Interview de Mahaman Laouan Gaya pour le Républicain du Niger

Le Républicain : Monsieur le ministre, vous avez pris part récemment à un colloque international en France, au cours duquel vous avez présenté une communication axée sur la dette. Le service de la dette du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Kenya, du Niger…représente de 33 à 40% de leur budget alors que les services sociaux n’en représentent à peine que 10%. Est-ce cela qui vous a amené à dire avec force que nous ne devons pas payer la dette ?

Mahaman Laouan GAYA: Aujourd’hui, tous les experts s’accordent pour reconnaître que l’endettement des pays africains constitue pour eux un goulot d’étranglement sur le chemin du développement. Les tentatives de juguler cette bulle de la dette n’ont pas fait défaut. Il y a eu en 1985 le plan BAKER, en 1989 le plan BRADY, en 1999 c’était au tour l’iPPTE, (l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés), et depuis 2006 l’IADM (l’initiative pour l’annulation de la dette multilatérale). Malgré cela, et selon « Les indicateurs du développement dans le monde – 2005 » de la Banque Mondiale et « Le rapport sur le développement de l’Afrique – 2006 » de la Banque Africaine de Développement, l’encours total de la dette extérieure des pays d’Afrique ne cesse de monter, passant de 165 milliards US$ en 1988, à 223,3 milliards US$ en 1995, et à 231,4 milliards US$ en 2003. Selon d’autres études, entre 1980 et 2002, l’Afrique a reçu 540 milliards US$ en prêts et en a remboursé 550 milliards US$. La dette de l’Afrique Subsaharienne a ainsi été multipliée par 4, passant de 45 milliards US$ en 1980 à 175 milliards US$ en 2003 et la dette extérieure publique de l’ensemble de l’Afrique quant à elle est passée de 89 milliards US$ en 1980 à 231 milliards US$ en 2003. Bien entendu, des facteurs endogènes, comme la corruption, la gabegie, les détournements de deniers, les principes de gouvernance démocratique mal ou pas du tout assimilés, et la gestion cahoteuse et  »amateuriste » des nouvelles classes politiques nées des conférences nationales ont joué un rôle important dans le développement de cette crise.
Mais les facteurs exogènes également, comme l’augmentation de la facture pétrolière, la détérioration des termes de l’échange, l’augmentation des taux d’intérêt, sont également au nombre des causes de son déclenchement. Il faut quand même reconnaître et cela est une évidence que la dette a déjà été remboursée plusieurs fois: pour 1 US$ dû en 1980, les Etats africains ont remboursé 4 US$ mais en doivent encore 2,5 ! Pour la majorité des États africains, le remboursement de la dette contractée depuis les années 1970 constitue le principal frein au développement socio-économique. Pour certains pays, le poids de cette dette correspond jusqu’à 35% de leur budget national chaque année contre 10% pour les services sociaux. Tant d’argent qui ne peut être investi dans les services de santé, d’éducation, d’hydraulique et de logement alors que les taux d’analphabétisme, de mortalité infantile, de chômage et de banditisme battent des records internationaux. Dans ces conditions, il est illusoire, relève la CNUCED, d’espérer que l’Afrique puisse réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015, conformément aux OMD fixés par l’ONU. Voilà le constat amer qui est fait de cette situation. Le principe de l’annulation de la dette fait l’objet d’intenses débats sur le plan international au point de devenir un plaidoyer contradictoire. Les arguments en faveur ou contre une annulation non conditionnelle de la dette ne manquent pas. Le risque est aujourd’hui de voir les partisans et les adversaires de l’annulation de la dette se neutraliser; mais une chose est sûre, la dette continue et continuera de faire  »boule de neige » au point de devenir définitivement non remboursable. Elle est désormais une composante fondamentale du  »risque systémique » qui menace la stabilité du système financier international. Depuis le début de la crise de l’endettement, ce sont des accommodements techniques (PAS, iPPTE, IADM) qui allègent momentanément le fardeau de cette dette. D’autres mécanismes vont certainement être créés (nous sommes aujourd’hui à l’heure de l’IADM) et ce ne seront certainement pas ces  »médicaments » qui empêcheront la dette de continuer à s’enfler et à demeurer insupportable. Dès 1986, la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique avait en réponse au rapport de la Banque Mondiale sur  »l’ajustement et la croissance de l’Afrique dans les années 80 » élaboré le  »Cadre Africain de Référence pour les Programmes d’Ajustement Structurel » en vue du redressement et de la transformation socio-économique (CARPAS). La CEA donne sa conception des reformes économiques qu’elle juge nécessaires, et son interprétation des résultats de presque une décennie de politiques d’ajustement des Institutions de Bretton Woods. Le rapport qui anticipait déjà les problèmes que nous vivons aujourd’hui, mettait aussi l’accent sur le renforcement de la coopération régionale conformément à l’esprit du Programme d’Action des Nations Unies pour le Redressement Economique de l’Afrique 1986 – 1990 (PANUREA). Les africains eux-mêmes n’avaient pas rendu la tâche facile à la CEA pour la mise en exécution de ce rapport. Bien que favorable à l’annulation de la dette, je pense qu’elle ne doit pas servir à occulter l’historique de son accumulation mais doit au contraire être l’occasion de faire toute la transparence sur les opérations passées afin que les mécanismes de financement du développement soient revus et corrigés. J’ai parlé tantôt de facteurs endogènes qui sont entre autres à la base de l’endettement de nos pays. Force est de constater qu’à côté des investissements qui ont réussi et qui ont véritablement contribué à la réduction de la pauvreté et dont les populations ont largement bénéficié, une bonne partie de la dette contractée s’est tout simplement volatilisée. Ailleurs, certains parlent d’audit citoyen pour le traitement de cette crise. Les Philippines et certains pays latino américains comme l’Uruguay et le Brésil l’expérimentent. On peut s’en inspirer. L’issue à la dette n’est pas la dette elle-même; mais c’est peut être sortir de la logique de l’endettement qui peut apporter une réponse acceptable à l’impasse actuelle. Et sortir de la logique de l’endettement oblige à repenser les mécanismes et les politiques de la croissance et du développement; en un mot la gouvernance démocratique de nos Etats.

