Le débat sur la proposition de loi pénalisant la clientèle du secteur prostitutionnel semble retomber. D’une part, qui s’y oppose a été pratiquement muselé ; d’autre part, les sondages semblent montrer que l’opinion est vaguement « pour » une sensibilisation de la clientèle, mais largement contre la pénalisation… Il convient donc de ne pas mettre de nouveau en porte-à-faux le Partis socialiste et le gouvernement. Mais il est aussi question désormais de faire de la ou du prostitueur l’auteur d’un délit. Songez à ce que cela pourrait impliquer pour votre mère, votre oncle, votre fils ou votre nièce… en termes notamment d’interdiction professionnelle…

Hormis Françoise Gil, sociologue, hostile à la pénalisation de la clientèle du secteur prostitutionnel, pratiquement plus personne n’ose monter au créneau, ou plus exactement, plus personne dénonçant les effets pervers et risques liberticides de la loi projetée n’est sollicité par les médias.

La page serait provisoirement tournée…

Au point d’ailleurs que le point de vue d’Alain Suguenot, député-maire UMP de Beaune (Côte-d’Or), est passé inaperçu, restant contingenté au Bien Public, pourtant un titre du groupe Ebra, détenu par le Crédit mutuel Centre-Est Europe…
Lequel groupe pouvait répercuter cette tribune libre depuis la frontière luxembourgeoise jusqu’à l’italienne.

On a pourtant bien notés que les amis choisis et hautement placés de Gisèle Halimi (mouvement Choisir), magistrats ou avocats d’affaires, ne se contenteront pas d’une contravention pour les client·e·s ; ils veulent que ce soit un délit. Histoire de faire grimper les honoraires des membres du barreau ou pour d’autres raisons ?

Alain Suguenot était difficilement assimilable à un prostitueur ou souteneur, il n’est pas le ou la plus en en vue des parlementaires ou des caciques de l’UMP. Donc aucun intérêt de répercuter son constat : « sous couvert d’une moralité bien-pensante, on souhaite interdire une profession que certaines pourraient exercer dans des conditions décentes si on leur en donne les moyens ». Craignant les poursuites en diffamation ou le ridicule, les prohibitionnistes n’ont pas voulu relever ce « réprimer, interdire, condamner revient à montrer du doigt une catégorie de la population, dans un esprit démago-puritain ».

Toutes, tous futurs prostitueurs

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, en germe, comme aux États-Unis, cette catégorie de la population, prostitueuses et prostitueurs, c’est presque, mineurs en bas âges ou séniors du quatrième (et encore ?) exemptés, toute la population.

C’est votre nièce qui, étudiante, éprouve un béguin pour un condisciple qui, qu’elle l’ignore ou non, se prostitue.
Elle aura le choix entre se déclarer cliente ou souteneuse, et à coup sûr prostitueuse.
C’est, comme récemment aux États-Unis, un « oncle » de 75 ans, résidant dans une maison de retraite fort peu luxueuse, qui était client d’une prostituée et l’avait recommandée à d’autres résidents.
Il a été condamné en tant que client, la mansuétude du tribunal l’a dispensé de finir en détention en tant que souteneur, et de prendre la direction de la prison.

Comment Maud Olivier veut-elle piéger les prostitueurs ?
Elle l’a clairement indiqué à Mylène, auteure deL’Appel aux parlementaires (contre la pénalisation des clients) : traquer – à l’aide de leurres, de pièges, et le concours de vraies-fausses ou fausses-vraies prostituées.
Bien évidemment, elle n’imagine pas que les jeunes femmes de sa famille ou de celles de ses proches seront tout autant visées. Son projet, qui relève aussi d’une misandrie à peine camouflée, est de faire du chiffre pour « interdire la prostitution » (c’était en toutes lettres sur son site personnel).

Faire du chiffre, comment ?

Pour faire du chiffre, policiers et gendarmes devront créer des leurres, des prostituées virtuelles (et peut-être un prostitué-avatar confirmant la règle générale). Qui se laissera appâter, attiré, sollicité, trouvera des officiers de police judiciaire au rendez-vous. Mais encore faudra-t-il trouver tous les moyens possibles pour établir qu’une ébauche, un début de transaction financière (cadeau ou somme d’argent) était bien envisagé.

Si on veut vraiment du chiffre, des statistiques, cela ne sera guère compliqué : il suffira de tendre un billet et de demander à la visiteuse ou au visiteur d’aller acheter des cigarettes ou un soda… Flash sur le rendez de monnaie.

