Je ne ferai pas à Jacques Attali l’impolitesse et la mauvaise querelle de m’avoir pompé l’idée de suggérer que des personnes pourraient plus aisément changer leur(s) prénom(s) ou patronyme après avoir consulté mes articles sur le mariage pour tous. De fait, il m’avait précédé de fort peu. L’idée n’est absolument pas nouvelle, et peut être survenue récemment à des esprits encore moins éclairés que celui de Jacques Attali (la preuve… voir mon « mariage pour tous : une mesure politiquement raisonnable » d’hier). Bref, nous sommes au moins deux à proposer depuis peu de modifier l’art. 60 du code civil pour faciliter un libre choix du prénom, libéralité que j’étendrai volontiers au patronyme.

Jacques Attali, dans Slate, ne dit pas si son prénom, Jacques, l’indispose. Pour mon compte, mon prénom de plume remonte à mes cinq ans et demi et ma première colonie de vacances. Le truc des monitrices, pour avoir la paix après la sieste et suivre les directives de faire donner des nouvelles aux parents, incitaient très fort à l’achat de nombre de cartes postales. Mieux on s’échinait à en rédiger longuement et de nombreuses, plus longtemps elles pouvaient s’occuper d’autre chose (peut-être écrire à leur petit ami, par exemple).
Jean-François (plus Marie en second) me convenait parfaitement. Je n’avais heureusement que deux parents destinataires de mes cartes (ma mère et ma tante), mais, même si je savais écrire pas trop laborieusement, former toutes ces lettres (avec le J ornemental de « Jésus-Marie-Joseph », à inscrire sur toute copie en haut de la marge droite par la suite, et le F à fioritures calligraphiques, à fions, comme disent mes amis créateurs d’alphabets) me paraissait fastidieux.
Ce fut donc « Jef », qui devint très vite à l’oral comme à l’écrit mon prénom usuel, puis celui de plume, et mon étique postérité retiendra Jef Tombeur.
Quant à « Tombeur » (« tombé dans le beurre », « qui bat le beurre », et j’en oublie…), qui n’évoquait encore que les Petits LU nantais alors, et non un « rebeu », j’en m’en suis fort bien accommodé par la suite, même si je craignais que mes enfants se fassent de ce fait chahuter sur les cours de récréation.
De toute façon, je fus loin de m’imaginer qu’un jour « faire son kéké » deviendrait une expression usitée. Mon fils, Kéveren, s’y est fait : il ne souhaiterait pas modifier son prénom.

Implications

On sait à peu près pourquoi quelqu’un pourrait souhaiter modifier son prénom. Je viens de rencontrer un petit Théophile, prénom de mon défunt tonton, et je n’ai pas osé demander à la maman si elle en connaissait l’étymologie. Dur à porter pour un futur laïcard militant…
Je ne sais pas non plus si les Clafoutis ou Pimprenelle (prénoms réels) vieillissantes seront si heureuses de ces prénoms, culinaire ou juvénile.

Mais l’autre avantage que je vois à cette mesure, c’est d’avoir moins de Jacques Dupont et de Jean Martin (bon, Jacques et Jean étant moins distribués à présent, au profit de Kévin ou je ne sais quoi, ce n’est qu’un exemple). Et pourquoi pas aussi, comme le suggère furtivement Attali, sans insister, permettre de modifier son patronyme ? Combien de Dupont et Dupond et de Martin quand nous serons 80 millions ?

Changer : ce qui se fait, mais ne s’accorde pas facilement. Il faut soit avoir popularisé suffisamment son nom d’emprunt, son alias, son pseudo, &c., soit qu’il soit estimé « odieux » ou « ridicule ». D’ailleurs, Jacques Attali, qui nous livre un rapide historique du nommage (au cours du premier millénaire, « Jules n’est pas le nom de César ; Michel Angelo, comme Rembrandt, sont des prénoms »), a omis – sans doute pour ne pas alourdir son billet – de mentionner des traditions de métiers. Ainsi, vous trouvez encore, chez les jardiniers et maraîchers, des formes telles « Untel dit Machin ». J’ai oublié la première partie du nom de ce Belfortain dont la seconde partie du patronyme est, pour l’état civil, « dit Ladurie ».
J’imagine que s’il s’était agi de « dit Ladurit », appellation héritée de bien avant l’apparition des durites, ce descendant de lignées de maraîchers aurait pu être porté à demander la modification de son nom. L’aurait-il obtenu ? Pas sûr.
Ce sont plutôt les Cocu, Hitler, Rabajoie, Poircuite, Négrobar ou Cocotier (aux Antilles), ou peut-être Médor (celui-là, je ne l’ai pas trouvé pour un ou une francophone), ou peut-être Landru, Judas, qui obtiennent aisément satisfaction.
Notez qu’à certaines époques, des libéralités furent plus aisément accordées. Ainsi pour certains Juifs obtenant des patronymes « ben de cheu nous », tels Leclair, Auclair, &c. Gringoire et d’autres titres judéophobes s’en offusquèrent fort bruyamment.

