Après l’assassinat d’Hervé Gourdel, Pascal Bruckner, et d’autres, souhaitent que les musulmans de France le condamnent publiquement… Il se trouve que c’est déjà fait, au moins pour partie des prétendues « autorités » religieuses musulmanes françaises. Mais pourquoi donc vouloir ainsi renforcer l’ascendant présumé des imams « conformes » sur des populations, françaises ou immigrées, totalement indifférentes ou opposées au jihad ? Ne recrutons pas pour le Daesh ou ses affiliés.



Islamophobe revendiqué, car plus largement religiophobe, oui, pourtant, précédemment, j’ai exprimé (sur Come4news à diverses reprises, en diverses circonstances) que les musulmanes et musulmans prennent clairement position contre le jihad. Je devrais donc me réjouir que, dans Le Figaro, Pascal Bruckner abonde… Cependant, et ce n’est pas pour réfuter un personnage qui ne m’inspire qu’une sympathie mitigée au-delà de ses propos du moment, je reste réservé…

Plus intéressantes, car plus nuancées, me semblent les réflexions, dans Atlantico, d’Haoues Seniguer, qui analyse « le comportement des responsables des organisations islamiques de France et leur base sociale. ».

Tentons d’être limpides. Ma première réaction après l’annonce de la capture d’Hervé Gourdel fut de signaler que des otages, en France, nous en disposons de milliers. De milliers et non de dizaines ou centaines de milliers… Simplement, à la différence, non pas des États-Unis en général, mais d’un Bush (et à présent d’un Obama) et de leurs entourages qui maintiennent à Guantanamo des otages d’infimes poids et de responsabilités très limitées (voire inexistantes), je considère qu’il faut faire soigneusement le tri entre ces quelques milliers d’otages potentiels.

Antérieurement, Pascal Bruckner, fidèle soutient de BHL, avait estimé, cité par Jeune Afrique, que « nous ne sommes pas comptables de ce que les Lybiens font de leur liberté une fois qu’ils se sont affranchis de Kadhafi. ».

Et bien, si. De même que, malgré la plupart d’entre nous, nous restons comptables de ce que certains se revendiquant d’un nationalisme obtus, ou de leurs égarements qu’ils ne veulent renier, comptables de ce que non pas les, mais des Algériens ont fait de leur liberté une fois qu’ils se furent affranchis de ces mêmes nationalistes français.

En Algérie, « nous » avions fini par prendre des populations entières en otages.

Ce « nous » ne m’implique guère. Cependant, sensible dès la pré-adolescence aux revendications d’indépendance d’Algériennes et d’Algériens, je ne sais absolument pas qu’elles auraient pu être mes réactions si j’avais vécu non pas en France, mais en Algérie, parmi les futurs « pieds noirs ». De même que j’ignore quelle serait ma réaction à présent si j’étais du nombre des très jeunes sunnites d’Irak.

Mais pourquoi donc ce « nous » ne m’impliquerait que fort peu, tout en m’autorisant à penser que des personnes de diverses cultures musumanes, dont des athées, des agnostiques, vivant en France, devraient se sentir comptables des actes de Daesh et de ses déclinaisons ?

Pourquoi donc le devraient-ils alors que je me ressens peu responsable du véritable martyre (oui, le terme est idoine) subi par des Moudjahidins du Peuple (iranien) en France ? Lesquels furent livrés à l’Iran des mollahs (sauf une militante et deux militants qui s’immolèrent par le feu et d’autres qui restèrent incarcérés en France de 2003 à 2004 ou 2008 ; voir, dans Le Canard enchaîné de cette semaine « La "secte cruelle" de Sarkozy blanchie »).

Je comprends fort bien que des musulmanes ou musulmans, ou des personnes issues de pays se définissant musulmans, n’aient aucune envie de s’affubler de boubous et calots ou de voiles, dont ils se dispensent dans la vie courante, pour aller manifester contre Daesh et consorts. J’admets même que des barbus et des voilées ne se sentent absolument pas concernés (alors que, bien sûr, autant que « nous-mêmes », elles et ils sont comptables, à des degrés divers, du passé comme du présent).

Allons plus loin. Tout comme diverses et divers musulman·e·s, je considère que nombre des djihadistes sont totalement contaminé·e·s par certaines présumées « valeurs » occidentales. Soit le profit immédiat, le laisser-aller extrême, qui font que des camés et des violeurs se comportent à leur guise dans l’État proclamé islamique, que des jeunes filles ou des adolescentes croient qu’elles jouiront de davantage de biens matériels et de libertés qu’en France.