Mais on fera mieux, et cela est clairement la pratique là où la traque à la clientèle est la plus forte (fort peu en Suède, fortement aux États-Unis).
Soit avoir recours à des « désavouées » (terme désignant des prostitué·e·s « défroqué·e·s ») qui, contre rétribution ou avantages divers (emploi aidé, par ex.), feront tomber un à une leurs client·e·s régulier·e·s, puis seront posté·e·s là où la clientèle est censée les rechercher.

Pour les clients réels, ce sera la traque à l’ADN prélevée dans les préservatifs.
Du coup, les prostitué·e·s, redoutant le flagrant délit, devront les détruire ou consentir à s’en passer.
N’oublions pas non plus que les véhicules des clientes et clients présumé·e·s seront confisqués et placés en fourrière (c’est systématique aux États-Unis, dans les comtés prohibitionnistes).

Les parlementaires socialistes et communistes (les EELV sont divisés) vont pousser de hauts cris : jamais cela ne se produira. Jamais ? Mais sont-ils, sont-elles élu·e·s et majoritaires à vie, cédant leurs sièges à leur descendance ?

Or, c’est bien ce qui, déjà, se produit dans certains comtés des États-Unis où, de surcroît, les portraits des clients sont consignés sur des sites et leurs bobines publiées dans la presse locale…

Interdictions professionnelles

Les parlementaires ont été de plus fortement incité·e·s à ne pas s’en tenir à faire de l’activité prostitueuse (celle des clients et clients ; pour les proxénètes, il faudra trouver un autre terme…) un motif d’infraction assorti d’une amende (1 500 euros à titre d’avertissement, le double chaque fois par la suite). Déjà, pour mieux se financer, les associations prohibitionnistes veulent infliger des séances de sensibilisation aux prostitueurs : histoire de récolter des fonds, de rétribuer d’anciennes prostituées. Durée annoncée : une semaine.

Il faudra donc s’inventer un, des stages de recouvrement de points de permis de conduire (ce qui n’est pas, par exemple, à la portée de toutes les Parisiennes ou Parisiens, qui se passent de permis), des sessions de formation de forces de vente (si c’est plausible). Ou tout avouer aux parents, enfants, proches… et employeur, bien évidemment. Lors de la confession, faire montre de contrition…

Mais le Haut-Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes réclame davantage. Il s’agit de faire du recours à une, un prostitué·e, un délit. Qui dit délit implique inscription au casier judiciaire… Et interdiction de se présenter aux concours de la fonction publique, de postuler un emploi d’agent de sécurité, de convoyeur, de « dabiste », d’enseignant·e ou travailleure social·e, &c.

Plus les conséquences seront graves, plus la future police des mœurs saura persuader opposants politiques, réfractaires, mal pensantes, que s’exposer à passer pour un prostitueur, une cliente, représente un très gros risque. Cela donne à réfléchir, même si les apparences fabriquées contre soi semblent ténues. C’est un peu comme « l’outrage à agent », cela se provoque. Et cela permet tous les chantages…

« Moralité », avec des vrais ou de vraies-fausses ou faux-vrais, ou des policiers et policières jouant des rôles, toute la population ou presque se retrouvera en situation de devoir « négocier » ou être condamnée, désignée à l’opprobre publique, sanctionnée peut-être professionnellement.

Là, il ne s’agit plus du tout d’une catégorie de la population, mais de toute (ou presque) la population. Plus question de proclamer « je ne suis pas client », ou « je ne suis pas prostitueuse », ni favorable au proxénétisme : ce sera devenu superflu… en flagrant délit monté de toutes pièces.

Naguère, pour piéger des patrons de bistrots fréquentés par de présumés membres de l’OAS, on envoyait un fils de policier, âgé d’à peine moins de 16 ans, en paraissant 17 ou plus, prendre un café et jouer au billard électronique. Tilt : passez donc à table, servez d’indicateur, ou c’est le rideau immédiatement baissé.

Dans l’affaire de Tarnac, c’est le renseignement britannique qui avait infiltré un « ultra-gauchiste » écolo d’apparence dans le cercle des fréquentations de Julien Coupat. Les exemples abondent.

Une bévue politique majeure

En fait, Parti socialiste et Front de gauche, dans cette affaire, se sont laissés (comme autrefois l’UMP avec la trop clairvoyante, sans doute, Roselyne Bachelot-Narquin) instrumentaliser.
Des féministes à la Fadela Amara, ayant grimpé les échelons, recasées dans des postes contractuels, des cabinets ministériels, cherchent à étendre leur influence.
Les conséquences électorales ne leur importent guère. Pile, je gagne, face tu perds, « camarade ».