Le Républicain : Vous indiquez que l’annulation de la dette doit libérer des fonds pour financer le développement. Peut-on dire qu’à votre avis que la SRP ne présente pas de garantie suffisante pour les besoins de financements des pauvres ?

Mahaman Laouan GAYA : La stratégie de la réduction de la pauvreté inscrite dans les DSRP prévoit qu’à chaque niveau de satisfaction des conditionnalités (point de décision, point d’achèvement …) qu’une rétrocession de la dette soit faite au bénéfice du pays emprunteur. Sa philosophie est plutôt axée sur la réduction de la pauvreté alors que chacun de nous attend un développement socio-économique durable au sein duquel il n’y a pas de place pour la pauvreté. Référez vous à ce que je disais dans la réponse à votre première question. Imaginez un peu que les 30 à 40% du budget alloués au règlement de la dette et les 10% alloués aux services sociaux soient consacrés entièrement au financement des infrastructures de base. Je rêve me diriez vous, mais voilà qui peut dans le contexte d’une gouvernance démocratique lancer le développement. Nous devons être ambitieux et pour ce faire je pense que le développement de l’Afrique doit nécessairement passer par l’intégration économique régionale, le développement des ressources humaines (qui est le secteur le plus important mais malheureusement le plus abandonné) et aussi et surtout le financement de grosses infrastructures (barrages hydroélectriques, centrales nucléaires, chemins de fer, développement de l’industrie pétrolière, gazoducs et pipelines intra africains …). Avec ça, la pauvreté s’en ira d’elle-même. La philosophie de développement de la Banque Africaine de Développement (BAD) va aujourd’hui dans le sens du développement des infrastructures et nous devons saisir cette opportunité pour que nos pays dans un cadre communautaire et avec l’appui de certaines institutions multinationales de développement puissent mettre en ?uvre les grands chantiers qu’ils ont élaborés, comme par exemple ceux du NEPAD.

