Le référendum organisé par le gouvernement de la coalition USL (socialistes et libéraux) pour destituer le président roumain Traian Basescu s’achèvera ce dimanche soir à 23 heures et le dépouillement s’annonce long, très long (à moins que la fraude ne simplifie les décomptes). La journée a été marquée par une « opération portes ouvertes » à la villa Dante, l’équivalent de la résidence de La Lanterne (autrefois dévolue au Premier ministre français, confisquée par Sarkozy au profit de la présidence). Le président a démenti être au courant que ce luxueux complexe ait été rénové aux frais de l’État pour profiter notamment à son épouse. Mais le gouvernement de Victor Ponta en fait l’exemple même de la corruption de son adversaire. Cela n’a semble-t-il pas suffi pour convaincre une majorité de votants à se rendre aux urnes. Le référendum sera sans doute invalidé.
À Bucarest, la rue Dante Alighieri donne sur le lac Floreasca, face aux quartier français devenu celui des ambassades que borde le complexe du parc et du lac Herastrau où se situe le musée national folklorique des habitats traditionnels de Roumanie.
Luxe, calme, voire volupté…
La villa Dante, rénovée à très grands frais par la Régie autonome du patrimoine et du protocole d’État, était-elle destinée à l’ex-Première dame roumaine et à son ex-président d’époux, Traian Basescu ? Probable, mais, allez savoir…
Le couple affirme n’en rien connaître et il lui sera difficile, si le référendum de ce dimanche le reconduit dans ses fonctions, de l’occuper comme si de rien n’avait été alors que le gouvernement a organisé une journée portes ouvertes de la demeure comprenant une vaste piscine intérieure, des boiseries monumentales, &c.
En fait de « villa », il s’agit d’un vaste bâtiment de plusieurs étages surpassant la résidence d’été du couple Ceausescu à Timisora (destinée à devenir un hôtel de luxe, mais dont les travaux stagnent du fait de la crise économique). Son équivalent français est La Lanterne, la résidence devenue présidentielle de Versailles, supposée accueillir aussi des dignitaires étrangers.
C’est un vaste et luxueux pavillon de chasse de 1787 doté de piscine, courts de tennis, parc et jardins à la française, d’ailes pour loger le personnel permanent, &c.
Cette vila Dante est donc devenue un argument électoral dans la compétition entre l’USL, au pouvoir, et le PDL, la formation du président mis à l’écart.
Une compétition que l’anthropologue Vintila Mihailescu, dans Dilema, a qualifié de « combats de piranhas assoiffés de pouvoir ».
Afin d’être sûrs que le quorum de 50 % des inscrits sera obtenu (le PDL, dénonçant à l’avance des fraudes, a préconisé l’abstention, ce qui, si elle l’emportait, conserverait Basescu à son poste), le gouvernement a repoussé à 23 heures la clôture des bureaux de vote, dont les tout nouveaux provisoires ad hoc : baraques sur les plages, salles de restaurants aménagées, tentes sur les places, &c. Près de 400 nouveaux bureaux de vote ont été instaurés pour l’occasion. Dix points de vote ont été instaurés en France (55 en Italie, 46 en Espagne, et 8 en Afghanistan en raison de la présence du contingent roumain).
L’antienne du président, dont l’entourage a mené une campagne internationale pour dénoncer un coup d’État et un retour déguisé aux pires heures du communisme, c’est que le mauvais coup qui lui est fait détruit l’image internationale de la Roumanie, sape la confiance dans la monnaie, le leu, et provoque déjà une fuite des capitaux nationaux et étrangers.
Les arguments volent bas de part et d’autre, mais au moins le gouvernement prévoit une baisse de la TVA sur les produits de base.
Sondage fort douteux
Selon un sondage d’une télévision très proche du gouvernement, celle de l’affairiste Dan Voiculescu (de droite, mais favorable à la coalition), la participation sera de 59 % et les votants seront plus de 70 % a bouter Basescu hors de la vila Dante.
Mais selon les décomptes d’Adevarul, à 14 heures locales, la participation était inférieure à celle des municipales, n’atteignant pas encore 22 % (et même pas 17 % à Timisoara mais quand même plus de 24 à Hunedoara). À 17 heures, dans le département de Tulcea, la participation plafonnait encore à 22,4 % (37,91 % au municipales).
On ne sait si la population des grandes villes, fuyant la canicule, reviendront voter aux heures plus fraîches de la nuit. Des cas de doubles votes ont déjà été constatés, des bourrages d’urnes aussi… Dans d’autres localités, les bureaux de vote ne sont pas du tout signalés par la moindre pancarte. Ailleurs, des bureaux provisoires ont été établis dans des pénitenciers.