Simplement, à la différence de nombre de musulmanes et musulmans de diverses sortes, il me semble que le sens des responsabilités individuelles ne réside pas dans une tenue vestimentaire (fusse-t-elle estimée provocante : voile intégral ou mise ultra-légère), dans la fidélité martiale absolue, dans l’observation de rites et pratiques idolâtres (maquillées de diverses façons, ce que font pratiquement toutes les religions), pas davantage que dans un libertinage commode paré de principes philosophiques.

Toutes les chrétiennes et chrétiens sont-ils redevables des agissements d’un Pinochet, soutenu ardemment par le gros des bataillons du Vatican de l’époque ? De ceux d’un Francisco Franco et de ses cliques ? Tous les hindouistes doivent-ils se sentir coupables des véritables pogroms que certains d’entre eux infligent à des populations présumées vouées à d’autres cultes ?

Chacune et chacun peut admettre que oui, mais pourtant non. La masse des chrétiens ou des hindouistes n’avait, n’a guère bougé, ne bouge que bien peu, alors que d’autres, minoritaires, ont tenté et tentent d’agir, en prenant des risques limités ou insensés, en protestant faiblement ou en risquant leur vie.

Que faut-il à présent exiger du recteur Dalil Boubakeur, dont je salue l’initiative de nette condamnation du jihadisme ? Qu’il piétine publiquement le coran aux heures des prières ?

Ah non ! Au contraire, il faudrait contribuer à renforcer son autorité spirituelle de « bon musulman » éclairé ! Vaste foutaise…

Entre des chaises

Il faut saisir ce que constate, dans Atlantico, Haoues Seniguer. Soit que les organisations musulmanes en France (et ailleurs) se situent « dans un entonnoir ». « Prises en étau entre la nécessité de s’exprimer et en même temps de ne pas parler pour éviter que le lien soit établi entre l’Islam et l’État islamique, » résume-t-il.

Certaines, certains, veulent jouer les « bons » musulmans contre d’autres, tout comme d’autres avaient fait jouer (s’étaient joué des) les israélites et les Kabyles d’Algérie contre d’autres Algériennes et Algériens.

On constate ce qu’il en résulte à la marge ou majoritairement. Des israélites outrageusement valorisés tendant à faire tout accepter de l’ultra-sionisme israélien, des imams tendant à faire tout admettre des menées du Hamas ou d’autres. Et même des chrétiennes et chrétiens se réjouissant du fondalisme israélite susceptible d’éradiquer le musulman. Vaste illusion…

Je n’ai absolument aucune envie d’oindre de « bonnes » et « bons » musulmans du chrème d’un républicanisme à la « Framçaise ». Puis d’admettre en retour des contreparties réciproques.

Mais il faut aussi pondérer que je sois, que « nous » soyons, aussi pris dans un étau. Des autorités religieuses musulmanes ont fait soit ce que leur conscience, soit ce que leurs intérêts (et ceux des pouvoirs en place dans des pays se revendiquant musulmans) leur dictaient. Faut-il vraiment exiger davantage ?

À l’inverse, faudrait-il décourager les bonnes volontés musulmanes comme autrefois étaient tenus à l’écart les « cathos de gauche » estimés trop peu fiables par des organisations laïques, ou trop ou trop peu à gauche ?

En gros, oui, il faut opter, mais je me méfie des synthèses trop rapides, de la clarté d’expression qui convainc en faisant fi des effets pervers porteurs d’avenirs désenchantés. Haoues Seniguer dresse cependant un passablement bon état des lieux après les récentes manifestations musulmanes condamnant le jihad en Grande-Bretagne (ce ne sont ni les premières, ni les dernières).

« Au Royaume-Uni, dit-il, c’est une autre tradition "communautarienne", des gens s’expriment avec les apparences extérieures de l’islamité. En France, c’est une tradition républicaine qui vise à considérer les individus comme des citoyens et non comme appartenant à tel ou tel groupe ethnique ou religieux. ».

C’est à ces aunes qu’il faut se mesurer et ne pas prendre pour de la tiédeur le refus d’une opposition radicale mais indiscriminée ; radicale, oui, multipliant les bavures de manière de plus en plus décomplexée, non.

Prendre des otages ? Tant la Gestapo que la Résistance en prenaient, ou se livraient à des exécutions sommaires, tant la Gestapo que la Résistance se sont adjoint de grands criminels ou voyous, au nom de l’efficacité. Les historiographies ont recyclé différemment les uns et les autres, tout comme le pouvoir étasunien a recyclé d’ex-nazis pour s’opposer au stalinisme (ou le pouvoir gaulliste s’accommoder d’un Papon, le mitterandisme d’un Bousquet, &c.). Opter pour la riposte ou la résistance, oui, pas forcément pour telle ou telle méthode.