Le Républicain : Vous êtes d’avis que le poids de la dette africaine est insoutenable et vous semblez aussi être convaincu de son annulation pure et simple.

Mahaman Laouan GAYA : Attention, ne soyons pas si extrémistes au point de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut reconnaître quand même qu’une partie des fonds empruntés ont servi à réaliser des investissements qui ont été rentables. J’en veux pour preuve les nombreux projets d’infrastructures (routes, barrages, interconnections électriques, télécommunications,…) financés par nos partenaires au développement et qui ont substantiellement contribué au développement de nos économies et à la résorption du chômage. On ne peut donc pas soutenir que l’argent emprunté pour faire ces réalisations ne soit pas remboursé. Il faut par contre re-connaître que de nombreux projets ont été des éléphants blancs par la faute des responsables des pays débiteurs. Je disais aussi un peu plus haut que le montant cumulé de la totalité de la dette a été remboursé plusieurs fois et qu’au regard de cela logiquement nous ne devons plus rien maintenant. Cela m’amène donc à soutenir que les pays du Sud doivent discuter avec leurs créanciers de l’annulation du stock de la dette. Il faut alors situer les responsabilités sur les erreurs commises, faire le bilan de l’endettement, prendre des dispositions pour que la spirale d’endettement telle que nous la vivons, aujourd’hui, ne se répète plus jamais et enfin nous consacrer au développement économique et social de nos pays avec l’aide des institutions multinationales comme la BAD.

Le Républicain : Vous êtes aussi un spécialiste du pétrole. Le baril a connu une envolée hystérique sur le marché international. Quel est votre commentaire à ce sujet ?

Mahaman Laouan GAYA : Le monde vit en effet son 3ème choc pétrolier après ceux de 1973 et 1979. La particularité du choc actuel, est qu’il est progressif c’est-à-dire que l’envolée des cours du pétrole a commencé en 2000 avec un baril de brent à 28,5 US$ et s’est poursuivie de façon linéaire et quelquefois légèrement discontinue pour atteindre 100 US$ le 2 janvier 2008 et le 21 février dernier à 101 US$ ce qui constitue d’ailleurs un niveau historique jamais égalé.

Les raisons de cette flambée sont nombreuses, mais ce qui est évident c’est que cette hausse des cours pétroliers, qui ont désormais très peu de chance de descendre substantiellement et durablement, a porté à son paroxysme la crise énergétique que traversent surtout les pays de l’Afrique de l’Ouest. Cette situation est assurément bénéfique aux pays producteurs, comme le Nigeria et la Côte d’Ivoire qui ont vu leurs revenus issus de l’exportation du pétrole quasiment tripler. Il en est autrement pour ceux qui sont comme le Niger importateurs nets. Non seulement leurs achats extérieurs en produits pétroliers augmentent en volume, de l’ordre de 20 à 30%, en réponse à la croissance des besoins des entreprises et des ménages, mais encore, le coût de ces importations est passé du simple au double, voire au triple, au cours de ces cinq dernières années. Le cours du pétrole comme je le disais tantôt est et restera encore cher pour un bon moment. Nous devons donc apprendre à vivre avec. La solution ne passe pas par des subventions de l’Etat ou encore une répercussion de l’ardoise sur le pauvre consommateur. Compte tenu de l’état de nos finances publiques, une baisse des taxes ne ferait que déplacer le problème au sein du budget et ce ne serait qu’un jeu à somme nulle. Nous devons donc et surtout faire appel à toutes les alternatives possibles: économies d’énergie, développement des autres sources d’énergie (solaire, nucléaire, biogaz, biocarburants,…), l’accélération de la mise en valeur de nos ressources pétrolières non seulement pour la consommation nationale mais aussi pour l’exportation (le pétrole brut nigérien est de très bonne qualité; donc pouvant coûter cher sur le marché international) et enfin développer la coopération énergétique sous-régionale. Le Niger est producteur exportateur net d’uranium depuis bientôt 40 ans et personne n’a songé un seul instant à ce que notre pays  »consomme » sa production nationale. Mais cette problématique est cependant posée dans le cadre de la Politique Energé-tique Commune de l’UEMOA. Au vu de l’avantage comparatif dont nous disposons dans ce domaine, le Niger doit s’approprier cette initiative et en être le chef de file. Nous ne devrons pas avoir peur de le dire et encore moins d’étudier la question avec nos partenaires. Techniquement et financièrement, nous pouvons et il est temps que nous nous dotions de centrale électrique nucléaire pour notre consommation nationale ou au mieux pour aussi celle des autres pays dans le cadre de la coopération énergétique sous-régionale comme j’aime tant le dire. Il y’a bien des responsables d’institutions multilatérales qui peuvent être attentifs à ce genre de projets, parce que économiquement rentables. Les effets combinés du futur barrage de Kandadji, d’une centrale électrique nucléaire, du développement de notre secteur pétrolier et très probablement du gazoduc Nigeria-Algérie qui doit traverser notre pays sur 841 kms feront très certainement descendre le prix du Kwh de façon considérable par rapport à son niveau actuel sans parler des autres effets directs et indirects sur l’économie nationale.

