Je ne suis pas assez connu, en vue, mais je dois être (possiblement, au grattage ou au tirage) le 344e « salaud manifeste » que dénonce Anne Zelensky dans Le Monde, ce jour. Je ne suis pourtant pas un « salaud de client-prostitueur » – ou alors, si peu, vraiment peu : être riverain amical de prostituées peut cependant suffire à vous valoir l’épithète de « prostitueur » – mais, oui, j’aurais pu signer l’appel du Causeur : Touche pas à ma pute. Plutôt pas à celle d’autres, d’ailleurs, tout en reconnaissant qu’il faut bien toucher à la « marchandise » des proxénètes pour remonter jusqu’à eux…

Cela me fait toujours un peu doucettement rigoler. Thalia Breton était militante d’Osez le féminisme ! La voici coordinatrice du pôle Libertés et questions de société du Parti socialiste. Bientôt peut-être cheffe de cabinet de Fadela Amara si Nicolas Sarkozy revient aux affaires et rappelle près de lui l’ancienne fondatrice de Ni putes, ni soumises. La garde-robe de Rachida Dati fait des envieuses, mais retourner veste de tailleur, voire chemisier, ce n’est pas faire sa respectueuse, hein, c’est tout simplement évoluer comme feu Edgar Faure…

Comme Maud Olivier et Catherine Coutelle, du PS, défendent un projet de loi visant à pénaliser les clients des prostitué·e·s (un mois de salaire moyen de Français moyen d’amende, puis deux en cas de récidive…), projet de fait prohibitionniste ambitionnant d’éradiquer la prostitution, Thalia Breton s’y colle en bonne petite soldate. C’est dans Libération et Thalia Breton relate son expérience de la prostitution. Pas de la sienne, de celle des autres.
Et cela donne : « quand Luc se lève le matin, il a mal aux jambes et aux mâchoires ». Comprenez que, depuis que son confesseur de l’institution religieuse d’enseignement primaire lui infligeait de rester à genoux pour réciter d’interminables Notre Père et des Je sous salue Marie parce qu’il s’était accusé de pensées lubriques imaginaires (il faut toujours avoir quelque chose à confesser), pour lui, rien n’a vraiment changé. Sauf qu’à présent, c’est autre chose qu’il doit mâcher et remâcher : il se prostitue.

Appel de Mylène contre Appell prohibitionniste

C’est dommage, il n’a pas donné de noms à Thalia Breton. L’abbé Henri-Joseph Laurent, dit Dulaurens, me rappelle Stéphan Pascau, indiquait le nom des maquerelles parisiennes des évêques et prélats de son temps, mais « son indulgence le portait à considérer tout être humain d’égal à égal, donc femmes incluses, sans spécificité ». Comprenez : catins incluses. 

Je ne sais si l’aimable abbé Dulaurens aurait des indulgences pour l’apparente vénalité de Thalia Breton, qui travestit les travestis mieux que Pedro Almodovar, mais je crois pouvoir supputer que, en partie pour les mêmes raisons d’accroitre sa notoriété, il aurait pu rejoindre les signataires de l’appel de Causeur, celui des 343 salauds.

343, tout comme les « salopes » s’étant fait avorter et réclamant la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. On dit à présent couramment IVG, cela reste une imposture, évidemment, puisqu’il s’agit, pour certaines et certains, d’un massacre des innocents. Par conséquent, employer « travailleuses et travailleurs du sexe » est tout autant une imposture. Il faut ôter de la bouche « le pain de la luxure » à ces… les appellations ne manquent pas, et de plus stigmatisantes que celles qu’employait le San Antonio de Frédéric Dard.