Les leçons de la Manif pour tous ont bel et bien été oubliées, ainsi que les slogans du type « CRS, Pierre Bergé te tient en laisse » et les détournements du style « Finance dehors, humain d’abord, sécuriser les enfants, c’est maintenant » ainsi que le fameux « Touche pas au mariage ; occupe-toi du chômage ».
Au lieu de pénaliser la prostitution et sa clientèle, s’occuper peut-être de Standard and Poor’s et des futures note AA- de Moody’s ou Fitch Ratings ?

Déplacer les problèmes ?

Subirions-nous la « gauche » la plus stupide au monde ?  Même Jean-Luc Mélenchon est tombé dans l’ornière en faisant du slogan « l’humain d’abord » la première articulation d’une proposition se terminant de facto par « les humain·e·s n’en sont que des accessoires ». Pierre-Antoine, doctorant et blogueur de Mediapart, l’a fort bien explicité. De même, après le grammairien Vaugelas, n’évoque-t-il que des prostitués (ce qui inclut les prostituées), stigmatisant de fait – pour les besoins de la démonstration – les « mamans sucrées » et autres prostitueuses, à l’inverse de la phraséologie de la proposition de loi de pénalisation des (seuls) clients.

En fait, cette « gauche » autoproclamée telle voudrait donc « au nom de la défense de l’humain » risquer de perdre « des êtres humains, des vrais, de chair et d’os, dont on aura défendu l’honneur au prix de leurs vies » (professionnelles, mais non uniquement : car si l’on en croit la vulgate gauchisante bien-pensante, toutes et tous sont fragiles psychologiquement).

Cette « gauche » victorienne veut, comme autrefois  la bienfaisance prétendait sauver les filles-mères d’elles-mêmes – et donner quelques chances à leurs bâtards de s’employer à La Villette pour trancher le lard, tandis que les bâtardes deviendraient bonniches le servant aux bourgeois d’Octave Mirbeau – imposer sa vision du bonheur. Fort bien, on attend impatiemment l’investiture en position éligible d’une future Marthe Richard pour les élections européennes.

Il fut un temps où la gauche italienne envoyait Ilona Staller, dite la Cicciolina (ex-mannequin, escorte, actrice pornographique, &c.), à Strasbourg et au parlement romain. Que nous en sommes loin !

Si Alain Suguenot est resté fort modéré dans sa dénonciation d’une absurdité politique, d’autres, à l’approche des échéances électorales, seront plus virulent·e·s. Ancien avocat, le député-maire de Beaune n’a pas oublié certaines réalités. Mais, sur le Bien Public, il s’est attiré ce commentaire : « il n’a pas plus urgent à penser, notre député ? ».

Les parlementaires socialistes, communistes, du Parti de gauche, feraient bien d’y réfléchir.
En fait, s’il ne s’agit que de renforcer le caractère clandestin de la prostitution, la crise s’en chargera aussi.
Elle a d’ailleurs fait son effet : les prostitué·e·s indépendant·e·s dit·e·s de tradition ont vu leurs revenus chuter comme ceux de leurs clientèles (donc, moins de passage, tarifs souvent négociés) ; la prostitution de haute volée se porte à merveille…

À Murcie, où des sanctions de 3 000 euros sont à présent appliquées, la police espagnole constate que la prostitution de luxe, en appartements privés, s’est développée. La prostitution de rue apparente régresserait, mais il n’est pas sûr qu’elle ait vraiment diminué ou qu’elle ne se soit pas déplacée, dispersée, précarisée. José Antonio Sotomayor, conseiller municipal, avait déploré qu’en réalité, « aucune alternative crédible » n’avait été offerte aux prostitué·e·s. C’est ce vers quoi on veut s’orienter en France. Avec, en sus, des dispositifs liberticides lourds de conséquences à l’avenir.


P.-S.
– Au fait, la proposition de loi est muette sur un point essentiel. Quel sera donc le montant de la prime de dénonciation des faits prostitutionels ?  Combien par client de ma voisine que je vois recevoir beaucoup d’hommes ? Je ne suis pas sûr, certain, convaincu qu’elle se prostitue, mais, mais… sait-on jamais ? Madame Maud Olivier, ce sera rentable, la délation des prostitué·e·s, et pourra-t-on aussi leur raser la tête ?

Là, ce 11 novembre, le Des Moines Register et l’University Herald, noms, qualités et photo d’un professeur d’Iowa State University, à l’appui, saluent l’action de la police. Voici ce que prépare Maud Olivier avec le soutien des partis communiste et socialiste français ? Voici ce que souhaitent les relations mondaines de Gisèle Halimi ? Allez, encore un effort pour être francs et sincères ! Et si, aussi, ce professeur avait gêné tel ou tel politicien local ?