Nicolas Sarkozy annonce d’autres opérations afin de faire expulser ou incarcérer d’autres personnes que les 19 interpellés ce vendredi lors d’une rafle dans les milieux islamistes. Le bon peuple – dont je suis – abonde sa réflexion de bon sens : « quand on habite dans un quartier, on n’a pas à y habiter avec une Kalachnikov ». Ce même bon peuple – dont je ne suis plus – applaudit donc ensuite le Raid, le GIGN, la DRCI et Nicolas Sarkozy, en toutes circonstances similaires, sans trop vouloir se poser d’autres questions. 

Peut-on revenir sur l’affaire Mohamed Merah, mais aussi celle de Tarnac, celle d’Adlène Hicheur, sans se faire huer ? C’est, dans certains milieux, une gageure. La psychologie collective fait que plus des informations dérangent les gens et ébranlent leurs certitudes et leur confiance dans ceux qui les gouvernent, moins elles deviennent audibles, plus elles s’oublient, et finissent par être considérées nulles et non avenues.

C’est d’autant plus vrai chez une majorité de gens qui ne lisent pas, ou peu, regardent distraitement les infos télévisées, sauf événement particulièrement marquant, restent le plus souvent calfeutrés chez eux, échangent peu de propos sur les lieux de travail, participent très peu à la vie publique. Il est – presque – inutile de chercher à les convaincre sur le moment et l’adage patience et longueur de temps ne s’appliquent à eux que parcimonieusement.

Nicolas Sarkozy le sait sans doute mieux que personne. Prenez, par exemple, l’intervention en Libye, faisant suite à une préparation bâclée de déstabilisation du régime des Kadhafi ayant visé à armer de petits groupes d’émeutiers dès le départ, contrairement à ce qui s’était passé en Égypte ou en Tunisie. Les conséquences sont celles que l’on constate, récemment au Mali, et en Libye même, mais personne n’ose critiquer frontalement trop fort le fiasco qui s’ensuit. Au contraire, toute critique vous assimile à un suppôt du clan Kadhafi.

De même, dans l’affaire de Tarnac, vous voilà classifié mauvais citoyen et agitateur si vous relevez que la fameuse ultra-gauche s’apparente à une utile fiction et que le dossier policier, monté pour faire plaisir à l’ex-ministre Michèle Alliot-Marie, s’est effondré, était creux, mais minutieusement rempli.

Le « terroriste » Adlène Hicheur

Depuis 2009, un présumé ultra-dangereux terroriste islamiste radical djihadiste est incarcéré. Il est à présent jugé (jusqu’à demain, devant le TGI de Paris) pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Pendant tout ce temps, Mohamed Merah et d’autres étaient certes surveillés, mais pas vraiment trop inquiétés.

Adlène Hicheur était chercheur au Cern de Genève, car docteur en physique des particules. Cela ne qualifie absolument pas pour fabriquer une bombinette nucléaire, même « sale » (soit bricolée), mais c’est ce que soutenait l’ex-ministre Brice Hortefeux. Or, en fait d’association, le malfaiteur désigné comparait seul (où sont donc les autres ? Avec Aqmi, au Mali, dans le sud de la Libye ?).
Patrick Baudoin, son avocat, président d’honneur de la Fédération internationale des Droits de l’Homme, évoqué lors de l’affaire des moines de Tibhirine et celle du suicide du journaliste Didier Contant, et pas vraiment en odeur de suspicion du côté des services français, est très net.
La justice n’a pas trouvé dans le dossier policier « ni le moindre début d’intention, de mise en œuvre d’un projet précis relatif à la préparation d’un acte de terrorisme. ».
La DRCI a tellement cru à son coupable qu’elle a mis six mois avant d’envoyer une commission rogatoire en Suisse et on ne peut pas dire que l’Interpol ou des services étrangers se soient vraiment penchés sur le cas de ce présumé « pré-terroriste ». 

Que la police se soit intéressée à Hicheur, soit. Qu’il ait été arrêté après avoir échangé des courriels et messages sur des forums avec un réel terroriste d’Aqmi, soit. Mais dans ce cas, qu’on arrête aussi ses « complices », comme Jean-Pierre Lees, directeur-adjoint du laboratoire du Cern, qui préside son comité de soutien, le prix Nobel américain Jack Steinberger ou l’ex-parlementaire suisse Jean Ziegler. Soyons cohérents. Et puis aussi ces membres du renseignement américain (qui avaient logé Mohamed Merah au point de le déclarer interdit de vol) qui ont dédaigné d’interroger, malgré les bons offices de la justice française, le fameux artificier présumé d’Al Quaeda. De même, ces officiers algériens, sollicités dix mois après l’arrestation d’Hicheur, et qui ont traité son cas par-dessus l’épaule et même libéré rapidement son contact en Algérie. Et même les magistrats suisses qui ont classé l’affaire sans suite.

En fait, on en vient à se demander si les mystérieux correspondants sous pseudonyme d’Hicheur n’étaient pas en fait des officiers du renseignement qui voulaient absolument prouver qu’il pourrait se radicaliser et passer à l’acte.

Merah, indic ?