Le Républicain : On espère que dans les 3 à 5 années à venir, le Niger serait un pays producteur de pétrole. Comment peut-on valoriser la production quand on voit que tout autour de nous, les producteurs de pétrole sont aussi des pays pauvres ?

Mahaman Laouan GAYA : Certes le pétrole est un secteur dont je suis issu, mais ma longue absence du ministère des mines et de l’énergie ne me met pas en position d’être plus informé que tout autre citoyen nigérien sur le processus actuel du développement pétrolier dans notre pays. Toutefois, je peux me permettre d’affirmer que la mise en valeur de nos ressources pétrolières ne tardera pas aussi longtemps que nous l’avions attendue. Cependant, il est clair et évident que le Niger, étant entouré de pays gros producteurs de pétrole comme l’Algérie, la Libye, le Tchad, le Cameroun, et le Nigeria, ne peut pas ne pas disposer de ressources en hydrocarbures tant notre territoire national est à près de 90% constitué de bassins sédimentaires, c’est-à-dire susceptibles d’abriter des réserves d’hydrocarbures gazeux (le gaz naturel), liquides (le pétrole brut) ou solides (le charbon, la lignite, la tourbe, les schistes bitumineux ou les sables asphaltiques).

Là-dessus, il est évident que notre pays dispose aussi d’énormes ressources pétrolières et mieux le Niger connaîtrait inch’Allah les mêmes miracles que ses voisins susmentionnés. Pour revenir précisément à votre question, je ne dirais pas que les pays producteurs de pétrole qui nous entourent sont pauvres. Ce sont des milliards de dollars US qui rentrent chaque année dans les trésors de ces pays, mais c’est peut être l’utilisation qui en est faite qui est une autre question. Il faut noter que les rentes pétrolières sont créatrices d’excédents de bénéfices qui devraient jouer un rôle catalyseur dans le développement économique et social d’un pays s’ils sont gérés judicieusement par le gouvernement. Malheureusement, le pétrole et les mines ont été source de paupérisation, de développement de la misère, de conflits à répétition meurtriers et dévastateurs pour les pays africains qui vivent dans le paradoxe des  »pays pauvres, mais riches en ressources  ». Ces effets économiques pervers sont connus sous le nom de  »syndrome hollandais  », et les impacts politiques et sociaux négatifs sont appelés la  »malédiction du pétrole ». On peut bel et bien éviter ce mal mais jusqu’à ce jour, peu de pays africains ont réellement réussi à traduire les bénéfices excédentaires en développement durable et en bien-être pour leurs populations.

Par contre au Niger, au vu de l’engagement répété du président Mamadou Tandja, sa vision pour l’avenir de notre pays, son souci pour une bonne gouvernance pétrolière et minière, l’admission de notre pays à l’initiative sur la transparence des industries extractives (IETE) et la vigilance accrue des organisations nigériennes de la société civile, j’ai espoir que notre manne pétrolière serait une bénédiction pour les nigériens et ne se verrait certainement pas accaparée par les fonds vautours et autres marchands d’armes internationaux.

