Cela devient certes lassant, mais cela reste nécessaire. Dans Mediapart, Laurent Mauduit récapitule une nouvelle fois l’affaire Tapie-Lagarde-Sarkozy (et quelques autres), en expliquant la genèse de ses investigations. On conçoit que si l’accord passé en faveur de Bernard Tapie sera sans doute remis en cause, ce n’est pas vraiment par souci de préserver les intérêts des contribuables, mais parce que, dans la classe politique – hormis les rares ayant réclamé haut et fort cette révision –, il devient intenable de se contenter du statut quo.

C’est d’assez « bonne guerre », Laurent Mauduit, de Mediapart, s’attribue le rôle essentiel dans le retournement qui vaudra peut-être à Christine Lagarde d’être mise en examen et à Bernard Tapie de se voir réclamer beaucoup et éventuellement rembourser un petit quelque chose.

Mais, effectivement, alors que nombre de ses confrères jetaient l’éponge, il s’est acharné sur l’affaire tel un limier sur la piste d’un os qui, une fois déterré, sera opiniâtrement rongé. Dont acte. Son long récit d’aujourd’hui l’établit. Au passage, il relève que le moment clef fut l’obtention d’un rapport des magistrats financiers de la Cour des comptes que les principaux responsables des commissions successives des Finances à l’Assemblée ont soigneusement mis sous le boisseau. « À de nombreuses reprises, j’ai sollicité, à l’époque, le président de la commission », souligne-t-il. Lequel n’était autre que Jérôme Cahuzac.

Il n’y a sans doute pas que les bonnes relations et loyaux services de Jérôme Cahuzac à l’égard d’Éric Woerth qui ont amené Mediapart à enquêter sur le compte en Suisse (puis Singapour) du premier.

Ce rapport, au bout de six mois, n’est arrivé sur la table de Mediapart que grâce à un « citoyen » de bonne volonté, comme le qualifie Mauduit. Qui suit l’ensemble du dossier sur le site pourrait avancer au moins deux noms, mais glissons…

Ce qui est quelque peu affligeant, c’est que ce rapport (que publie Mediapart intégralement), ait été enterré. On comprend mieux pourquoi en le consultant. Il est catégorique à propos du préjudice moral encaissé par les époux Tapie (l’euro symbolique suffisait), il laisse clairement entendre que divers acteurs se sont vus forcer la main pour qu’un arbitrage favorisant Bernard Tapie soit décidé. Les conseils d’administration du CDR ont été pour ainsi dire « arrangées » pour que des questions qui fâcheraient ne soient pas soulevées. « La version signée est différente du texte et des modifications qui ont été approuvées par le conseil d’administration du CDR », est-il clairement indiqué. On a transformé la somme maximale des demandes des époux Tapie, limitée à 50 millions d’euros, en préjudice moral limité à la même somme. Beau tour de passe-passe.

Le principe « ni riche, ni failli », qui devait présider à la transaction, a été savamment détourné, ignoré. Le rapport note aussi : « aucun document n’a été fourni à la Cour sur les conditions du choix des arbitres. ». Et il souligne le cas de Pierre Estoup. Ne détaillons pas les 66 pages du rapport, mais relevons dans ses conclusions la mention « en outre, les modalités de l’arbitrage ont contribué à en renforcer les risques ».

Laurent Mauduit énonce d’abord que la justice a été entravée « sur instruction de l’Élysée ». À présent, plusieurs hauts fonctionnaires risquent d’être renvoyés devant la Cour de discipline budgétaire et ou non jugés « responsables sur leurs biens propres ». De même qu’un trésorier-payeur général pourrait devoir répondre de pertes, ils pourraient avoir à rembourser des sommes. Voudront-ils seuls « porter le chapeau » ?

Le Conseil d’État avait rejeté divers recours et « contribué, lui aussi, à étouffer l’affaire ». Pour épargner qui ? Le tribunal de commerce de Paris a siégé hors la présence de son procureur, enjoint à s’absenter, laissant l’avocat de Bernard Tapie développer ses arguments sans contradiction.