On peut fort bien comprendre que les services veuillent infiltrer des groupes islamistes djihadistes. Yves Bonnet, ex-préfet patron de la DST, qui avait déjà mis en doute la version officielle d’un soulèvement spontané de seuls civils en Libye, relève : « le garçon avait manifestement des relations avec la DCRI. ». Et peut-être suivi par un correspondant ou un officier traitant. 

Qu’on s’en souvienne, avant de se retourner contre les États-Unis, Ben Laden était en contact étroit avec la CIA. Avoir un correspondant, « ce n’est pas anodin », relève Yves Bonnet dans son entretien avec le quotidien régional La Dépêche.

D’autres estiment que Merah était supervisé par un subalterne du préfet Érard Corbin de Mangoux, nommé par Sarkozy à la tête de la DGSE en 2008. Selon la presse italienne, ce serait la DGSE qui aurait permis à Merah d’obtenir un visa israélien. On ne sait trop si le Shin Bet, son homologue israélien, a ainsi voulu tester les homologues israélien de la PAF.  

Parmi les 19 arrêtés ce matin, combien d’infiltrés fiables, combien de manipulés trompeurs à la Merah ? Ou qui tient qui par la barbichette et dans quel but au juste : obtenir une promotion ou faire vraiment reculer la menace terroriste ? Endormir le renseignement français pour mieux faire ensuite cavalier seul et finir « martyr » ?

Pourquoi Merah a-t-il été liquidé ? Pourquoi avoir donné l’assaut ? Poser ce genre de question vous catalogue de suite : pro-djihadiste. Au prétexte peut-être que Merah se serait servi de son procès d’assises pour clamer sa détermination islamiste ? On l’a vu au procès de Carlos, certains ne regrettent rien, argumentent. Dans le cas de Merah, ce risque existait-il vraiment ?

Je veux bien comprendre que les voisins de Merah aient voulu regagner au plus vite leurs logis. Mais je doute fort que la décision de donner l’assaut ait été prise en leur faveur.

En réalité, on a joué avec le feu avec des salafistes radicaux libyens, et on joue encore de même avec les frères musulmans syriens. On a peut-être joué avec Merah, et dans ce cas, ce sont pas seulement les victimes, militaires ou israélites, qui ont perdu. Jamel Debbouze, dans Le Soir, s’interroge : « Là, on est en train de mettre dans la tête de jeunes qui ont le potentiel de Mohamed Merah de devenir des Mohamed Merah. ». Ce n’est, heureusement, pas sûr…

Nous avons, avec « notre ami » le roi Mohamed VI un autre Ben Ali. Sa famille, comme les Ben Ali, élimine toute concurrence, on le conforte en laissant Renault s’installer au Maroc, et on stigmatise bien davantage les modérés tunisiens d’Ennaha que les sujets islamistes du souverain alaouite.

Hiatus et contradictions

Après l’affaire Merah, il fallait être bien présomptueux pour garder des armes en étant affilié à la mouvance djihadiste Forsane Alizza. On aurait pourtant trouvé chez les interpellés des fusils divers, des pistolets, des tasers et une grenade. Un vrai cadeau pour la presse…

C’est donc en fin de mandat que passe efficacement le karcher ? Après tant et tant d’opérations coups de poings généralement fort peu fructueuses ? 

Mais ce genre de questionnement n’est pas de mise après les propos si justes et l’attitude si digne du président-candidat. Il convient au contraire de relever, avec les partisans du candidat-président, que les interpellations se sont déroulées dans des régions à direction socialo-communiste et pas en Alsace (seule région restée UMP). C’est bien la preuve que les socialistes encouragent l’islamisme radical. D’ailleurs, le dernier attentat de masse en France, c’était sous les socialo-communistes, alors, hein !

C’est oublier un peu vite que Merah avait frappé une mère de famille, Malika, l’avait menacé de mort, déclarait qu’il était un moudjahidin, et que cette dernière avait porté plainte, de manière très étayée, dès le 25 juin 2010. Et franchement, le maire de Toulouse, Pierre Cohen (PS) n’est pour rien dans la suite qui a été donnée à cette plainte. Et c’est de fait le préfet qui a décidé, contre l’avis du maire, de faire inhumer Merah à Cornebarrieu, près de Toulouse.

Claude Guéant a réfuté que le coup de filet de ce jour corresponde à une « opération de communication ». Qu’il s’agissait d’une décision judiciaire. 

D’un côté, on fait affréter deux bus, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes, afin de fournir des barbes et des voiles au meeting de Sarkozy à Villepinte, de l’autre main on caresse dans le sens du poil l’Union des organisations islamiques de France (jusqu’à l’affaire Merah en tout cas), et au final, Jeannette Bougrab (UMP) dénonce les socialistes qui « préfèrent le différentialisme et le communautarisme ».

On a joué dans ce pays un jeu malsain avec les groupes religieux, les composantes sociales d’origines allogènes, les immigrés, &c. C’en est parfois à se demander si les « démocrates d’apparence » ne sont pas plus nombreux que les « musulmans d’apparence ». Mais, cela, l’écrire, c’est faire le jeu du terrorisme face à un président si « digne », au ton « si juste », et si résolu à protéger contre l’insécurité… souvent gardée au bain-marie pour s’en servir au bon moment.