Rendons hommage aux poilus

Qu'il me soit permis d'évoquer un peu Lazare Ponticelli, le dernier des derniers poilus, mort donc à l'âge de 110 ans. Il était né en 1897, en Italie, parti après sa famille de sa montagne natale, à l'âge de 9 neuf ans pour gagner Paris. Lorsque la guerre éclate, désoeuvré du fait des évènements et sans ressources,  il s'était engagé dans la légion étrangère à16 ans,  faisant le choix de servir la France, plutôt que de partir dans le régiment de Garibaldi. Avec ses camarades il connaîtra comme d'autres l'eau, la boue et les rats des tranchées, et tiendra toujours parole vis à vis de ses camarades, tombés sous les balles, les obus ou le gaz : "le dernier qui reste viendra nous voir."
C'est l'Elysée qui a annoncé sa mort et le président a déclaré dans un communiqué "J'exprime aujourd'hui la profonde émotion et l'infinie tristesse de l'ensemble de la nation alors que disparaît Lazare Ponticelli, dernier survivant des combattants français de la Première guerre mondiale". Un hommage national lui sera rendu dès lundi prochain aux invalides, une messe et des soldats en uniformes de l'époque. Le poilu avait d'abord refusé à plusieurs reprises avant d'accepter une cérémonie pour l'ensemble des poilus. 

Au risque de paraître un peu sentimental à bon nombre de lecteur : lorsque ce dernier des derniers poilus, de ceux-là qui ont échappé au massacre que fut cette grande guerre, la "der des ders" qu'ils disaient, a disparu, j'ai ressenti une immense peine. Non pas que cette mort me paraisse injuste, à 110 ans on peut tout de même tirer sa révérence et selon sa fille "il est mort comme en s'endormant". Mais on ne peut rester insensible à la souffrance de ces jeunes hommes qui ont combattu ainsi. Lazarre disait "Nous avons fait une guerre sans savoir pourquoi nous la faisions."
De fait tous ces jeunes hommes partaient insouciants. Ils pensaient que la guerre ne durerait pas, que tout cela serait vite réglé, qu'ils reviendraient rapidement glorieux… Ils sont partis enthousiastes, sans doute à l'image du personnage de Céline, Ferdinand, qui voyant un régiment passer, s'engage aussitôt. Ils ont rapidement déchanté. C'est certainement en cela que l'hommage aux poilus à travers le dernier d'entre eux est nécessaire, c'est un devoir de mémoire qui s'impose. Toute une génération de jeunes hommes, des jeunes gens simples souvent, issus de la terre, a littéralement été sacrifiée, en le faisant pour le pays et pour des raisons politiques qui ne s'imposaient pas. Derrière les lignes, la guerre ne paraissait pas si terrible et faisait parler tranquillement les civils, insouciants eux-aussi.
Lazare représentait le dernier lien vivant avec cette tragédie. Dans cette guerre bon nombres de jeunes hommes sont tombés, parfois ils couraient dans la boue avec les balles qui sifflaient autour de leurs têtes, ou tombaient sous les obus. Combien furent amputés, blessés? Ils furent certainement marqués à vie pour chacun d'entre eux.  Dans les "paroles de poilus"  les témoignages sont simples et émouvants, non pas des va-t-en guerre, mais de simples soldats venant de partout en France, soucieux de leurs familles et fraternels avec leurs camarades. De simples hommes du XIXème siècle, qui font la guerre par devoir pendant que des technologies du XXème siècle font leur apparition. Gaz moutarde mais aussi des armes de plus en plus sophistiquées.
Lazare lui-même évoque ces souffrances des blessés de la guerre mais aussi les fraternisations avec les soldats adverses, qui faisaient aussi sans haine ce qui était considéré comme un devoir. Les écrits d'Aragon témoignent également très bien de cette époque, des personnages un peu désabusés, atteints moralement par la guerre. Son poème "Il n'y a pas d'amour heureux" s'adresserait en fait à la France plutôt qu'à une personne en particulier. Céline aussi bien sûr décrit les horreurs de la guerre et des hôpitaux, dans son fameux livre "Voyage au bout de la nuit". Après cette guerre, il était sans doute fatal de rechercher un sens à la société.
Qu'on me permette de parler un peu de moi-même. J'ai effectué mon service militaire en Allemagne dans la Brigade franco-allemande  . Les appelés y sont mélangés, français et allemands. Ce serait mentir de dire que tout le monde s'y entendait, ce n'est pas vrai. Les allemands et les français étaient souvent de leur côté et des différences culturelles apparaissaient. Mais des amitiés se nouaient malgré tout. Nous avions été emmené à Verdun, au musée, à l'emplacement où s'étaient affrontées les deux armées par le passé. On peut y voir les tranchées, mais aussi un film sur la guerre. A l'écran, les hommes s'affrontaient, à coté de moi un soldat allemand, un bon copain du régiment, avec lequel j'avais fraternisé. Nous étions tous deux en uniforme. s'il l'avait fallu, peut-être nous serions nous retrouvé l'un en face de l'autre, sans nous connaître…
Lazare se préoccupait particulièrement de témoigner. Il se déplaçait dans les écoles malgré la fatigue et assistait chaque 11 novembre aux cérémonies pour les anciens combattants. Il avait donné un entretien pour libélabo.fr, en cinq parties (voici la première  ), tout à fait digne d'intérêt, dans lequel il relate quelques souvenirs du front. Il s'y est parfois comporté en héros, allant chercher un blessé sous les balles ennemis notamment. Placé ensuite dans un brancard, l'homme qui avait attendu longtemps qu'on vienne le chercher, l'avait appelé, saisi par le cou, et déclare-t-il "Il m'a embrassé et m'a dit : "Merci pour mes quatre enfants." Je n'ai jamais pu savoir ce qu'il était devenu." Lui même avait plus tard reçu un éclat d'obus dans la tête et pour le lui ôter, quatre autres soldats l'avaient tenu, pendant que le chirurgien faisait son office.
C'est peut-être l'occasion de découvrir, pour ceux qui ne le connaîtrait pas, le film "Les croix de bois"  . L'on peut comprendre à travers ce film combien il a pu sembler nécessaire de témoigner pour les vétérans de l'horreur de ces combats. Les figurants comme la plupart des acteurs avaient connu la guerre et dit-on, ce film fait en partie office de documentaire. Les scènes seraient relativement proches de la réalité, vécu oblige.
Le Monde a fait un excellent papier sur le dernier poilu  voir aussi l'article sur europe1  une lettre de poilu et la biographie de Lazare Ponticelli.
Un extrait du film "Les croix de bois".
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3 réflexions sur « Rendons hommage aux poilus »