Monica Macovei, europarlementaire et ancienne ministre de la Justice, qui jouit d’une certaine notoriété européenne, contacte la presse étrangère pour dénoncer les fraudes et appeler les votants roumains de l’étranger à l’abstention. Pour elle, la fraude sera pire qu’au cours des 22 dernières années. Elle agite aussi les spectre des « mineriades » (des mineurs de charbon avaient été mobilisés pour s’en prendre aux étudiants et autres protestataires aux lendemains de la chute du régime communiste). Selon un représentant du PDL du département de Vrancea, proche de la République de Moldavie, la fraude serait « massive » et sa formation aurait déposé de multiples plaintes. Le vice-président du PDL, Christian Boureanu, annonce des « violences » jusqu’à 21 heures dans divers départements. L’USL dénonce quant à elle des manipulations du PDL dans le département d’Alba Iulia.
Allez tous au diable !
Quel que soit le résultat, la paix civile et sociale ne risque guère de se consolider à l’issue du scrutin. Nombreux sont les votants qui espèrent que l’éviction du président solutionnera la crise, mais de nombreux autres craignent une dérive autoritaire encore pire que celle instaurée par le président destiné à être évincé ou fortement marginalisé (son mandat prend fin en décembre 2014).
Au niveau européen, Basescu est considéré être l’homme lige de l’eurocratie et de la ligne économique allemande, Ponta a plutôt la faveur des pays souhaitant un assouplissement de l’austérité. Basescu est présumé avoir enfin lutté contre la corruption, Ponta d’être obligé de couvrir des parlementaires compromis.
Basescu dénonce les parlementaires formant « une caste à part » (des élections législatives doivent se tenir en fin d’année), ses adversaires le présentent tel un dictateur en puissance. En face, comme le Premier ministre Victor Ponta a été accusé d’avoir plagié sa thèse de doctorat en droit, il est pris pour un crétin et supposé être le pantin des parlementaires. L’USL est traduite par « union staliniste-léniniste ». Les caricaturistes anti-Ponta semblent toutefois l’emporter, comme le témoigne l’hilarant site Sare’n Ochi.
Le vote risque cependant d’être serré et l’Autorité électorale permanente vient de réviser le quorum, qui ne serait plus de 9 154 307 votants, mais tombé à 9 146 258. À 17 heures, seulement 25, 23 % du corps électoral s’était prononcé dans la capitale (26,89 % nationalement).
À Timisoara, on ne sait pas si la coalition gouvernementale a convaincu le patron de l’établissement de nuit No Name & Heaven, disposant d’une large piscine, d’admettre gratuitement toute personne présentant une preuve de sa participation au scrutin histoire d’améliorer le quorum. La température atteint 37° ce dimanche dans le département du Timis (la participation à 17 h plafonnant à moins de 22 %, comme dans celui de Bihor ou celui d’Alba Iulia). Il n’est pas sûr que la remise (env. 3 euros) soit si attractive, mais une plainte a été déposée à tout hasard.
Les villes semblent avoir été moins promptes à participer que les campagnes. À tout hasard, Victor Ponta a évoqué son homologue hongrois, Victor Orban : la minorité magyare roumaine reste influente.
Sur Facebook, des malins ont diffusé un bulletin de vote qui sera déclaré nul avec l’option « Să vă ia dracu` pe toţi » (allez tous au diable). Mais la page l’ayant diffusé, Piata Universitatii (du nom du lieu des manifestants de l’hiver dernier dans la capitale) donnait une légère avance à l’hypothèse d’une validation du référendum (mais si on tient compte des abstentionnistes par désintérêt total de la question, le quorum ne risquerait pas d’être atteint). Premiers résultats à peu près fiables sans doute cette nuit, peu avant minuit.
Épilogue provisoire
Le référendum semblait, vers 01 heure ce lundi, en voie d’être invalidé. Selon les sondages à la sortie des bureaux de vote, 80 % des exprimés seraient pour le « oui ». Les résultats définitifs ne seront proclamés que ce lundi midi… mais les premières décomptes, à 3 % d’incertitude, donnent, sur la base de plus de 20 000 bureaux, dont tous ceux du département de la capitale, une participation ne dépassant pas 46 % (donc, 49 % au mieux, en extrapolation).
Pour Basescu, qui s’était exprimé peu avant minuit, la Roumanie lui aura donc accordé une victoire et « refusé le coup d’État ». La presse internationale a, dans sa grande majorité, anticipé le résultat. La participation aurait été de près de 52 % en milieux ruraux, de moins de 42 % dans les villes. C’est dans les Maramures, les départements du Timis et d’Arad que la participation aurait été la plus basse (de 12 à 35 %), Bucarest se situant à 40 %.
Mais, mais, mais… le numéro deux de la coalition USL, Dan Sova, a estimé la participation provisoire à 48,5 % en précisant que cela présageait d’un résultat final à 52 %. Avec carrément un massif 86 % (voire 87 %) pour la destitution. D’où une certaine inquiétude : bluff ou résultat prévu d’avance ?
Selon des estimations officielles, même le département de Constanza, ville dont est issu « Popeye » (surnom de l’ancien officier de marine devenu présidentn, né dans le Murfatlar, mais ancien résident de Constanza), la participation ne serait que de 46 %.
Ponta a continué de mettre en doute la « légitimité » de son adversaire. L’éminence grise de la coalition, Dan Voiculescu (dit « Felix »), et Liviu Dragnea, ont été mis en cause par Basescu, qui n’a pas écarté l’idée de passer des compromis avec Ponta.