La commission des Finances de l’Assemblée avait bien tenté de savoir à quel point le principe voulant que Bernard Tapie ne soit pas enrichi avait été contourné. Christine Lagarde avait argué du secret fiscal pour ne pas répondre. « Sous le couvert du secret fiscal, Bernard Tapie a bénéficié d’un invraisemblable traitement de faveur, » estime Mauduit. Cela se poursuit car Bernard Cazeneuve, l’actuel ministre du budget, se refuse à communiquer sur le dossier, et en quelque sorte, couvre ses prédécesseurs.

Par ailleurs, la presse s’est montrée complaisante avec Nanard. Ce n’est pas nouveau, mais à moduler. Quand il était bien en cour auprès de Mitterrand, il a été carrément encensé. Tombé en disgrâce, il fut brocardé. Revenu en grâce auprès de Sarkozy, il sera de nouveau quelque peu choyé. Devenu patron de presse, en dépit des remarques acerbes du député Charles de Courson, de François Bayrou, du juriste Thomas Clay (et quand même de quelques autres, comme Corinne Lepage, mais aussi des socialistes de, mettons, second rang), est en quelque sorte préservé par une large partie de la presse.

Mais, comme, à présent, selon un sondage BVA-CQFD-i>Télé, 74 % des Français auraient une mauvaise opinion de Nanard, le ton change. Hervé Gattegno, du Point, sur RMC, désigne à présent les principales victimes en ces termes : « les contribuables, vous et moi… », et le bénéficiaire, bien sûr. Il reste André Bercoff, s’exprimant dans Atlantico, pour estimer que l’estimation de Bernard Tapie (hors préjudice moral douteux) est justifiée.

La Charente Libre révèle à présent que l’avocat de B. Tapie, Maurice Lantourne, avait défendu une amie de Pierre Estoup, Juliette Salicio, une ancienne assistante. Ma foi, c’est un peu léger pour considérer que Me Lantourne aurait renvoyé l’ascenseur dans l’affaire Tapie à Pierre Estoup. D’ailleurs, Juliette Salicio déclare opportunément à Sud-Ouest qu’elle avait choisi Me Lantourne car elle connaissait son père. Mais il existe d’autres éléments. Les deux hommes admettent à présent s’être rencontrés fortuitement. Ils ne se connaissaient auparavant ni d’Ève, ni d’Adam… Et en 1998,  Bernard Tapie assurait Pierre Estoup de son « infinie reconnaissance ».
Voici peu, Nanard assurait n’avoir ni vu, ni connu Pierre Estoup, avant d’admettre l’avoir peut-être rencontré dans le cadre de « sa vie publique ».

Le problème de l’actuel gouvernement, qui était celui aussi des précédents, c’est le pouvoir de nuisance médiatique de Nanard. Il avait certes soutenu Nicolas Sarkozy, mais sans trop taper sur le Parti socialiste, sans lui enfoncer des clous. On le sait redoutable. Mais les futurs candidats aux municipales, aux régionales, n’ont pas trop envie qu’il soit dit qu’ils font partie d’un système dit de plafond de verre qui épargne toujours les mêmes en tapant parfois durement sur les plus faibles.

D’un autre côté, le gouvernement, peut-être pour préserver l’image de la France, ne veut pas trop clairement accabler Christine Lagarde : après l’affaire DSK, une patronne française du FMI impliquée dans une affaire d’escroquerie « en bande organisée », ce n’est vraiment pas reluisant. Pour Le Canard enchaîné, « cette mise en cause des seconds couteaux ouvre un boulevard au gouvernement, qui cherchait justement à intervenir, mais sans déstabiliser la directrice du FMI ». C’est un peu oublier que Christine Lagarde est une ancienne avocate d’affaires d’assez bon niveau. Elle aurait donc été « bernée » par les services juridiques du ministère des Finances ? Pas très futée, l’avocate internationale… On pouvait donc lui faire avaler n’importe quoi…

À propos de l’affaire Cahuzac, Edwy Plenel avait déclaré « tous ceux qui voulaient savoir, au cœur de la République, pouvaient savoir ». Étrange similitude avec l’affaire Tapie ? Pour un peu, c’est aussi ainsi que l’on pourrait interpréter l’article de Mauduit… Pour Cahuzac, on a fini par savoir, au moins en partie. On ne voit pas Charles de Courson, qui présidera la prochaine audition de J. Cahuzac, lui poser une question incidente sur l’affaire Tapie, mais cela lui brûlera sans doute les lèvres.