Pourtant, il peut arriver de ne pas porter le nom de ses parents, volontairement ou non. Ainsi, toute une lignée de Craciun français se retrouve dénommée Cracium, du fait d’un officier d’état civil, auquel le « n » fut pourtant épelé, qui entendit de travers. Les Cracium sont bien des Craciun (Noël, en roumain, ce qui vaut Dupont ou Martin pour la France), et ne s’en portent pas plus mal. Nouveaux Français ou Nord-Américains peuvent faire franciser ou « angliciser » assez facilement leurs noms de famille. Claude Moine se nomme à présent officiellement « Claude Moine dit Eddy Mitchel ». Pour Sarközy, sans tréma, je ne sais…

Mais pourquoi donc s’en tenir au décret conventionnel du 6 fructidor an II (1794) voulant que nul citoyen « ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance » ? Les Britanniques choisissent librement depuis fort longtemps…

D’Estaing et autres…

Dans quelques décennies, ou demi-siècles, je doute fort que Bonisseur de la Bath (nom de code, OSS 117, patronyme signifiant plus ou moins « Amélioreur du Bonnard », à l’époque) évoque encore Jean Bruce (ou Jean Dujardin). Il serait quelque peu « gonflé », à présent, d’opter pour ce patronyme à particule. Plus tard… bof. Why not? 

La mesure que – après d’autres, car la documentation à ce sujet est abondante – Jacques Attali et moi-même préconisons, comporte bien évidemment quelques risques de dérives, qu’il appartiendra au législateur de cerner, sans trop être sûr de l’évolution et de la réception futures des patronymes choisis.

Mais je vois un autre avantage à ce libre choix de prénoms ou patronymes. J’espère très fort que les préjugés à l’endroit des homosexuels et lesbiennes tomberont en totale désuétude, mais puisqu’il est question de mariage pour tous, d’adoption, je redoute un peu que l’enfant issu d’une famille homosexuelle un peu notoire se retrouve, dans son dos ou frontalement, confronté à des invectives telles que « la fille des pédés » ou « le fils des gouines ». Après tout, cela peut être handicapant pour une ou un ado, hétéro ou non, qui pourrait espérer qu’à sa majorité, il puisse librement choisir son patronyme. Une certaine conception de la bienséance a peut-être porté Attali à négliger cet aspect…

À ce propos, comme j’ai pu le relever sur un site de généalogie, je signale que « les Gourre sont bien des Gousse, et que ces mêmes personnes sont nommées Gousse sur d’autres actes les concernant » (lu sur Google Groups). Il y a eu gourance au sujet de ces « Saphique ».

Jeanne Pleutre pourra toujours obtenir, même dès à présent, de se nommer Laisné ou Hachette (comme l’héroïne de Beauvais), j’imagine, à moins que, comme les de France qui m’ont fortement barbé en travaux dirigés de droit (« le patronyme est-il un constituant de la personnalité » ? Les procès des de France contre d’autres de France encombrent la jurisprudence), des Laisné ou Hachette s’en offusquent. Opter pour DuPont de Nemours ne sera peut-être pas si facile. Cioran® n’évoque plus un écrivain d’origine roumaine, mais un matériau de surface. Quelle idée de vouloir s’appeler Crépi ?