Propos recueillis par Oumarou Keïta – février 2008
  

Interview de Mahaman Laouan Gaya pour le Républicain du Niger

Le Républicain : Monsieur le ministre, vous avez pris part récemment à un colloque international en France, au cours duquel vous avez présenté une communication axée sur la dette. Le service de la dette du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Kenya, du Niger…représente de 33 à 40% de leur budget alors que les services sociaux n’en représentent à peine que 10%. Est-ce cela qui vous a amené à dire avec force que nous ne devons pas payer la dette ?

Mahaman Laouan GAYA: Aujourd’hui, tous les experts s’accordent pour reconnaître que l’endettement des pays africains constitue pour eux un goulot d’étranglement sur le chemin du développement. Les tentatives de juguler cette bulle de la dette n’ont pas fait défaut. Il y a eu en 1985 le plan BAKER, en 1989 le plan BRADY, en 1999 c’était au tour l’iPPTE, (l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés), et depuis 2006 l’IADM (l’initiative pour l’annulation de la dette multilatérale). Malgré cela, et selon « Les indicateurs du développement dans le monde – 2005 » de la Banque Mondiale et « Le rapport sur le développement de l’Afrique – 2006 » de la Banque Africaine de Développement, l’encours total de la dette extérieure des pays d’Afrique ne cesse de monter, passant de 165 milliards US$ en 1988, à 223,3 milliards US$ en 1995, et à 231,4 milliards US$ en 2003. Selon d’autres études, entre 1980 et 2002, l’Afrique a reçu 540 milliards US$ en prêts et en a remboursé 550 milliards US$. La dette de l’Afrique Subsaharienne a ainsi été multipliée par 4, passant de 45 milliards US$ en 1980 à 175 milliards US$ en 2003 et la dette extérieure publique de l’ensemble de l’Afrique quant à elle est passée de 89 milliards US$ en 1980 à 231 milliards US$ en 2003. Bien entendu, des facteurs endogènes, comme la corruption, la gabegie, les détournements de deniers, les principes de gouvernance démocratique mal ou pas du tout assimilés, et la gestion cahoteuse et  »amateuriste » des nouvelles classes politiques nées des conférences nationales ont joué un rôle important dans le développement de cette crise.
Mais les facteurs exogènes également, comme l’augmentation de la facture pétrolière, la détérioration des termes de l’échange, l’augmentation des taux d’intérêt, sont également au nombre des causes de son déclenchement. Il faut quand même reconnaître et cela est une évidence que la dette a déjà été remboursée plusieurs fois: pour 1 US$ dû en 1980, les Etats africains ont remboursé 4 US$ mais en doivent encore 2,5 ! Pour la majorité des États africains, le remboursement de la dette contractée depuis les années 1970 constitue le principal frein au développement socio-économique. Pour certains pays, le poids de cette dette correspond jusqu’à 35% de leur budget national chaque année contre 10% pour les services sociaux. Tant d’argent qui ne peut être investi dans les services de santé, d’éducation, d’hydraulique et de logement alors que les taux d’analphabétisme, de mortalité infantile, de chômage et de banditisme battent des records internationaux. Dans ces conditions, il est illusoire, relève la CNUCED, d’espérer que l’Afrique puisse réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015, conformément aux OMD fixés par l’ONU. Voilà le constat amer qui est fait de cette situation. Le principe de l’annulation de la dette fait l’objet d’intenses débats sur le plan international au point de devenir un plaidoyer contradictoire. Les arguments en faveur ou contre une annulation non conditionnelle de la dette ne manquent pas. Le risque est aujourd’hui de voir les partisans et les adversaires de l’annulation de la dette se neutraliser; mais une chose est sûre, la dette continue et continuera de faire  »boule de neige » au point de devenir définitivement non remboursable. Elle est désormais une composante fondamentale du  »risque systémique » qui menace la stabilité du système financier international. Depuis le début de la crise de l’endettement, ce sont des accommodements techniques (PAS, iPPTE, IADM) qui allègent momentanément le fardeau de cette dette. D’autres mécanismes vont certainement être créés (nous sommes aujourd’hui à l’heure de l’IADM) et ce ne seront certainement pas ces  »médicaments » qui empêcheront la dette de continuer à s’enfler et à demeurer insupportable. Dès 1986, la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique avait en réponse au rapport de la Banque Mondiale sur  »l’ajustement et la croissance de l’Afrique dans les années 80 » élaboré le  »Cadre Africain de Référence pour les Programmes d’Ajustement Structurel » en vue du redressement et de la transformation socio-économique (CARPAS). La CEA donne sa conception des reformes économiques qu’elle juge nécessaires, et son interprétation des résultats de presque une décennie de politiques d’ajustement des Institutions de Bretton Woods. Le rapport qui anticipait déjà les problèmes que nous vivons aujourd’hui, mettait aussi l’accent sur le renforcement de la coopération régionale conformément à l’esprit du Programme d’Action des Nations Unies pour le Redressement Economique de l’Afrique 1986 – 1990 (PANUREA). Les africains eux-mêmes n’avaient pas rendu la tâche facile à la CEA pour la mise en exécution de ce rapport. Bien que favorable à l’annulation de la dette, je pense qu’elle ne doit pas servir à occulter l’historique de son accumulation mais doit au contraire être l’occasion de faire toute la transparence sur les opérations passées afin que les mécanismes de financement du développement soient revus et corrigés. J’ai parlé tantôt de facteurs endogènes qui sont entre autres à la base de l’endettement de nos pays. Force est de constater qu’à côté des investissements qui ont réussi et qui ont véritablement contribué à la réduction de la pauvreté et dont les populations ont largement bénéficié, une bonne partie de la dette contractée s’est tout simplement volatilisée. Ailleurs, certains parlent d’audit citoyen pour le traitement de cette crise. Les Philippines et certains pays latino américains comme l’Uruguay et le Brésil l’expérimentent. On peut s’en inspirer. L’issue à la dette n’est pas la dette elle-même; mais c’est peut être sortir de la logique de l’endettement qui peut apporter une réponse acceptable à l’impasse actuelle. Et sortir de la logique de l’endettement oblige à repenser les mécanismes et les politiques de la croissance et du développement; en un mot la gouvernance démocratique de nos Etats.

