Police : la « prune » de type Catch 22

Un peu de civisme : tentons d’aider un automobiliste riverain inconnu à s’épargner de régler une contravention de stationnement pour le moins, à mes yeux, insolite. Mais « logique », selon la police (qui, pour partie, n’en pense pas moins…). La ou le propriétaire d’une voiture coincée par des camions de pompiers et une voiture de police avant 08:00 mérite-t-il d’être verbalisé(e) ? Oui selon la police, non selon divers « syndicats » de copropriétés du dixième arrondissement parisien…

Cocasse, incongru, ce que vous voudrez… Petit récit des événements de la nuit passée et du matin du 15 novembre 2011. Ayant aidé une restauratrice du voisinage à baisser son rideau, je rentre chez moi, rue de l’Échiquier, dans le quartier parisien de la Porte-Saint-Denis, vers 02:10. Salon et chambre, où dort ma compagne, sont envahis par un fin brouillard à l’odeur âcre. Je m’assure que la dormeuse est encore des nôtres, et je compose le 18. Le permanencier m’interroge et suggère que, peut-être, les périphériques d’un ordinateur auraient subi un court-circuit. De fait, l’odeur est plus forte à proximité des prises du salon. J’insiste un peu, mais il m’est répondu aimablement « excusez-moi, mais nous avons beaucoup d’appels… ». Bon, j’aère, dodo.

Loin de moi l’idée d’incriminer les services d’incendie de Paris.

D’une, lisez la presse, vous verrez qu’ils se disent en sous-effectifs, qu’ils croulent sous les interventions.
De deux, ancien fait-diversier, j’ai effectué des gardes avec des pompiers départementaux, je les ai « coursés », vu leur dur travail de très, très près… Et franchement, cela marque, et même durablement, et même réveille, parfois.

Quand vous avez un « micheline contre 2 cv » avec trois mortes, dont une enfant en bas âge décapitée, quand vous assistez à des désincarcérations particulièrement sanglantes, des évacuations de très graves brûlés qui décèdent, vous saluez bien bas les pompiers, et les policiers qui assistent à tout cela, comme nous, p’tits journaleux. Merci, au fait, aux pompiers (et à la police, qui n’a pas pour tâche que garder des portes… de particuliers).

La police : deux équipes courtoises, sympa, &c. C’est en fait une poutre qui était lentement entrée en combustion, sans doute du fait des travaux du très important chantier voisin. Des passants, au matin, voient s’échapper suffisamment de fumée pour alerter de nouveau les pompiers. Cette fois, peu avant 07:44 (heure portée sur la fiche d’intervention), coups assenés sur la porte (ne jamais sonner en cas de fuite de gaz). Odeur âcre, fumée, &c. La police intervient pour boucher la rue derrière les camions des pompiers, prenant deux véhicules « en otages ». Normal. L’intervention durera jusqu’après midi, une porte au rez-de-chaussée doit être fracturée pour accéder au local, &c., donc, une garde policière s’impose.

22, v’la les « collègues »

Dans la rue, s’avance un binôme de poseurs de contraventions, une dame blonde et son collègue.

Ils avisent une voiture blanche, coincée. Je ne sais qui est le propriétaire mais j’interviens.

La voiture ne peut ni reculer, ni avancer. Je prends, en dépit d’un avertissement verbal, deux photos l’attestant.

Je préviens les autres policiers.
Trop tard.

La contravention est dressée et ils ne peuvent rien faire. La gradée de l’équipe d’intervention me fait remarquer que le capot de la voiture est froid, que le véhicule « aurait dû être dégagé avant huit heures quinze » et qu’il (ou elle, propriétaire du véhicule) « le pouvait encore à ce moment là ». Je n’en disconviens pas. Je m’étonne, sans mot de trop, mais un peu choqué, en haussant légèrement le ton (le volume sonore). La gradée, compréhensive, ne m’en tient pas rigueur.

Qu’on me permette de m’étonner que, quand les pompiers attestent être intervenus à 07:44, la police ne survient qu’à 08:16 pour bloquer l’accès. Ce, totalement, du fait d’un véhicule en stationnement et d’un échafaudage (celui du chantier, empiétant sur la chaussée). Une demie heure de délai environ, non ? Allez, pourquoi pas… Toutes mes excuses pour mes remarques, restées courtoises, dans ce cas.

Mais un peu de compréhension, non, est-ce trop, est-ce si abusif ? Ce n’était en fait pas le cas, mais si le propriétaire, logé semble-t-il dans l’immeuble devant lequel il avait garé sa voiture, avait choisi d’utiliser les transports en commun pour se rendre à son travail ? De fait, il devait sans doute être vraiment en infraction puisqu’il dégagera son véhicule dans les minutes ayant suivi l’établissement de la contravention (les policiers de l’intervention, compréhensifs, ayant reculé leur véhicule).

