La France est passée à droite mais elle ne le sait pas encore…

Je viens de lire le programme allégé du bonhomme et mes derniers doutes viennent de s’évaporer aussi vite qu’une pinte de Guinness un soir de St Patrick : Nicolas Sarkozy va être le prochain président de la France.

J’arrête tout de suite ceux qui voudraient m’accuser immédiatement de prise de position partisane ou d’incitation quelconque. Oui j’irai voter les 22 avril et 6 mai 2007 mais plus par respect pour les combats de ceux qui ont gagné ce droit et pour soulager ma conscience civique que par conviction ou espoir. La France n’occupe plus que l’arrière plan de mes préoccupations aussi bien en tant que pays, symbole, et avenir.

Plus je voyage et plus je réalise que Jean Baudrillard avait raison en affirmant que : « chaque pays porte une sorte de prédestination historique qui en marque presque définitivement les traits. Pour nous, c’est le modèle bourgeois de 89 et la décadence interminable de ce modèle qui dessine le profil de notre paysage. Rien n’y fait : tout tourne ici autour du rêve bourgeois du XIXème siècle. »

Ironie du sort : Nicolas Sarkozy pourrait bien être celui qui fera entrer notre pays de plein pied dans le XXIème siècle pour le meilleur mais surtout pour le pire.

Mais il n’est pas à moi d’en juger, ce choix revient aux Français et vers quel modèle de société ils souhaitent évoluer. Je me contenterai donc de suivre cette élection d’un œil attentif et amusé comme le spectateur bon public d’une pièce qu’il connaît par cœur.

 

Donc pourquoi Nicolas Sarkozy va-t-il remporter les prochaines élections ?

Parce que tous les sondages le donnent gagnant ?

Mauvaise réponse.

Parce que la majorité des français sont maintenant à droite selon les mêmes sondages et semblent avoir déjà intériorisé les valeurs et les solutions du candidat Sarkozy ?

Douteux si l’on en juge par le résultat des élections régionales mais les conversations et les opinions glanées chez des gens se définissant comme « à gauche » ainsi que l’exploitation fructueuse, du moins au début, des thématiques traditionnelles de la droite par Ségolène Royal me donnent envie de dire : pourquoi pas ?

Parce que depuis son retour sur le devant de la scène politique (il y a environ cinq ans) Nicolas Sarkozy ne cesse de marteler son discours et son attitude de la rupture plus ou moins tranquille et de se positionner comme le candidat pragmatique, dynamique, qui parle « vrai », qualités (réelles ou supposées peu importe, cela fait partie du rôle que choisit l’acteur politique) qui semblent trouver un écho favorable auprès d’une large frange de la population qui paraît sentir qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume de France qu’il faut réformer fissa et qu’ y a en qui profitent, et qu’ y a trop d’émigration, et qu’y a trop d’insécurité, et qu’y en a trop d’impôts et qu’ y en pas assez de compétitivité et que les chinois y vont nous bouffer.

Répondre à toutes ces angoisses avec un ton ferme mais qui se veut respectueux des valeurs républicaines et du modèle social français, tout en jouant sur la rupture avec la politique de grand papa le tout avec un panache hystérique et en sachant que peu de gens ont les moyens intellectuels et techniques de mettre des chiffres et des concepts sous la batterie de propositions de son projet « rassembleur », ça me semble être une combinaison gagnante dans le contexte actuel.

Parce qu’il y pense tous les jours et pas qu’en se rasant, parce qu’on ne m’empêchera pas de croire que derrière le discours tire larmes « moi aussi j’ai beaucoup souffert » il y a une vraie souffrance psychologique qui s’est sublimée en rage de réussir et de prouver à son papa, à Chirac, à Pasqua et à tous ceux qui auraient douté de lui qu’il va tous les "niquer".

Une obsession pour le pouvoir qui frôle la névrose, une revanche à prendre sur le monde sont à mes yeux des motivations plus puissantes et plus efficaces pour un individu que la gloire de rentrer dans les livres d’histoire comme l’homme qui aura réformé la France, au forceps si nécessaire.

 

Pour ceux qui ne seraient pas convaincus par ces raisons qui frôlent dangereusement la psychologie de comptoir (où semblent d’ailleurs s’épanouir les thèses de Nicolas Sarkozy, comme quoi tout est lié), il y a l’analyse de son programme light (c'est-à-dire la brochure d’une quinzaine de pages intitulée « Mon projet » au dos de laquelle il sourit à des enfants comme un satire en vadrouille).