Le Républicain : Vous indiquez que l’annulation de la dette doit libérer des fonds pour financer le développement. Peut-on dire qu’à votre avis que la SRP ne présente pas de garantie suffisante pour les besoins de financements des pauvres ?

Mahaman Laouan GAYA : La stratégie de la réduction de la pauvreté inscrite dans les DSRP prévoit qu’à chaque niveau de satisfaction des conditionnalités (point de décision, point d’achèvement …) qu’une rétrocession de la dette soit faite au bénéfice du pays emprunteur. Sa philosophie est plutôt axée sur la réduction de la pauvreté alors que chacun de nous attend un développement socio-économique durable au sein duquel il n’y a pas de place pour la pauvreté. Référez vous à ce que je disais dans la réponse à votre première question. Imaginez un peu que les 30 à 40% du budget alloués au règlement de la dette et les 10% alloués aux services sociaux soient consacrés entièrement au financement des infrastructures de base. Je rêve me diriez vous, mais voilà qui peut dans le contexte d’une gouvernance démocratique lancer le développement. Nous devons être ambitieux et pour ce faire je pense que le développement de l’Afrique doit nécessairement passer par l’intégration économique régionale, le développement des ressources humaines (qui est le secteur le plus important mais malheureusement le plus abandonné) et aussi et surtout le financement de grosses infrastructures (barrages hydroélectriques, centrales nucléaires, chemins de fer, développement de l’industrie pétrolière, gazoducs et pipelines intra africains …). Avec ça, la pauvreté s’en ira d’elle-même. La philosophie de développement de la Banque Africaine de Développement (BAD) va aujourd’hui dans le sens du développement des infrastructures et nous devons saisir cette opportunité pour que nos pays dans un cadre communautaire et avec l’appui de certaines institutions multinationales de développement puissent mettre en ?uvre les grands chantiers qu’ils ont élaborés, comme par exemple ceux du NEPAD.