  1. Ca y est… Tous nos témoins de cette Grande Boucherie (je veux parler de la 1ère Guerre Mondiale) sont partis sous d’autres cieux, parmi les braves (ennemis d’hier ou amis d’aujourd’hui)…

    Il est dommage qu’un hommage appuyé ne leur fut pas rendu quand ils étaient vivants !

    Tous ont témoigné de ces horreurs… Tous aspiraient à la paix… Certains d’entre eux ont également combattu lors de la IIè Guerre Mondiale, entrant, pour beaucoup d’entre eux, dans la Résistance !

    La paix retrouvée, ils n’ont jamais eu la haine de l’Allemand… Ils ont eu la haine de toutes ces guerres, qui massacrent tant de personnes…

    La guerre n’est jamais propre !

    Alors, il faut rendre un vibrant hommage à Lazare Ponticelli, qui fut un brave parmi les braves… Il faut rendre un vibrant hommage à toutes ces femmes, tous ces hommes, qui sont morts pendant cette Grande Boucherie, pendant la Shoah, pendant toutes les guerres passées et présentes…

    Lazare Ponticelli nous aura donné une belle leçon d’Union européenne : pas celle des Eurocrates ou des Commissaires, mais celles de ces Français, Britanniques, Allemands… fiers d’être Citoyens de leurs pays dans une Europe des Etats où tous les pays européens sont des Alliés !

    Puisse-t-il ne plus y avoir de guerre (?). C’est à espérer…

  2. Bonjour Dominique.

    Je ne crois pas que l’Union européenne nous préservera, mais j’espère en l’amitié entre les peuples pour nous préserver d’autres massacres.

  3. Ca y est… Tous nos témoins de cette Grande Boucherie (je veux parler de la 1ère Guerre Mondiale) sont partis sous d’autres cieux, parmi les braves (ennemis d’hier ou amis d’aujourd’hui)…

    On va commencer à pouvoir écrire l’histoire de la première guerre mondiale.

    Avez vous remarqué qu’on a attendu les années 80 pour commencer à s’y intéresser?

    Heureusement il y a des écrits mais un exemple, les fusilliés combien en reconnaît on?

    Quand commencera t on à considérer des personnes comme Nivelle comme les bouchers qu’ils sont?

    Ne devrait on pas traduire leur mémoire en justice?

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