Là dedans il y a de vraies bonnes idées qui relèvent du choix politique applicable : audition pour les plus hautes fonctions par le Parlement sur le modèle des auditions du Sénat Américain, proposition d’un Habeas Corpus français (celui de l’Angleterre date de 1679, il était temps), le droit opposable au logement, apprentissage obligatoire de la langue pour les immigrés.

Il y a les grandes phrases pompeuses (la majorité des mots en gras) qui ne veulent rien dire et sur la plupart desquels on ne peut être que d’accord : « l’enseignement et la recherche seront pour moi une priorité absolue, « j’aiderai les familles à chacune des étapes de leur existence », je veux être le Président du pouvoir d’achat (depuis quand les statistiques votent ?), « en cinq ans nous pouvons atteindre le plein emploi », « je souhaite que notre pays progresse sur la voie des libertés » etc… En gros, on effectue une batterie de sondages qualitatifs avec la cagnotte de l’UMP que l’on a récupéré au passage et on identifie toutes les aspirations et les valeurs de la grande majorité des français, on secoue tout ça dans la tête de quelques conseillers et voilà : un programme dont les fondements sont dans l’air du temps.

La politique est devenu un produit qui satisfait des citoyens consommateurs et non plus un idéal, une vision à laquelle souscrivent ou non les citoyens.

C’est pas grave, c’est de saison.

Mais il y a un défaut parmi toutes ces propositions qui arracheront sans doute de tonitruants « Ah bah voilà ce qu’il faut à la France » à la majorité du corps électoral et que je me sens obligé de pointer du doigt pour que les Français fassent leur choix en connaissance de cause : c’est que toutes ces propositions sont joyeusement contradictoires.

Consensus oblige, tout le monde bénéficiera d’un renforcement ou au pire d’une stabilisation des moyens alloués : éducation, santé, sécurité sociale, pouvoir d’achat, défense, politique agricole, allocations familiales, retraites, logement pour tous et le tout avec des promesses de baisse de fiscalité et d’une imposition moindre des successions ! Les politiques (et pas seulement Mr Sarkozy) semblent avoir oublié que la politique est la manifestation de choix collectifs et les électeurs que chaque allocation budgétaire suppose une ressource pour la financer. Rien de neuf sous le soleil mais crédibilité de la droite oblige (par opposition à la vilaine gauche dispendieuse), il faut trouver un moyen de crédible de financer tout ça.

D’où viendraient donc ces ressources ?

D’une formule magique qui lave plus blanc que la croissance du PIB : plus de travail= plus de richesse.

Vous entendez ce bruit ? C’est quatre générations d’économistes qui se retournent dans leurs tombes ainsi que tous ceux qui ont passé leur vie à effectuer de manière de plus en plus intense un travail inutile et improductif.

En dépit de ce que pensait Marx (et c’est sans doute la seule variable fausse dans sa lucide équation apocalyptique), ce n’est pas le travail qui est la valeur clé du système capitaliste, c’est la productivité. Pour parler comme les vrais gens, produire plus en moins de temps (ou avec moins de gens). La croissance sans équivalent des pays industrialisés au XXème siècle a explosé dans un contexte de réduction progressive du temps de travail : plus de machines, plus de méthodes, plus de connaissances, plus d’efficacité, plus de loisirs.

La variable clé est donc la productivité ce dont la France ne manque pas du point de vue du facteur travail (elle se situe même dans le haut des classements) mais qui lui fait cruellement défaut du point de vue de l’intensité capitalistique (équipement informatique et NTIC globalement). C’est plutôt ce type de productivité qu’il faudrait encourager.

Mais allez présenter le raisonnement ci-dessus en trois phrases dans un talk show politique.

Pareil pour la culture, Nicolas Sarkozy veut à la fois « transmettre les repères de l’autorité, du respect et du mérite » tout en affirmant que « l’école d’une grande nation doit faire lire de grands textes », oubliant au passage que les grands textes en question ont toujours manqué de respect à l’autorité, ont bafoué les valeurs établies, ont questionné les fondements de la société.

« l’Or ?- Je le hais comme vous haïssez Dieu. » écrivait Baudelaire en 1869.