« Nous attendons de la puissance publique qu’elle mette tout en œuvre pour lutter contre les réseaux et sanctionner les maquereaux (…) aujourd’hui la prostitution, demain la pornographie : qu’interdira-t-on après-demain ? Nous ne céderons pas aux ligues de vertu qui en veulent aux dames (et aux hommes) de petite vertu ». Et parfois de grande virtu, ajouterais-je…

D’un côté, on croirait relire Mylène, membre du Strass (Syndicat des praticiennes et praticiens du travail sexuel), de l’autre, sa Lettre ouverte (aux parlementaires) contre la pénalisation du recours à la prostitution récuse tout prosélytisme ou publicité spectaculaire en faveur de la www.scribd.com/embeds/179428724/content

Je ne sais trop si Mylène considère que la pornographie constitue une publicité implicite pour la prostitution, notamment alors que l’accès aux contenus pornographiques est si facile en ligne, alors que les fournisseurs d’accès ont obtenu que les autorités gouvernementales ne soient pas trop sourcilleuses pour empêcher que les mineur·e·s les consultent, mais…  

Parmi les distingués signataires, l’ami (tout confrère, au CFPJ, était un ami) Luc Rosenzweig, ancien du Monde, familier de Simone Weil, que je n’imaginais pas, voici une trentaine d’années, cohabiter avec Basile de Koch au bas d’une pétition. Luc (amicales salutations au passage) n’écrit pas que des choses qui m’agréent dans Causeur… Je préfère lire Nicolas Bedos – autre signataire – dans Marianne. Richard Malka (amicales salutations à Denis Robert) est du nombre. Ivan Roufiol, du Figaro (amicales salutations aux confrères honoraires et restés anars de L’Aurore), aussi. Il y a de même un Jean-Michel Delacomptée. Delacomptée : forcément un prostitueur !

Les prohibitionnistes, derrière leur faux nez d’abolitionnistes, feront sans doute de Delacomptée le souteneur implicite de diverses gagneuses. Car en dépit de leur sophistication, leurs argumentations sont trop souvent de ce niveau. Or, nous ne sommes plus sur la cour de récréation.

La foi travestit les faits

Oui, c’est trop souvent du niveau de Charles Tournier et Maurice Hamel (1927) qui voulaient leur faire « perdre le goût du pain… du pain qu’elles gagnent en un commerce dont nos statistiques commerciales n’ont pas à s’enorgueillir devant l’étranger… ». Je sais, Le Nid, des associations proches d’obédiences catholiques romaines, d’autres organismes plus sérieux, moins orientés, ont de très solides arguments à faire valoir afin de lutter contre les réseaux, les mafias, les proxénètes. Vous les trouverez un peu partout… Tout n’est pas à réfuter.

Il est fait grand cas des prostituées qui se suicident, par exemple. En général, il s’agit surtout d’adolescent·e·s très fragilisées au départ, en fugue souvent (et pour d’excellentes car souvent horribles raisons).
Il n’est jamais question du suicide de Brandy Britton, ex-professeure d’université, qui s’est suicidée parce que, licenciée pour de toutes autres raisons, elle n’avait plus pour ressource que la prostitution. Elle allait perdre sa maison, passer au trottoir à cause d’amendes et condamnations, elle préféra se suicider.
Il n’est jamais non plus question de Deborah Jean Palfrey, titulaire d’un MBA, mais devenue une « Madame » plutôt tendance gérante de coopérative ouvrière qu’autre chose. Elle avait déjà connu la prison pour proxénétisme, elle n’envisageait pas d’y retourner : autolyse.

Le débat sur la prostitution est faussé en ce sens qu’il n’oppose que des convictions, des croyances, des présupposés, des espoirs utopiques. Cela vaut tant pour moi-même que d’autres soutenant des opinions inverses. Mais, quand je lis, sous la plume des prohibitionnistes, que les jeunes (très jeunes) prostitué·e·s ne se suicident guère parce que les proxénètes les gavent d’alcool et de drogues, puis, ailleurs, en manipulant des statistiques (à teneur inverse d’échantillon, à peine apéritif, que la teneur en alcool des cocktails euphorisants), que la plupart des prostitué·e·s se suicident ou le tentent, je ne peux plus longtemps admettre.
Il faut dénoncer et effectivement clamer : « Touche pas à ma pute ! », en tout cas, surtout pas comme cela, en la manipulant tel un proxénète pour toucher des subventions, des fonds publics, obtenir des hochets, des rubans, des sautoirs (pour se sauter entre partenaires distingué·e·s et consentant·e·s ?).