Mais, au final, pourquoi pas ? Allez, je ramasse les dissertations dans une heure… Justifiez ou condamnez la possibilité de changer de prénom(s) ou de patronyme…

À présent, c’est à vous…

Pour étayer votre réflexion, pensez aux victimes de viol du fait d’un ascendant dont elles ou ils portent le patronyme, aux enfants d’un père violent ayant massacré leur mère, considérez qu’à raison de 800 cas annuels environ, le Conseil d’État serait déchargé d’un poids, que Lionel, devenu en Allemagne Dietzel, du nom de son compagnon, se voit sous le coup en France d’un délit d’usurpation d’identité, que les nés sous X adoptés peuvent souhaiter retrouver le patronyme d’un parent charnel retrouvé, &c.

Le billet de Jacques Attali est sur Slate. Commentez la conclusion : « les prénoms diront alors non pas ce que nos parents ont rêvé pour nous mais ce que nous rêvons pour nous-mêmes ». Ne pompez pas impudemment le texte en ligne de Pierre-Marie Dioudonnat, « Le rôle social du patronyme : mythes et réalités », si je trouve la phrase « l’appréciation, négative ou positive, qu’on porte sur soi à travers son patronyme, n’est pas nécessairement conforme à celle d’autrui » à l’identique, je fais sauter cinq points.

En revanche, songez au débat sur l’identité nationale… Au Brésil où les prénoms allogènes fleurissent. Imaginez que les parents de Jean-François Copé aient opté pour lui et choisi le patronyme de sa mère, Monique, née Ghanassia, comme la loi le permet à présent.

Qu’en aurait pensé Jean-Jacques Rousseau (prénom et patronyme d’un contemporain, perdu de vue… que j’espère toujours vivant), celui du XVIIIe (le siècle, pas l’arrondissement, je le précise à l’intention de Sigismond Cancre, que je vois dormir près du radiateur du fond de la classe), auquel une telle dissertation aurait pu valoir, sur le thème de « le libre-arbitre en matière de choix de patrimoine contribuerait-il à corrompre ou à épurer les mœurs ? », un premier prix d’une académie savante ? Le « fluet » Jean-Philippe Rameau opterait-il pour Brindacier (tel le Fifi de la BD) ou pour le patronyme de Popeye-Spinacheater ?

Ayez quand même une pensée pour le doux et timide Harold-Enguerrand de la Motte Sainte Croix du Bailly des Victoires (je viens de l’inventer) qui se verrait bien dénommer Fred Zen. Ou pour ce jeune boxeur Placide Moudugenou (idem) dont le nom de ring est Battling Thunderbolt. Mais qui traîne ce « né Placide Moudugenou » que les vociférants partisans de ses adversaires n’oublient jamais de scander.

Jack Verb

La démonstration de Jacques Attali, qui ne fait certes pas son jacques (son Jacobus, ou son périgourdain Jacquou dit le Croquant, ou son compteur de taxi, comme dans l’expression « j’enclenche le jacques », voire l’équivalent belge du québécois « faire son jars ») en suggérant cette évolution législative, este quelque trop peu imagée. Yhasha (Yakov) Simionevitch (fils de Simon), ou plutôt Ben Simon, souhaiterait-il retrouver l’étymologie grecque (attalosqui signifie : nourrir, éduquer) corsifiée ou l’arabe pour portefaix, ou s’inscrire dans la lignée de la reine Athalia ? Allez savoir…

Surnommé peut-être dans son enfance algéroise Yaouled (enfant, en arabe), il avait confié à Sid Ahmed Hammouche que « yaouled, pour moi, signifiait soumission ». Il serait peut-être, comme d’autres Attali, un descendant d’Hugues Capet.
Il se peut qu’il envie à son contemporain Jack Lang (descendant de Berthe Boulanger) un prénom et nom qui « claquent » – ou évoquent la parole, le verbe retentissant.
De cet auteur prolixe, auquel on doit des biographies de Blaise Pascal ou Diderot, auteur d’un dictionnaire, de multiples essais et romans, qui auraient déjà dû lui valoir l’immortalité de nos académiciens de l’Institut, j’aimerais pouvoir attendre un long développement.

Les divers guides de prénoms se vendent bien, celui d’un Attali serait très certainement de qualité supérieur au tout venant.

Antériorité

L’Express a repris sa chronique de Slate, c’est fort bien. De même que La Nouvelle République, d’autres, mais aussi le site DéFrancisation. Sans commentaire sur ce dernier, pour le moment.