Le Républicain : Vous êtes d’avis que le poids de la dette africaine est insoutenable et vous semblez aussi être convaincu de son annulation pure et simple.

Mahaman Laouan GAYA : Attention, ne soyons pas si extrémistes au point de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut reconnaître quand même qu’une partie des fonds empruntés ont servi à réaliser des investissements qui ont été rentables. J’en veux pour preuve les nombreux projets d’infrastructures (routes, barrages, interconnections électriques, télécommunications,…) financés par nos partenaires au développement et qui ont substantiellement contribué au développement de nos économies et à la résorption du chômage. On ne peut donc pas soutenir que l’argent emprunté pour faire ces réalisations ne soit pas remboursé. Il faut par contre re-connaître que de nombreux projets ont été des éléphants blancs par la faute des responsables des pays débiteurs. Je disais aussi un peu plus haut que le montant cumulé de la totalité de la dette a été remboursé plusieurs fois et qu’au regard de cela logiquement nous ne devons plus rien maintenant. Cela m’amène donc à soutenir que les pays du Sud doivent discuter avec leurs créanciers de l’annulation du stock de la dette. Il faut alors situer les responsabilités sur les erreurs commises, faire le bilan de l’endettement, prendre des dispositions pour que la spirale d’endettement telle que nous la vivons, aujourd’hui, ne se répète plus jamais et enfin nous consacrer au développement économique et social de nos pays avec l’aide des institutions multinationales comme la BAD.

Le Républicain : Vous êtes aussi un spécialiste du pétrole. Le baril a connu une envolée hystérique sur le marché international. Quel est votre commentaire à ce sujet ?

Mahaman Laouan GAYA : Le monde vit en effet son 3ème choc pétrolier après ceux de 1973 et 1979. La particularité du choc actuel, est qu’il est progressif c’est-à-dire que l’envolée des cours du pétrole a commencé en 2000 avec un baril de brent à 28,5 US$ et s’est poursuivie de façon linéaire et quelquefois légèrement discontinue pour atteindre 100 US$ le 2 janvier 2008 et le 21 février dernier à 101 US$ ce qui constitue d’ailleurs un niveau historique jamais égalé.

Les raisons de cette flambée sont nombreuses, mais ce qui est évident c’est que cette hausse des cours pétroliers, qui ont désormais très peu de chance de descendre substantiellement et durablement, a porté à son paroxysme la crise énergétique que traversent surtout les pays de l’Afrique de l’Ouest. Cette situation est assurément bénéfique aux pays producteurs, comme le Nigeria et la Côte d’Ivoire qui ont vu leurs revenus issus de l’exportation du pétrole quasiment tripler. Il en est autrement pour ceux qui sont comme le Niger importateurs nets. Non seulement leurs achats extérieurs en produits pétroliers augmentent en volume, de l’ordre de 20 à 30%, en réponse à la croissance des besoins des entreprises et des ménages, mais encore, le coût de ces importations est passé du simple au double, voire au triple, au cours de ces cinq dernières années. Le cours du pétrole comme je le disais tantôt est et restera encore cher pour un bon moment. Nous devons donc apprendre à vivre avec. La solution ne passe pas par des subventions de l’Etat ou encore une répercussion de l’ardoise sur le pauvre consommateur. Compte tenu de l’état de nos finances publiques, une baisse des taxes ne ferait que déplacer le problème au sein du budget et ce ne serait qu’un jeu à somme nulle. Nous devons donc et surtout faire appel à toutes les alternatives possibles: économies d’énergie, développement des autres sources d’énergie (solaire, nucléaire, biogaz, biocarburants,…), l’accélération de la mise en valeur de nos ressources pétrolières non seulement pour la consommation nationale mais aussi pour l’exportation (le pétrole brut nigérien est de très bonne qualité; donc pouvant coûter cher sur le marché international) et enfin développer la coopération énergétique sous-régionale. Le Niger est producteur exportateur net d’uranium depuis bientôt 40 ans et personne n’a songé un seul instant à ce que notre pays  »consomme » sa production nationale. Mais cette problématique est cependant posée dans le cadre de la Politique Energé-tique Commune de l’UEMOA. Au vu de l’avantage comparatif dont nous disposons dans ce domaine, le Niger doit s’approprier cette initiative et en être le chef de file. Nous ne devrons pas avoir peur de le dire et encore moins d’étudier la question avec nos partenaires. Techniquement et financièrement, nous pouvons et il est temps que nous nous dotions de centrale électrique nucléaire pour notre consommation nationale ou au mieux pour aussi celle des autres pays dans le cadre de la coopération énergétique sous-régionale comme j’aime tant le dire. Il y’a bien des responsables d’institutions multilatérales qui peuvent être attentifs à ce genre de projets, parce que économiquement rentables. Les effets combinés du futur barrage de Kandadji, d’une centrale électrique nucléaire, du développement de notre secteur pétrolier et très probablement du gazoduc Nigeria-Algérie qui doit traverser notre pays sur 841 kms feront très certainement descendre le prix du Kwh de façon considérable par rapport à son niveau actuel sans parler des autres effets directs et indirects sur l’économie nationale.