Les prostituées, ce sont les autres…

Si nous étions encore aux temps de Molière, quand actrices et comédiennes étaient stigmatisées, le discours prohibitionniste qualifié d’abolitionniste serait sans doute apparemment admis et non contesté (sauf par des libelles et pamphlets saisis, censurés). L’un des universitaires ayant étudié presque toutes les hypothèses avancées par des chercheuses et chercheurs nord-américains et européens a fait la comparaison avec les coiffeuses. Si les coiffeuses étaient considérées à présent comme les prostituées (ce n’est pas un métier pour une jeune fille, comme l’a révélé le fameux clip parodique des jeunes socialistes et communistes tourmentés par les souvenirs de Maurice Thorez et Jeannette Vandermersch), leurs conditions de travail seraient proches.
Soit que travailler sous des porches, dans des voitures, au domicile d’inconnus, sans couverture sociale pour la plupart, perturberait fortement le psychisme des coiffeuses.

Ole Martin Moen, dans le Journal of Medical Ethics (2011) conclut que « les prostituées sont en danger, non pas parce que la prostitution est dangereuse, mais parce que la société actuelle met sérieusement en danger les prostituées. ». Bien sûr qu’à l’inverse, tout comme le sont les métiers de mineur de fond, plongeur-scaphandrier, sapeur-pompier, policier, le métier prostitutionnel présente des dangers. Parlez-en aux médecins qui se font à présent agresser dans leurs cabinets, voire en visite. Sauf que personne ne décourage de devenir médecin, infirmière libérale, chirurgienne, oncologue.
Autrefois, à Venise notamment, la courtisane était fortement valorisée (celle des rues étant tolérée ; surtout si elle était citoyenne, évidemment).

Tout dépend du point de vue ou, admettons-le volontiers, des intentions réelles, et non de celles proclamées, affichées, popularisées pour conforter telle ou tel (formation, parti, lobby).

Autres formes d’esclavage

Les 343 salauds vont en entendre, des vertes, des pas mûres, et se retrouver peut-être à l’index (un temps, car les courtisans et courtisanes sont souvent plus Iacub que Iacub, en pratique, comprendra qui pourra, ou qui voudra). 
Tandis qu’en Allemagne, les signataires du récent Appell gegen Prostitution comme Margarethe von Trotta, Maria Furtwängler, le conseil de l’Evangelischen Kirche, Cornelia Froboess, Lisa Fitz, Jutta Speidel, &c., confortent la position du PS français, et soutiennent la pénalisation des clients, d’autres, tout aussi respectables, sont pour le maintien du statut quo dans ses grandes lignes (et dans le détail, pour une lutte contre la traite des femmes).

Il est certes fort « classieux » d’énoncer que, puisque l’esclavage a pu être aboli, le dépérissement progressif du système prostitutionnel est possible : tarir la source, donc faire du lac une mare qui s’assèchera plus vite que la mer d’Aral.
En fait, comme les pires réactionnaires tenant de la domination du plus fort sur le plus faible, ces prohibitionnistes, de manière parfaitement hypocrite, ou qu’on espère totalement illusoire pour espérer que leurs capacités mentales ne sont pas déjà atteintes, plaident de fait pour que l’esclavage soit renommé salariat et la prostitution emploi domestique.
Embauchez, comme en Arabie saoudite, de jeunes Philippines, et puis, chacun chez soi. Elles feront le ménage et tiendront en sus leurs rôles ancillaires, « amours » inclus.
Octave Mirbeau, auteur du Journal d’une femme de chambre, aurait-il pu imaginer que les suffragettes en viendraient là ?

