C’est « l’évidence même ». Les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes. Partant, elles doivent cotiser plus longtemps que les hommes pour bénéficier d’un départ en retraite. Oui, mais, voila : passés 45-50 ans (et puis quoi, bientôt 40 ?), sauf pour des très hauts postes (et encore…) ou très « bassement » qualifiés, elles éprouvent aussi de lourdes difficultés à se reclasser. « Moralité », qu’elles se retrouvent donc en fins de droits (ASS), au RMI, avec pour perspective la dépendance (d’une compagne, d’un conjoint, de parents…) en attendant la retraite des vieux (si elle est maintenue…). Logique d’une méthode pour déshabiller Paule et habiller Pierre, en quelque sorte…

L’équilibre des régimes d’aides sociales diverses, des caisses de retraite, des prestations variées, répond à une logique sans faille, totalement comptable.
Elle est défendue par cette vaste droite qui ne veut pas aller jusqu’au bout de cette logique d’un seul coup, mais y prépare soigneusement l’opinion : que le meilleur, la plus apte, gagne… Donc, que le plus faible fléchisse.
On ne doit donc pas s’attendre à ce que, par exemple, les associations familiales de droite préconisent dès à présent l’eugénisme, l’euthanasie, et l’exécution des handicapés physiques ou mentaux ne pouvant rien produire ni verser de contributions.
Mais tout doucement, l’opinion y est progressivement préparée.

En attendant, on jongle. Une chômeuse, un sans emploi, qualifiés ou non, passé le stade réel – et non fantasmé, décrété égal pour toutes et tous – d’inemployabilité, coûte beaucoup moins cher en fins de droits (ASS, allocation spécifique de solidarité, à moins de 16 euros/jour), au RMI ou RSA (montant à peu près équivalent), qu’en retraite. C’est assez logique de ne pas verser à la personne une retraite décente, puisqu’elle aurait moins cotisé que d’autres. Admettons-le aussi, cela se vérifie (moins à présent) au Royaume-Uni, accorder un revenu décent à des handicapé·e·s peut générer des abus, des fraudes… Donc, l’opinion, éclairée par les pouvoirs publics, les syndicats patronaux et d’employés, cadres, ouvriers, une majorité des médias, se fonde sur des critères déclarés objectifs, la plupart du temps découlant de moyennes.

Eh bien, en voici une : le différentiel d’espérance de vie est de six ans en faveur des femmes (il décroit, mais… quel crédit accorder aux projections ?). Par conséquent, elles devraient travailler six ans de plus que les hommes. Ce différentiel tiendrait à ce que leur hygiène de vie (tabac, alcool, sports violents, &c.) serait meilleur que celui des hommes, admettons… Mais si on commence à entrer dans telles considérations, où va-t-on ? 

Là où cela se gâte, c’est qu’en réalité, selon les professions, y compris pour les postes les moins qualifiés, l’employabilité des femmes, sauf en télétravail, ou loin de tout regard, est beaucoup moins durable que celle des hommes. On voit à présent des cadres vieillissantes au chômage claquer leurs économies en interventions de chirurgie esthétique. Même si une Kate Middleton, vêtue d’une petite robe à trois euros, six cents, parviendrait sans doute à se faire embaucher en tant qu’ouvrière ou petite employée, la même, anonyme et au double de l’âge de la duchesse, ainsi vêtue, ne passerait pas le cap du premier entretien avec une recruteuse de cadres subalternes. C’est ainsi.

Les quinquas ou sexas, si elles ne sont pas hautement qualifiées pour des postes très techniques, ne sont plus embauchées sauf à se montrer suffisamment sémillantes, ou à disposer d’un réseau de parentèle ou relationnel très solide : cela vaut même pour les rares postes de concierges… Cela vaut aussi dans une mesure moindre pour les hommes, mais passé un certain âge, seuls les secteurs les plus en demande de main-d’œuvre embauchent des séniors.

Comme la droite, au sens le plus large (ce qui inclut une large, voire prédominante, partie de l’électorat de gauche) ne veut plus entendre parler de partage du travail, il n’y a plus de solution envisageable à moyen terme : on pourra maquiller les chiffres comme on voudra, un taux de chômage réel supérieur à dix pour cent est destiné à durer.

Je conversais hier avec un journaliste « remercié » peu élégamment par la CGT (en dépit du soutien du SNJ-CGT). Nous avons refait la « bataille de Verdun » de la presse et du labeur. Par rapport aux années du plomb, il m’est arrivé de remplacer à moi seul sept à neuf personnes. L’informatisation et mon acquisition continue de compétences empiétant sur celles d’autres corps de métier en est la raison principale. On pourrait multiplier les exemples mais considérer que des nuées de « marketeurs » ont compensé – un temps, des algorithmes les remplaçant – les cotisations non versées par ces ex-collègues devenus superflus, inutiles. Il est vrai que cela impliquait aussi du travail de nuit (pas toujours pénible) fréquent, non rémunéré, non récupéré : on est cadre ou pas, n’est-il point ?

Cela ne s’arrangera pas avec la robotisation, et même si les plus riches deviennent plus nombreux, tout le monde ne pourra devenir soubrette, majordome, tutrice ou dame de compagnie, &c. Les meilleures tables ne placeront pas le double de serveuses ou loufiats derrière la clientèle.

Il paraît que les Françaises et les Français (selon un sondage commandé par un titre clairement positionné à droite) préféreraient travailler plus longtemps que cotiser davantage. En fait, tout le monde préférerait travailler plus longtemps (et cotiser davantage si ses revenus croissaient en rapport) dans une occupation intéressante, valorisante, à proximité de son domicile, &c.