Theodor Paleologu, ancien diplomate et ministre du gouvernement d’Emil Boc, a considéré que Ponta et Crin Antonescu étaient à présent « totalement discrédités ».
De fait, dès 23 h 30, des responsables de l’USL avaient proclamé avec aplomb que le président écarté « était démis ». Mais, en sondages de sorties des bureaux, à 22 heures, les résultats, divergents, donnaient une participation de 45,5 ou 44 %. Les premières estimations de décomptes réels des votes, passées 23 h, donnant 46 %, on voit mal comment une progression subite d’un peu plus de 4 % pourrait se produire.
Les dirigeants nationaux de l’USL ont dû sans doute se concerter très tard dans la nuit avec leurs représentants ou délégués locaux. Le silence radio s’est instauré vers 02 heures, l’agence Mediafax ou les autres médias ne revenant plus sur le sujet.
Mais en cas de victoire inattendue du « oui » avec une participation même légèrement supérieure à 50 % proclamée ce lundi midi, il y a fort à parier que la Roumanie vivra la journée dans une totale cacophonie… en attendant peut-être des manifestations et contre-manifestations. Ainsi que diverses déclarations des instances européennes et internationales. Basescu, dans une ultime allocation, a cité l’Union européenne et l’Otan en laissant entendre que les jeux étaient faits.
Lu dans [i]Adevarul[/i]:
« [i]Potrivit reprezentantei secţiei de votare nr. 435, Ana Lifa, 106 persoane internate au pus ştampila pe buletine în Spitalul de Psihiatrie şi Măsuri de Siguranţă Jebel, cărora li s-au adăugat trei angajaţi.[/i] « Medicul specialist a întocmit o listă cu persoanele care au drept să voteze. În spital se află numeroşi deţinuţi », a precizat aceasta. ».
Dans la localité de Jebel, à 30 km de Timisoara, on a fait voter des patients. Avec une urne « mobile » ad hoc.
Vers 18 heures, 179 des incidents déclarés (sur déjà 385) ont été reconnus frauduleux ou soulevant des questions relatives au code électoral.
Et ce n’est pas fini.
Toujours dans le dpt du Timis, le vote a été suspendu à Beba Veche en raison d’une panne d’électricité suspecte (pas de générateur, donc on attend que le courant soit rétabli).
[i]La Voix de la Russie[/i] se demande si l’USL a préparé un plan B en cas d’absence de quorum. Peut-être un autre référendum. Pas sûr que la Commission européenne apprécierait.
Depuis 1990, trois consultations ont rassemblé moins de 50 % des votants en Roumanie (les consultations de 1990 ont rassemblé plus de 86 % de l’électorat).
Le correspondant de[i] Reuters[/i] à Bucarest a estimé que la participation permettrait d’atteindre le quorum, mais ce n’est pas si évident.
Réaction d’une correspondante locale : « [i]d’où vient le blé pour payer tout cela[/i] (…) [i]on gaspille 25 millions d’euros pour complaire au caprice de l’USL[/i] (…) [i]On n’atteint pas les 40 % à 20 heures, et si l’orage s’en mêle, cela m’étonnerait que les gens se déplacent…[/i] ».
Tout cela pour ça, en quelque sorte.
Cela va se jouer à peu. Au pénitencier de Rahova, 1 121 détenus sur 1 192 pouvant voter se sont rendus devant l’urne mobile. En rangs par deux ?
En Roumanie, on peut se faire délivrer des papiers d’identité le dimanche.
Cela tombe bien, 21 507 cartes d’identités ont été établies, avant 17 heures, pour le seul dpt de Bucarest.
En tout cas, l’USL n’a pas lésiné pour aller faire voter.
Une correspondante a reçu trois SMS sibyllins dans la journée de dimanche.
Pouvant être attribués soit aux partisans de Basescu, soit à ceux de l’USL.
« [i]ton absence compte et quelqu’un va en profiter[/i] ».
Question : qui va payer la facture de tous ces appels ?
Vodaphone, Orange et d’autres opérateurs doivent se frotter les mains.
Beaucoup de destinataires ont voulu entrer en contact avec le(s) numéro(s) liés à ces textos… pour tomber sur un répondeur.
Ouf, il semblerait qu’on ne s’oriente pas vers un nouveau référendum ce lundi matin.
Ponta n’envisage pas de démissionner, car même si le « [i]looser[/i] » (Basescu) regagne la présidence, la Cotroceni, il est trop discrédité.
L’ennui, c’est qu’il n’envisage pas non plus que le président intérimaire, Crin Antonescu, se voit contraint de démissionner.
Donc, cohabitation, avec deux présidents ?
Les votes des Roumains de l’étranger du continent nord-américain, les derniers, se sont achevés à 09 h ce lundi, mais ils ne devraient pas modifier le résultat.
La troika (FMI, BM, CE) est de retour à Bucarest. Les choses sérieuses vont peut-être reprendre.