Mais là encore peu importe, dans un monde à la complexité de plus en plus angoissante, il faut des réponses simples qui semblent faire appel au bon sens.

Nicolas Sarkozy l’a bien compris et c’est pour cela qu’il sera élu.

 

Y a-t-il une fatalité ?

A priori non. A posteriori, toujours.

Pour l’instant, il n’y a que deux choses qui pourraient empêcher Nicolas Sarkozy de remporter les élections.

Premièrement, qu’ils commettent une boulette plus grosse que lui qui lui aliène instantanément la frange, disons, « modérée » de son électorat du type :

« Je vous le dis solennellement (les mains s’abattent dramatiquement sur le pupitre), il n’y a pas de place en France pour tous ceux qui ne veulent pas travailler plus pour gagner plus. La France de l’effort on l’aime ou on la quitte »

Ou alors, la révélation d’une malversation tellement abjecte qu’elle réduirait à néant sa prétention de rupture avec la politique du népotisme et des intérêts privés comme par exemple le fait qu’il aurait négocié avec Chirac l’amnistie de ce dernier en échange de son retrait de la course à l’Elysée qui aurait visé à diviser la droite et de faire gagner la gauche.

Deuxièmement, la possibilité évoquée par Michel Rocard, peut être une des victimes les plus regrettables du mitterrandisme, celle de l’union de Ségolène Royal et de François Bayrou.

Si l’on en croit les chiffres, c’est la seule possibilité qui permettrait de battre Nicolas Sarkozy de manière à peu près certaine. Reste à savoir si la haine qu’il suscite est suffisamment rassembleuse et si les français et leurs représentants sont prêts à pousser l’idée du gouvernement d’union nationale dans ses retranchements.

Ou encore, faisant mentir mon plan, il y a l’éventualité d’un de ces caprices électoraux dont les français ont le secret avec la présence au second tour d’un duel François Bayrou/Arlette Laguiller, après tout depuis le temps qu’elle fait rire les français, ce serait une belle façon de la remercier.

Et ses principaux opposants ?

Royal donne trop l’impression de rédiger le discours du lendemain en fonction des sondages de la veille alors que les français semblent rejeter cette approche opportuniste de la politique pour favoriser les hommes ou femmes de convictions qui les brossent dans le sens du poil.

C’est sur ce créneau de Bayrou tente de se positionner surfant sur les effets de sa gueulante contre le parti pris des médias et de son prétendu refus de la politique démagogique qui ont trouvé un écho dans l’opinion. Le problème, c’est que son projet reste flou et un peu confus pour la majorité des français et que sa proposition d’union nationale peine à trouver un second souffle une fois passé l’effet de la nouveauté.

Le principal problème de la politique moderne sera la gestion du cycle de vie du produit.

A l’inverse Sarkozy offre l’illusion d’être un homme de convictions (ce qui rend ses écarts sympathiques) qui suit une ligne directrice fondée sur un projet cohérent s’appuyant sur un parti bien établi, contrôlé et financé. Il est pragmatique (comme tous ceux qui réussissent, murmure la pensée commune), ne prend que le meilleur du libéralisme et de la mondialisation,(même si comme dans le cochon tout est bon) et nous dit « qu’ensemble tout devient possible » et qu’il faut être « fiers d’être français ».

La synthèse parfaite de deux aspirations contradictoires de notre époque –volonté de s’insérer dans la mondialisation et maintien d’une bulle protectrice sociale, culturelle et identitaire- est tellement belle que j’en écouterais la Marseillaise, les larmes aux yeux et la main sur le cœur dans mon bureau de Shanghai surplombant la chaîne d’assemblage du nouveau Minitel dualcore avec écran plat.

 

En vertu de tout cela, je suis convaincu que le 6 mai 2007, ce sera le nom de Nicolas Sarkozy que PPDA prononcera à 20h00 avec le sourire satisfait de celui qui savait qu’il était dans le camp du gagnant depuis le début. Et la France rompra tranquillement avec le XIXème siècle qui faisait quelque part tout son charme pour entrer de plein pied dans l’ère de la modernité et de sa sainte trinité : image, travail et pragmatisme de marché.

Pour ma part, j’ai toujours cru qu’en dépit des apparences, les sociétés démocratiques ont les gouvernants qu’elles méritent.

Alea jacta est (almost).