Maurice Druon nous a quitté hier, l'âge de 91 ans, à son domicile. Rapidement des réactions ont salué sa mémoire. C'est surtout l'auteur des rois maudits et le résistant qu'il fut, également parolier du chant des partisans, qui est salué dans ces premières réactions.

Comme pour Julien Gracques il y a peu de temps, tout le monde ne connaît pourtant pas Maurice Druon. Pas les plus jeunes. Pas ceux qui n'ont pas grandi en regardant la série dédiée à son roman, le plus connu de lui sans doute, que sont les rois maudits.
Au fil des articles qui paraissent autour de l'homme, l'on perçoit un tout autre personnage, plus haut en couleur, plus romanesque : non, Maurice Druon n'est pas le simple auteur des rois maudits! Il est bien plus! Il est un roman à lui seul, un personnage épique, il est ce que notre époque ne fournit plus, il est une aventure à lui seul.

 

De par sa naissance, il était en quelque sorte prédestiné. Comment ne pas s'intéresser au roman avec un père à la comédie française, Joseph Kessel pour oncle, avec pour grand-père le roi du royaume éphémère d'Araucanie et des oncles et grand-oncles tous écrivains, savants ou poètes.

Il y avait, d'une telle descendance, de quoi hériter d'un caractère accompli : ce sera le cas de Maurice Druon, dans une époque déjà trouble.  Né en 1918, à la fin de la première guerre mondiale, il n'échappera pas à la deuxième et sera parmi les mobilisés en 1940, participant à la campagne de France. Il passera suite à l'occupation la frontière espagnole avec son oncle Joseph Kessel, en déclamant des vers pour tromper la lassitude d'une longue marche nocturne, dans le but de gagner Londres, depuis l'autre côté de la frontière.

Chacun le sait à présent, c'est là que Maurice Druon écrira les paroles du chant des partisans. De fait, notre auteur avait commencé à écrire jeune, dès l'âge de dix-huit ans, notamment pour des revues, tandis qu'il accomplissait ses études à la Faculté des lettres de Paris puis à l'École libre des sciences politiques. Dans ces romans, le verbe est juste, le mot est bien placé. Correspondant de guerre jusqu'en 1944, il recevra le prix Goncourt pour son roman "Les grandes familles", que toute personne se targuant d'aimer la littérature se doit d'avoir lu.

Ce n'est donc pas par hasard qu'en 1967, Maurice Druon entre à l'académie française. Il n'a pas encore 50 ans et a été élu en 1966 pour le fauteuil de Jean Duhamel. Dans le discours de réception, M. Pasteur Vallery-Radot lui répond dans des termes fort juste : "Quelque chose nous a plu : vous avez du charme." Et le charme de Maurice Druon se retrouve d'abord dans sa belle voix grave, dans un phrasé impeccable qui se perdra après son époque.

"Druon, continue-t-il : on trouve ce nom dans une chanson de geste ; il est porté par un géant légendaire qui terrorisait Anvers… On le trouve aussi dans le dictionnaire des saints : au XIe siècle un saint avait pris ce nom."

Un géant! Comme cela va bien à notre auteur! Mais si son roman "Les rois maudits", à travers lequel il accède à la célébrité suite à la série télévisée, est basé sur une erreur historique bien volontaire et bien pardonnable, puisqu'elle sera la clef du roman, et si cet ouvrage a pu réjouir la jeunesse de beaucoup, il n'est pas l'auteur d'un seul livre. De son amour de l'antiquité grecque, il écrira "Alexandre Le grand" et "Les Mémoires de Zeus", qu'il faut également avoir lu, parmi ses autres livres. Il a aussi été polémiste, un polémiste de talent.

L'on retiendra aussi une phrase de son passage au ministère des affaires culturelles, en 1973 :"Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov devront choisir", ce qui marque bien chez l'homme de lettre le goût de l'ordre, ne dira-t-il pas "L'anarchie m'a toujours paru aussi haïssable dans le verbe que dans la société"? Il n'échappera pas à une manifestation à son encontre… Le caractère est bien là, et toujours accompagné du verbe! Il sera également député de 1978 à 1981, sous étiquette RPR, fidèlement à ses opinions gaullistes.

Dans un de ces derniers essais parus, "La France aux ordres d'un cadavre", il décrit une France au bord de l'insurrection et blâme la faiblesse des dirigeants français pour les évènements de mai 68. Selon lui, la France en est restée influencée par le marxisme de l'URSS, et de l'entrisme qui en a découlé, ce dont proviendraient toutes les difficultés de notre pays à se moderniser. Il préconise quelques solutions dans "Ordonnances pour un État malade". Des solutions énergiques mais qui restent mesurées après une description très juste et lucide des problèmes français.

Fidèle à son énoncé sur le verbe anarchique, il était très impliqué dans la défense du français. Dans une tribune pour le figaro, il tempête contre le mauvaise usage de la langue, commençant sa diatribe par " Le régime stalinien était spécialiste du détournement des mots afin de leur faire revêtir un sens différent de leur signification première, sinon même leur donner un sens franchement contraire." et de dénoncer tous les travers de langage de notre nov'langue moderne, à commencer par le détournement de la grammaire..

C'est donc un personnage haut en couleur qui s'en va. Un de ces derniers géants que le XXème siècle nous avait légué, encore tout imprégné des humanités, encore imprégné de la lutte qui s'était engagée entre les différentes idéologies qui furent la ruine du siècle.. On peut ne pas être d'accord avec Maurice Druon, mais il reste difficile de lui être insensible.