Mais comme il est plus « payant » de balancer des slogans ou de fortes paroles, de caricaturer l’adversaire comme si toutes ses composantes étaient à l’identique, on en vient à applaudir ou huer un Bruckner, à demander du sang ou à faire preuve, involontairement peut-être, de laxisme destructeur.

Les moyens ne justifient pas la fin

Élargissons. Dans Le Parisien, Jean-Christophe Ruffin, ex-ambassadeur au Sénégal, estime que « ce n’est pas encore une guerre de civilisations » et que les forces françaises, démunies, sous-entraînées, sous-équipées, ont déjà assez à faire au Mali pour ne pas aller se disperser en Irak (voire en Syrie, de fait). Certes, mais peut-on être aussi efficaces que possible au Mali sans l’appui discret des forces, ou plutôt de la logistique militaire, des États-Unis ? Comment, dans ces conditions, refuser d’engager des Rafale au Moyen-Orient ? « Cette prétendue audace relève de l’inconscience », ajoutait-il sur TF1. Peut-être… ou pas. Le sort d’Hervé Gourdel aurait pu tout autant dépendre de l’action de la France au Mali (plus largement, de fait, au Sahara, voire même en sa partie lybienne, qu’en savons-nous réellement ?) qu’en Irak. L’insuffisance des moyens ne justifie pas de mettre fin à toute intervention.

Y compris sur les modalités pratiques, des opinions divergentes sont recevables, et on peut imaginer que les Rafale se verront assigner en priorité des cibles où se concentrent des jihadistes susceptibles de revenir ensuite en France. Sauf qu’elles seront peut-être désignées par le renseignement étasunien…

La même opinion, émise par un Dalil Boubakeur, fusse-t-elle en fait le relai d’une Algérie inquiète de voir la France disperser des moyens militaires, ou l’expression de l’opportunité qu’offre Daesh de débarrasser tant la France que le Maghreb de jihadistes incités par d’autres à fomenter des troubles des deux côtés de la Méditerranée, serait-elle jugée irrecevable du seul fait qu’elle émane d’un religieux musulman en vue ?

Peut-être vaut-il mieux dispenser les autorités religieuses musulmanes françaises d’un appel à manifester mais obtenir d’elles la désignation discrète d’éventuels « otages » ? Allez savoir… Il faudra bien expérimenter au risque de se fourvoyer.

Bien cerner les enjeux

D’aucuns veulent transformer un conflit d’intérêts, y compris matériels et d’influences, en guerre de civilisations, sous couvert d’un catho-républicanisme (ou orthodoxo-ce qu’on voudra) ou d’un islam radicalisé, tous deux conquérants ou prioritairement désireux de s’emparer d’un appareil d’État(s).

La France catholique croisée s’allia ensuite avec la Grande Porte, musulmane version ottomane, et se trouve de fait confortant le prostestantisme sauce nord-américaine… voire l’ultra-sionisme israélien. Au nom d’idéaux spirituels, vraiment ? La France a réussi à la fois et successivement à instaurer une dictature chiite en Iran, puis à conforter une dictature laïque en Irak (qui virera au sunnisme actif le moment devenu opportun), sans trop s’aliéner les Émirats et l’Arabie, tout en ménageant Israël. Au nom du rayonnement spirituel et culturel de la France ?

Une secte judéo-chrétienne est parvenue, en se transformant en religion majeure, à dominer la majeure partie du Moyen-Orient, du Maghreb, du Sud de l’Europe, à s’étendre jusqu’en Malaisie et Indonésie, en Afrique… Ses marchands et militaires y ont prospéré, c’était d’ailleurs l’essentiel visé. Ce que vise ce nouveau califat, c’est d’abord le pouvoir matériel, en se fondant sur un interprétation du coran, comme d’autres l’ont fait d’une torah ou d’évangiles. Il a notamment (et non-exclusivement, donc) réussi à transformer d’ex-rappeurs et leurs groupies fascinés par le bling-bling des Nord-Américains en musulmans fanatiques obtenant d’autres avantages… sous des tenues différentes, mais toujours ostentatoires.

Beaucoup de musulmanes et musulmans de France partagent, pour partie évidemment, ce point de vue. Des autorités religieuses musulmanes françaises ont effectué le minimum syndical attendu. Restons-en là… inutile, par des injonctions appuyées, de recruter pour le jihad.

C’est du moins, n’en déplaise à Bruckner ou Seniguer, mon appréhension du moment.