opposition, même misère

« Peu importe », du moins ici, en rubrique « Société », les causes ou raisons du mouvement des Indignés roumains (voir mot-clef : Roumanie) ou même les développements de ces cinq dernières journées, du Banat à la Dobrodja. Ce qui est un peu nouveau, même si on a entendu l’équivalent en Grèce, et qu’on le surprend dans tous les bistrots de France (si ce n’est dans la cantine « populaire » du Fouquet’s de l’UMP Estrosi), c’est le slogan « majorité, opposition, même misère ».

J’ai su, voici quelques heures, où il était apparu la première fois, ce slogan. Même misère. De mémoire, Cluj-Napoca, la grande ville universitaire du nord-ouest de la Roumanie, concurrente de Timisoara (Banat), plus proche de la Hongrie. Pour tenter de comprendre ce qui se produit depuis la fin 2009 en Roumanie, on peut se reporter à « Roumanie : fortes turbulences sociales » (le plus récent) et à quelques autres contributions antérieures, parfois réalisées sur place.

Un point sur les événements, qui « se tassent », m’indique mon correspondant de Bucarest, un Romano-Français, architecte-entrepreneur.
Il n’exclut pas que « des éléments infiltrés » aient pu se mêler à « des casseurs » qui sont loin d’être similaires aux autonomes français. On avait connu le récent pouvoir roumain faire déferler des mineurs sur la capitale pour casser de l’étudiant et du protestataire.
Cela ne semble pas le cas aujourd’hui. Le président Basescu ne semble pas devoir recourir à ces méthodes.

Jouissant d’une forte cote de popularité lors de son élection, il a déçu, et se trouve donc en première ligne du mécontentement aujourd’hui. Car le Premier ministre est une sorte de Fillon ne disposant pas de la confortable majorité UMP : il n’est même pas mentionné par les manifestants, Emil Bloc, qui a promis la répression, est tenu pour quantité négligeable.

Mon correspondant était à la tête de grands chantiers (hôteliers, résidentiels). Cela fait deux fois qu’il déménage, pour payer moins de charges de copropriété. « C’est le trou noir, je me rabats sur des maisons individuelles, des petites choses pour gagner trois sous. ». Quant aux salariés, budgétaires (fonctionnaires et assimilés), retraités, c’est parfois, réellement, la misère. D’où le slogan : « majorité, opposition, même misère ». Mais les dehors Băsescu dominent, depuis cinq jours. En fait, c’est bien « qu’ils partent tous » qui résume le sentiment général.

Iliescu, qui se fait vieux et a dû être hospitalisé, peut bien réclamer le départ de son successeur et des élections anticipées, c’est un référendum que, qu’ils l’expriment ou non clairement, les Roumaines et les Roumains désirent. Pour non pas un se prononcer sur un retour au communisme, mais en faveur d’un autre type de société, plus conforme au modèle qu’on leur avait « vendu » (et permis un peu de bénéficier les premiers temps). Soit un modèle social-démocrate fonctionnant réellement.

Alors que les minorités hongroises sont très actives, le modèle hongrois actuel séduit peu en Roumanie. Le sentiment national n’est que marginalement nationaliste et l’équivalent du FN roumain, outrancier, n’a séduit qu’un temps aux pourtours de l’électorat plutôt centre-gauche.

Aujourd’hui, soit cette nuit, il est possible que le calme revienne, et que l’appel aux manifestations de l’opposition ne soit guère suivi. C’est plutôt des réactions citoyennes qui risquent de prendre le relais. Pronostic fondé sur peu de choses, toutefois, et n’oublions pas que l’hiver est rude en Roumanie.
Mais le clivage, le divorce roumain d’avec la classe politique dans son ensemble sera sans doute durable.
À moins que de nouvelles composantes finissent par émerger et convaincre.

La Roumanie préfigure-t-elle la France de la mi-2014 ? C’est l’une des questions que l’on peut se poser. En tout cas, la situation actuelle vaut avertissement pour Nicolas Sarkozy. C’est la dégradation du système de la santé publique, sa libéralisation à outrance, qui a été le déclencheur des cinq dernières journées de manifestations. C’était un objectif de son début de mandat : tout au secteur libéral et aux assurances privées. Lors de la rencontre improvisée par lui avec les syndicats, Nicolas Sarkozy ferait peut-être bien de se pencher sur l’actualité et l’opinion roumaines.

P.-S. – Cette nuit, à Buc, vers 21 heures, environ 500 à 600 étudiants et autres ont repris les manifestations. Les gendarmes ont dispersé à coups de lacrymogènes. Ludovic Orban, du PNL, considère que les autres partis (PDL et USL), accentuent la misère. Mais même les personnages politiques qui viennent au devant des manifestants sont mal accueuillis. Figurile politice sunt întâmpinate cu ostilitate

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Roumanie : majorité, opposition, même misère »

  1. Quand les Roumains ont eu « le bonheur » de passer du communiste au capitalisme, ils ont assassiné à la suite d’un faux procès leur dirigeant et son épouse. J’y ai assisté à la TV, quelle lâcheté de la part de ces pseudos juges qu’on n’a même jamais vus à l’écran. Peut-être étaient-ils d’anciens partisans du dictateur.
    Je crois que le peuple roumain n’ a pas fini de payer cet acte honteux.

  2. Il est bien évident, Mychelle, que le dit conducator a été liquidé par les siens.
    « Mieux » (si j’ose), à Timisoara on a incité des soldats, qui n’en avaient aucune envie, à tirer un peu (pas « trop ») sur la foule, histoire d’avoir une vraie révolution, avec des martyrs. La fontaine des martyrs, entre Libertatii et Victorii (place de l’opéra) consigne dans le marbre tous les noms.
    En Slovénie, le retrait des troupes serbes avait été négocié. J’étais peu après (la guerre avait commencé au nord de la Croatie) en Slovénie avec feu Bernard Stasi, député centriste. Je tiens de la bouche même d’un ex-commandant yougoslave, devenu général slovène et faisant office de chef d’état-major slovène, que c’est parce qu’ils n’en savaient rien que quelques Slovènes avaient tiré sur les chars faisant route vers la Croatie. Mais personne ne les avait incités à le faire.
    À Timisoara, les gens manifestaient pacifiquement. Comme le Banat était une région qui avait été, à partir de 1918, roumanisée plutôt de force que de gré (en déportant notamment les Souabes germanophones), on s’est servi de ce prétexte pour faire tirer les soldats.

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