Il serait grand temps de relire Octave Mirbeau et son L’Amour de la femme vénale. Les prostitué·e·s ne sont certes pas tous et toutes victimes des conditions économiques, sociales et mentales, mais toujours autant de l’hypocrisie de la caste dominante, qu’elle soit estampillée PS, PC, FN, UMP (sans exclusive). Alain Corbin fut son posthume préfacier avec un Les Noces de la femme vénale. Mirbeau pointait bien que ce ne sont pas les prostitué·e·s qui créent le proxénétisme, mais bel et bien les autorités : si la prostituée avait été acceptée et protégée, elle n’aurait jamais été exposée à la tyrannie des proxénètes et des voyous, concluait-il.

Qui sont les prostitueuses, les prostitueurs ? Les client·e·s ? Ou Mesdames Maud Olivier et Catherine Coutelle qu’on voudra bien considérer naïves et sincères ?

C’est la, véritablement, la question, la pierre d’achoppement.

Extinction de la prostitution à la tombée du jour !

Les deux thèses ne sont pas conciliables. Mirbeau, comme l’écrit bien Pierre Michel (dans Recherches sur l’imaginaire, cahier nº 29), fut un nègre littéraire mal rétribué, un domestique, un paria, qui épousa une ex-prostituée devenue actrice, non pas pour se sortir de la misère, mais peut-être par dégoût ou mépris (ou méprise) des bourgeoises ou des aristocrates. 
« La prostituée sait fort bien qu’elle est une maladie dont la société n’entend nullement guérir », estimait Mirbeau. Les mouvements de jeunesse du PS et du PC veulent seulement la planquer, peut-être parce qu’elle est la maladie honteuse qui ne peut pas plus être éradiquée que la pauvreté. L’extinction de la prostitution a donc été proclamée. À quelle heure ?

Au moins, le Parti communiste renoue-t-il ainsi avec ses racines staliniennes. Mais le Parti socialiste ? Avec Henri Sellier, sénateur-maire SFIO de Suresnes, qui voulait punir le racolage ? Avec Pierre Mazuez, député-maire de Montceau-les-Mines ? Ce dernier, proche des abolitionnistes, n’en considérait pas moins que « qui a voulu codifier trop rigidement les mœurs a toujours manqué les buts de sa législation ». Bis repetita et diabolicum perseverare

Le coup de l’esclavage et de la traite des blanches remonte au siècle avant-dernier. À l’époque, Jules Pagny, prohibitionniste, disait, vers 1885, que pour les prostituées, il ne comprenait pas l’amende : « je comprends la prison ». On avait aboli l’esclavage, la traite des blanches allait être éradiquée, au besoin en incarcérant les blanches réticentes.

C’est finalement ce qui est recherché : sous le fallacieux prétexte d’abolir le délit de racolage et de ne pas pénaliser judiciairement les prostitué·e·s, ce qui est visé (aveuglément ou non) est de les faire tomber sous d’autres chefs d’inculpation, en les précarisant au point qu’elles et ils renoncent ou se livrent à des formes de délinquance pouvant conduire à la détention.
Les prohibitionnistes, qui embaucheront peut-être des bonniches tirées du trottoir, ne se verront peut-être pas rejouer Les Bonnes (Genet), La Cérémonie (Claude Chabrol) ou Les Blessures assassines (J.-P. Denis), mais attention quand même…