En fait, je me et lui dois de rectifier. Auparavant, soit avant parution de mon propre article d’hier, je découvre à l’instant qu’il m’avait de très peu devancé sur son propre blogue (12 nov., 17:31). Mais le sujet m’avait préoccupé bien avant d’en faire état sur Come4News. Pour lui, de même, j’imagine.

Vrombruissage (buzz) immédiat sur son blogue : déjà 111 commentaires à présent. C’est savoureux. Se succèdent l’évocation de Mégane Turbot (que n’y avais-je pensé hier !), une comparaison entre sa prose et la fiche Wikipedia antérieure (il a pompé, il a pompé !), des considérations sauvagement psychologisantes qui ne relèvent pas le propos sur l’autorité patriarcale et virile, sur l’infantilisme et l’ontologique, sur les ancêtres vikings des Normands, l’individualisme du « sociétal bobo », le précédent néerlandais, &c. 

Choix délicat

En tout cas, bienvenue à l’avance à la petite Mélinée (325 g dans le ventre de sa maman que je bise au passage). Que je sache, elle n’hérite pas son prénom de celui de l’épouse de Missak « Michel » Manouchian, de la chanteuse Mélina Mercouri, ou du conte des frères Grimm.
Peut-être de Macédoniennes fixées en Syrie, du temps d’Alexandre, ou de la fille de Thespios, génitrice d’une ou d’un descendant d’Héraclès…

Sera-t-elle melanos (brune) comme maman ou rousse comme papa ? Ses enfants feront-ils miel ou fiel du patronyme paternel… ou maternel si sa fille ou son fils opte pour son futur nom d’épouse ?
Appréciera-t-elle le chouchen, variété de mead ou, sans doute, d’ambroisie ?
Brav anv (joli nom, brezhoneg), assurément.
Sur lequel, contrairement à l’usage, les grands-parents n’ont peut-être pas tous été consultés. Puis-je leur suggérer un second prénom gaélique ? Ou, pour le futur petit frère, celui de Silvestrig, ce qui ferait « un partout » ?

Plus largement, la bonne engeance, ou la mauvaise progéniture, se doit-elle de refléter une descendance, des origines, familialement et géographiquement, « ethniquement », marquées ? Soit proclamer une lignée ? Cela peut se discuter à l’infini, sans trop pouvoir trancher.
Pré-ado, j’en pinçais pour une certaine Hedwige, et du coup, ce prénom, peut-être hérité d’un tonton ami des Teutons, détesté par l’autre ami des Tommies, comme le chantait Brassens, me semblant plus que seyant. Liebe ist für alle da (titre d’un album reprenant Ich Tu Dir Weh, de Brassens).
Le véritable progrès serait sans doute davantage d’éviter toute moquerie sur les noms, de ne plus avoir d’enfants français blondinets portant un prénom germanique ostracisés, même si Frau Merkel en venait à nous imposer des mesures économiques draconiennes. Vœux pieux.

Peut-être que Rosalind Arusha Arkadina Altalune Florence Thurman-Busson optera pour Rosalie, surnom de baïonnette, chanté par Théodore Botrel, ou prénom de la « doudou dodue » de Carlos, et qu’on ne lui serinera pas qu’il lui faut de la salade pour soigner son mal d’amour.

Avec le temps, va… tout s’en va… et toutes les Dominique ne se font plus trop chantonner « nique, nique » (et ne détestent plus sœur Sourire…).
L’une d’entre-elles, fort bien en son genre (aux deux sens du terme, donc, aussi, féminin), aurait souhaité se prénommer du très masculin et martial Victor.
Pour une autre (nous nous fréquentons tous trois), je préfère son classieux second prénom, Marie-Geneviève, quelque peu daté, afin d’éviter des confusions (des Dominique, des deux sexes, j’en connais une flopée, une vraie tripatouillée).

Mais le ou les temps, ça s’en va et ça revient… et les prénoms de nos jours populaires peuvent être plus tard lourds à porter. Que peut prévoir le gabier nantais de La Fringante quant au devenir d’un prénom, même depuis la pointe du beaupré ?
Laissons aux jeunes adultes leurs choix, que l’on présumera éclairés, foi de Jean-Fransoué !