Pas d’outrage

Compte tenu de ce qui précède, de ma longue fréquentation amicale de divers policiers, je me contente de déplorer ce qui m’apparaît être – peut-être à tort – une application quelque peu stricte de la réglementation. Mon témoignage ne vise qu’à appuyer mon voisin qui devra peut-être solliciter (à moins qu’il ne s’écrase la contravention, la règle en temps utile, et renonce à présenter une réclamation) la bienveillance de qui de droit.

Mais c’est une historiette de type « Catch 22 » (kafkaïenne, si vous préférez, en l’espèce, inextricable). Dont, nous en conviendrons bien volontiers, ni l’équipe d’intervention (qui s’est abstenue de sortir un carnet de contredanses), ni le maire de Paris, ni le préfet de police (qui supervise aussi les sapeurs-pompiers de Paris), de mémoire, Michel Gaudin, ne peuvent être tenus pour responsables.

Au fait, Michel Gaudin se plaint parfois de l’attitude de certains magistrats du siège. Je ne sais si le propriétaire de cette voiture est un « multiréitérant » ou « multirécidiviste ». François Falletti, Yves Bot, ou Laurent Le Mesle, successifs procureurs généraux de Paris, auraient-ils un avis sur la question de cet automobiliste et de sa contravention ? S’il s’agit d’un primo-contrevenant, la clémence ne pourrait-elle être envisagée ? Qu’en pensent les magistrats de la chambre criminelle de la cour de Cassation qui ont parfois à examiner des affaires de simples contraventions (plutôt pour excès de vitesse que pour abus de stationnement) ? Je ne sais quelles pourraient être les conséquences de cette somme toute futile affaire…

Si mon voisin abusait du droit d’ester, s’exposant ainsi à une sanction civile (plafonnée à 3 000 euros), à des dommages ou intérêts (à la discrétion du tribunal), peut-on, par avance, plaider l’indulgence ?

N.-B. – je n’ai pas flouté la photo des sapeurs-pompiers, difficilement reconnaissables, mais les policiers dressant contravention m’ayant signifié que je n’avais « pas le droit » de les photographier, j’obtempère à leur souci d’anonymat, et tant qu’à faire, même si le SNJ, ses avocats spécialistes du droit de la presse, où ceux de Denis Robert (que je salue amicalement au passage), pourraient m’assurer qu’il n’est nul besoin de flouter la plaque d’immatriculation, par respect de la vie privée (au cas où ce véhicule était celui emprunté par Anne Sinclair ou Dominique Strauss-Kahn, en particulier), j’y ai procédé. Chaque protagoniste, et lui seul, se reconnaîtra…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Police : la « prune » de type Catch 22 »

  1. Je raconte cette mésaventure à mon médecin du quartier. Pour lui, c’était le coup de fil d’urgence d’un patient. La conversation s’interrompt. Il alerte les pompiers, prend sa voiture, file au chevet de son patient (qui sera sauvé… de justesse).
    Là aussi, pompiers et polices sont intervenus. Plus des aligneurs.
    Bref, en dépit de son caducée en évidence, il s’est fait lui aussi aligner.

  2. Merci Sophy. Question reportage, il est vrai que j’étais aux premières loges, c’est plus facile. Pas un petit incendie, mais un truc potentiellement très dangereux. J’aurais pu faire dans le pathos, dans le « du social, du vivant, de l’humain ».
    C’était assez facile. Le premier pompier auquel nous ouvrons nous voit pieds nus, en peignoirs, et nous intime presque d’évacuer de suite : « [i]venez comme cela dans la rue [/i]». Il faisait vraiment frisquet et puisque la fumée n’était pas plus importante que lorsque le permanencier du 18 nous avait laissé nous recoucher, hein !
    Il y avait aussi une femme enceinte dans l’immeuble. Mais elle n’a pas été trop incommodée. Les pompiers sont revenus à quatre-cinq reprises, dont avant minuit et le lendemain matin. Ces feux sont très pernicieux.
    J’ai préféré centrer sur cette histoire de prunes. Car elle en reflète d’autres similaires. Un gars de Marseille aussi qui, affolé par un appel de sa famille, laisse sa voiture portes ouvertes, avec la clef sur le contact : prune.
    Philippe Vénère (le bien nommé), ancien divisionnaire, a publié :
    [i]Manuel de résistance contre l’impôt policier : Comment contester vos contraventions [/i](éditions Max Milo)

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