Pour le Printemps français…

Le Parti socialiste a été fortement échaudé par la Manif pour tous. Il croit peut-être, en se conciliant féministes prohibitionnistes et milieux cléricaux, compenser le pas en avant par un pas en arrière : lutter contre les réseaux du proxénétisme coûte cher, mais pénaliser les prostitué·e·s en coupant les vivres aux plus précaires ou moins bien placé·e·s en tout haut du pavé (et des écrans) n’est pas du tout onéreux.
Il s’agit bien de s’épargner une fronde des milieux moralistes moralisateurs. Sans le dire, il faut faire comprendre que la prostitution est « sale », pernicieuse, et pervertit les mœurs. Les jeunes gens fréquentant des prostituées seraient destinés à devenir d’affreux machos exploiteurs. Supprimez la prostitution et jeunes gens et jeunes filles se donneront librement les un·e·s aux autres, peut-on lire…
Il s’agit de ne pas se mettre trop rapidement et trop fort à dos les féministes hédonistes. Mais on est très, très, très loin, et quasiment aux antipodes du Manifeste futuriste de la luxure (1913) de Valentine de Saint-Point. On verra ensuite Marinetti, auteur du Manifeste futuriste, publier un Contre le luxe féminin condamnant le développement « de la prostitution, de la pédérastie et de la stérilité de la race ». Ou comment les mieux intentionnés feront le lit de Benito Mussolini.

En fait, politiquement, avec cette proposition de loi pénalisante, le PS et le gouvernement tendent les verges pour se faire fouetter. Extrême-droite, droite, et une partie de l’aile gauche de la gauche auront beau jeu de dénoncer l’inaptitude de la loi, l’impéritie des pouvoirs publics.
Les rafles de jeunes prostituées étrangères après qu’elles soient « retombées » dans la prostitution (car si même un Brandy Britton ou Deborah J. Palfray, à équivalent bac+6 ou 8, y ont « succombé », on doute du reclassement professionnel assisté des boutiques mon cul, si ce n’est en tant que boniches des mamans sucrées) donneront l’occasion à l’aile gauche de se manifester.
La droite pourra dénoncer l’inanité, l’amateurisme du gouvernement, démontrer que Manuel Valls fait des moulinets et effets de manche, mais ne parvient pas à faire appliquer la loi. Car, comment faire efficace, si ce n’est en faisant disparaître des prostituées trop visibles encore ?

Or des jeunes étrangères, Africaines ou Européennes extra-communautaires, il en est vraiment tout plein, tout plein, au vu de toutes et tous, en particulier des riveraines et des riverains, et bizarrement, leurs proxénètes sont rarement pris, poursuivis, condamnés. Pourquoi donc en serait-il autrement après adoption de la loi et de décrets d’application ?
De quels moyens disposeront policiers, travailleuses et travailleurs sociaux ? Pourra-t-on satisfaire la voracité de fonds publics de toutes les associations ?

Ah, si, on fera payer le client. Dans ce cas, pratiquement tout un chacun surpris en compagnie de… de qui au juste ? De policières racoleuses assermentées ou d’auxiliaires de police masculins en mini-short ? Car, tout comme ce qui est réservé aux chauffards, il est question que les clients surpris soient non seulement à l’amende, mais rétribuent les animatrices, prostituées « repenties » ou religieuses, bénévoles ou non, de stages de sensibilisation. Sauf que cela ne redonnera pas des points pour retourner fréquenter les prostitué·e·s.

Mais il faudra bien faire tourner les sessions de sensibilisation, payer la location des salles, rémunérer les formatrices-animatrices : d’où les réclamations auprès des préfectures de police pour que soit ferrés assez de clients à l’amende, à pénaliser.

Quand on augmente l’offre, parfois, comme pour les transports en commun, la demande suit. Comme il y aura peu de demande pour subir des amendes, mais qu’il y aura de l’offre, il faudra bien la satisfaire.
L’éradication de la prostitution supposant l’extinction des associations et organismes, il faudra bien susciter aussi assez de prostitution pour qu’il subsiste suffisamment de clients à taxer…

C’est faire à terme l’été du « Printemps français », de la Droite forte, d’autres mouvances.

Service pubis, service public ?

Luc Le Vaillant, sciemment ou non, reprend dans Libération une proposition d’un connaisseur. Il préconise des maisons de passe sous supervision de l’autorité publique. Cela avait été avancé déjà par Laurent Paucard, auteur d’un Guide Paucard des filles de Paris, puis de Tartuffe au bordel (éds Le Dilletante).
Jérôme Leroy, de Causeur, avait chroniqué le Tartuffe au bordel, avec les précautions d’usage (surtout, surtout, défendre les prostitué·e·s, à la rigueur, sembler prendre cause pour la prostitution, eh, jamais… il faut être Mirbeau ou autrement Vaillant pour cela et lancer un Roger!).