Bref, heig-ho, heig-ho, comme les sept nains, même le vieux Prof (ou Doc), irait volontiers piocher dans la forêt (et dans le dessin animé, le plus âgé ne souffre jamais de lumbago). Sauf que la mine de diamants inépuisable n’existe que dans les comptes pour enfants, ou qu’il faut un inépuisable trésor royal pour consteller tout le château, puis toutes les masures, de brillants.

Nombre de Françaises et Français doivent désormais attendre la trentaine pour obtenir un travail à peu près bien rémunérés et sont voués au chômage, inéluctable, de dix à quinze ans plus tard. Ils peuvent bien exprimer le « souhait » de travailler plus longtemps plutôt que d’éprouver davantage de difficultés à boucler les fins de mois, cette espérance est vaine.

Revenons-en aux femmes. L’optimal serait qu’elles travaillent jusqu’à environ 70 ans, sauf incapacité physique lourde, voire 71-72 ans, quand les hommes partiraient tous en retraite à 65 ou 67 ans. C’est logique, c’est « équitable » (après tout, les hommes peuvent bien mettre en route le robot-aspirateur, remplir le lave-linge ou le lave-vaisselle, surtout passés 65 à 67 ans, quand ils seront en retraite tandis que la compagne ira piocher en forêt).

C’est dans le droit fil de la logique qu’on nous « vend ». C’était d’ailleurs celle de la dame du château ou du seigneur du cru, qui travaillaient sans relâche à percevoir, jusqu’à leur dernier souffle, les redevances des serfs ou des métayers, hommes, femmes et enfants. Ou vérifiaient les comptes de leurs régisseurs, en matrones ou barbons avisés.

Il en est de même de nos jours : aux États-Unis, Robert Byrd, est décédé à l’âge vénérable de 92 ans, toujours en activité. C’était le doyen des sénateurs et nul doute qu’une sénatrice saura améliorer sa performance. En France, le rôle est tenu par Paul Vergès, 88 ans (qui démissionnera au profit de Gélita Hoarau… un jour, ou un mois prochain).

La France compte plus de 15 millions de retraité·e·s qui perçoivent en moyenne 1 256 euros par mois. Un niveau de revenu qui est plus proche des 1 300-1 400 euros pour une majorité, car la moyenne s’établit en fonction des 10 % qui perçoivent plus de 3 000 euros. Certes, les femmes perçoivent une retraite inférieure à celle des hommes, en moyenne du moins. C’est parce qu’elles n’ont pas cotisé en fonction de leur espérance de vie : en bonne logique comptable, elles ne doivent s’en prendre qu’à elles-mêmes. Elles partent certes légèrement plus tard que les hommes (six mois en moyenne, et on imagine que les guichetières de la RATP partent plus tard que les conductrices).

L’idée serait de faire passer la durée de cotisation à 42, puis 44 ans (rapport Y. Moreau). Pile-poil l’âge moyen où on vit certes, mais, en moyenne, avec une santé vacillante. En fait, la plupart des actuel·le·s salarié·e·s ne pourront jamais cotiser 42 ans. Ils percevront donc, peut-être, une retraite amputée, ne leur permettant pas de cotiser à une mutuelle. Donc, elles et ils se soigneront moins. Cela devrait réduire le différentiel d’espérance de vie entre hommes et femmes. Mais, ne nous leurrons pas, s’il était décidé, selon la logique comptable, d’allonger artificiellement le temps d’employabilité des femmes, en fonction de leur durée de vie moyenne, si elle venait à fléchir, on ne reviendrait pas en arrière. D’ailleurs, voyez ces « châtelaines » qui gèrent des relais et châteaux, héritages familiaux… Elles pourront sans doute cumuler activité et retraite à taux plein…

Si l’on prend la logique comptable pour référence, oui, il faut que les femmes travaillent plus longtemps. D’ailleurs, 14,1 % des hommes meurent avant 62 ans, donc ne perçoivent plus de retraite, contre 6,7 % des femmes. Madame Parisot voulait reculer l’âge du départ à 67 ans. Là, c’est pire : 19,7 % des hommes, contre seulement 9,4 % des femmes (différentiel de dix ans et trois mois) survivent, selon des statistiques de 2010. Les hommes auront donc cotisé pour les femmes, globalement, bien davantage que l’inverse.

Cette présentation des faits est irréfutable. Totalement. Sauf si on considère qu’en réalité, les entreprises – y compris dans le public qui sous-traite de plus en plus au privé (par ex., pour la formation, aux syndicats, via des associations) – ne vont pas du tout, du tout, davantage employer les séniors, et sans doute moins encore les femmes que les hommes. Enfin, si… le directeur, la directrice, actionnaire, peut-être, si pas trop minoritaire. Nicole Notat (CFDT), Laurence Parisot (CNPF puis Medef), n’ont pas trop de souci non plus à se faire : elles restent employables. L’Usine nouvelle voit très bien Laurence Parisot en députée européenne…

Laurence Parisot confiait encore récemment (à BFMTV) qu’il « ne fallait pas mentir aux Français » sur le dossier des retraites, en ajoutant « ce sont des calculs mathématiques » qui plaident pour l’allongement des périodes cotisées et de l’âge du départ en retraite. Ah, si c’est mathématique…

Eh bien, qu’elle dise clairement : il faut allonger la durée des femmes considérées employables (employées, c’est tout autre chose) en situation d’activité présumée beaucoup plus longtemps. Surtout ne pas jouer à truquer les mathématiques avec les Françaises. Mais L’Usine nouvelle se trompe : c’est sûr, Madame Parisot renoncera à une place éligible sur une liste européenne au profit d’une plus jeune, à laquelle il manquera des trimestres de cotisation pour la retraite… J’en ai d’ores et déjà quelques-unes (forte litote) à lui présenter… Une vraie féministe réaliste, Laurence Parisot.