Le Républicain : On espère que dans les 3 à 5 années à venir, le Niger serait un pays producteur de pétrole. Comment peut-on valoriser la production quand on voit que tout autour de nous, les producteurs de pétrole sont aussi des pays pauvres ?

Mahaman Laouan GAYA : Certes le pétrole est un secteur dont je suis issu, mais ma longue absence du ministère des mines et de l’énergie ne me met pas en position d’être plus informé que tout autre citoyen nigérien sur le processus actuel du développement pétrolier dans notre pays. Toutefois, je peux me permettre d’affirmer que la mise en valeur de nos ressources pétrolières ne tardera pas aussi longtemps que nous l’avions attendue. Cependant, il est clair et évident que le Niger, étant entouré de pays gros producteurs de pétrole comme l’Algérie, la Libye, le Tchad, le Cameroun, et le Nigeria, ne peut pas ne pas disposer de ressources en hydrocarbures tant notre territoire national est à près de 90% constitué de bassins sédimentaires, c’est-à-dire susceptibles d’abriter des réserves d’hydrocarbures gazeux (le gaz naturel), liquides (le pétrole brut) ou solides (le charbon, la lignite, la tourbe, les schistes bitumineux ou les sables asphaltiques).

Là-dessus, il est évident que notre pays dispose aussi d’énormes ressources pétrolières et mieux le Niger connaîtrait inch’Allah les mêmes miracles que ses voisins susmentionnés. Pour revenir précisément à votre question, je ne dirais pas que les pays producteurs de pétrole qui nous entourent sont pauvres. Ce sont des milliards de dollars US qui rentrent chaque année dans les trésors de ces pays, mais c’est peut être l’utilisation qui en est faite qui est une autre question. Il faut noter que les rentes pétrolières sont créatrices d’excédents de bénéfices qui devraient jouer un rôle catalyseur dans le développement économique et social d’un pays s’ils sont gérés judicieusement par le gouvernement. Malheureusement, le pétrole et les mines ont été source de paupérisation, de développement de la misère, de conflits à répétition meurtriers et dévastateurs pour les pays africains qui vivent dans le paradoxe des  »pays pauvres, mais riches en ressources  ». Ces effets économiques pervers sont connus sous le nom de  »syndrome hollandais  », et les impacts politiques et sociaux négatifs sont appelés la  »malédiction du pétrole ». On peut bel et bien éviter ce mal mais jusqu’à ce jour, peu de pays africains ont réellement réussi à traduire les bénéfices excédentaires en développement durable et en bien-être pour leurs populations.

Par contre au Niger, au vu de l’engagement répété du président Mamadou Tandja, sa vision pour l’avenir de notre pays, son souci pour une bonne gouvernance pétrolière et minière, l’admission de notre pays à l’initiative sur la transparence des industries extractives (IETE) et la vigilance accrue des organisations nigériennes de la société civile, j’ai espoir que notre manne pétrolière serait une bénédiction pour les nigériens et ne se verrait certainement pas accaparée par les fonds vautours et autres marchands d’armes internationaux.

Propos recueillis par Oumarou Keïta – février 2008
  

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