Soyons sérieux. D’accord, « la gauche est de gauche quand elle assure l’égalité entre les sexes et fait progresser les libertés dans le domaine des mœurs », stipule hardiment Le Vaillant. Mais ajouter que « cette proposition de bordels d’État va dans ce sens » n’est pas électoralement payant pour le PS.

Même si seules, seuls des contractuels de la fonction publique officieraient dans ces établissements pour en superviser le bon fonctionnement, imaginez les critiques de la droite… D’abord, elle dénoncera la fonctionnarisation des « gagneuses » et « gagneurs ».
Si cela ne prend pas, elle scandera : « des gendarmes, des policiers, pas des prostitueurs ! Police partout, prostituées nulle part ! ».

J’imagine déjà un lapsus de Ségolène Royal au sujet d’un service civil ou militaire. Aussitôt, la droite hurlera que la gauche veut envoyer nos jeunes filles et nos jeunes gens de France en service civil obligatoire dans les bordels. Et les professionnel·le·s de fustiger cette concurrence déloyale. Et pourquoi, effectivement, pas de BEP Fellation, mention bravitude passable, bonne, plus-plus ?
Avec priorité d’embauche aux titulaires des brevets et bacs pro (surtout fils ou filles de pensionnaires, médaillé·e·s vermeil du Travail) ?

Toute mesure, en ce domaine, comporte des effets pervers. Alors, oui à la dépénalisation et à la suppression du délit de racolage, mais pas tout à fait n’importe comment, non à la pénalisation des clients, même si, sur le papier, cela peut sembler une excellente idée, oui à une lutte accrue contre les vrais prostitueurs, maquereaux et proxénètes hôteliers (mais pas contre le conjoint propriétaire du logement en indivision, par exemple). 

Mais comme celles et ceux qui se disent favorables à cette proposition de loi semblent trop obtus pour envisager les effets pervers, peut-être seraient-elles et ils susceptibles de sensibilité aux contre-indications et revers électoraux prévisibles ?
Tiens, au fait, comment se prononcent les mairesses et maires socialistes ? Certes, le voisinage se plaint de la présence trop voyante des prostitué·e·s, mais imaginez qu’elles partent toutes et tous à l’étranger ? Vous imaginez les rideaux définitivement tirés des commerces ? Les mêmes commerçants qui applaudissent publiquement Anne Hidalgo dénonçant la prostitution assureront peut-être NKM de leurs votes pour éviter la fuite des clientes et des clients liés plus ou moins à la présence de prostitué·e·s. Croit-on vraiment que la prostitution ne profite qu’aux réseaux ou aux indépendant·e·s ? C’est cynique ? Hélas…

Tout argument pour la libéralisation, comme pour la prohibition, peut être retourné, contré, réfuté. Le Planning familial suggère de sortir de « l’opposition sclérosante entre abolitionnisme et réglementarisme » engluée dans « une impasse moralisante ».

La blogueuse Mélange instable (professionnelle, pas forcément contente de son sort, mais pour la légalisation) considère aussi que les campagnes abolitionnistes « sont à côté de la plaque et n’ont rien à envier à la Manif pour tous ». Je n’y peux rien, je n’ai rien inspiré…
Elle non plus n’a pas été consultée par les prohibitionnistes pour les aider à concocter un projet de loi n’en faisant pas une malade ou une délinquante. Elle est majeure, elle vote. Il se trouve que son sujet a rencontré un plus large écho que le mien. Tant mieux. Au moins est-il plus qualifié… Si les parlementaires ne veulent pas l’entendre, c’est en raison de quoi ?
Réponse dans les urnes… ou dans l’abstention galopante.