Voilà un mois, jour pour jour, que j’ai posé le pied ici.

Un mois et j’ai encore du mal à réaliser. Je me dis que « tout ça » peut m’être enlevé et c’est l’angoisse, l’angoisse de devoir rentrer en France, ma terre natale.

Enfant, j’ai eu la chance de venir vivre à Tahiti quelques années et la rencontre avec cette terre a été pour moi une révélation, une seconde peau. J’ai aimé… j’ai tout aimé. Les gens, leur malice, leurs chants et danses, cette culture orale, pour l’essentiel. Un art de vivre, simple et direct, en accord avec l’environnement, en bonne intelligence avec la terre et la mer nourricières… Une langue très « ronde », emplie de voyelles, jouant spontanément le jeu de la séduction. Et puis, les parfums omniprésents, l’intensité des couleurs, l’incroyable générosité de la Nature, la puissante luminosité des lieux ; la transparence de l’eau…

Pureté et abondance, une saine naïveté, quelque chose de l’enfance… quelque chose que nous avons tous égaré, nous, en métropole. Avant de venir, j’ai été mise en garde sur la vie chère, le racisme, la petitesse de l’île et son effet prison. Alors oui, en effet, c’est cher.

Sur la question du racisme, je dirais que c’est souvent une juste réponse à la bêtise hautaine des européens.

Quant à ceux qui voient Tahiti comme un simple « périmètre de circulation » avec ses 120 Km n’ont rien compris et ne regardent pas où il faut.

La Polynésie française est un ensemble de paradoxes inattendus et surprenants qui se côtoie quotidiennement, partout, bouleversant tout « repère d’échelle » habituellement accessible en France. Pour donner une idée, la Polynésie est aussi grande que l’Europe, pour l’équivalent de la population de la Corse. De Papeete à Taravao, le trajet dure de 1h à 1h30 pour 60 Km, selon la circulation ; ici, ils disent « c’est loin », moi je dis « c’est long ».

Il y a ici une mixité indescriptible, des « demis » de tout, du monde entier, comme ça, sur un bout de terre complètement perdu dans le Pacifique.

Leur esprit est ouvert, majoritairement tourné vers la Nouvelle Zélande, les Etats Unis, l’Amérique du sud, destinations qui bénéficient de leurs univers artistiques, de leurs écrits, un monde que nous ignorons, focalisés que nous sommes sur le tamure, leurs danses et chants emblématiques.

En politique, chacun laisse l’autre exposer son idée, sans interruption, sans cri ni huée, même si les désaccords sont vifs… les commissions en assemblée sont courtoises !! Prenons acte !

Tout le monde ou presque se connaît, se salue, s’appelle par son prénom… qui peut me dire le prénom de tous ses voisins, juste les immédiats ?

Le seul « vous » que j’ai entendu est celui qui, de temps à autre, m’échappe ; et oui, la décontamination est dure. Cette universalité du « tu » met tout le monde à niveau, désamorce beaucoup des tensions qui auraient éclaté en France, dans les mêmes conditions : une voiture gêne le passage, un petit coup de Klaxon, quelques mots échangés, un sourire et ça passe. Pas la peine que je décrive la même scène par chez nous, n’est-ce pas.

Alors, si au bout d’un mois, j’ai pu voir tout ça, qu’en sera-t-il après des mois, des années, quand j’aurai eu le temps d’explorer vraiment davantage ? C’est sûr que si l’on prend juste un vélo et se contente d’admirer le bitume, le nez dans le guidon, je dirais… qu’il faut juste un peu changer d’attitude, juste un peu ouvrir ses yeux pour espérer entrebâiller, voire ouvrir, UN PEU, ses perspectives.

Tahiti n’est pas petit, seulement le regard qui s’y pose.