Pierre Bordage changerait-il de genre ?

Non, cela n’a rien à voir avec la prétendue « théorie » du genre ? Mais Pierre Bordage, auteur – ô combien fécond ! – d’ouvrages (plutôt des « volumes ») de SF et de fantastique semble avoir opéré une mutation avec Le Jour où la guerre s’arrêta (éds Au Diable Vauvert). Ce livre (de « seulement » 280 p.) s’apparente à la fable développée, dans la lignée des essais des grands utopistes et conteurs philosophiques. Son Petit Prince, plutôt pour pré-ados et jeunes de 7 à (plus de) 77 ans, incite, tel le Zadig (euh, pardon, Candide) de @&Voltaire, à « cultiver son jardin » (ou ses jardins, dont l’intérieur).

Alors que de l’Ukraine à la Libye ou encore la RCA, en passant par l’Irak, la guerre fait rage, pour assouvir des intérêts peu avouables ou la soif égotiste de dirigeants aspirant à plus de pouvoirs, puissances et territoires, voici qu’un petit garçon amnésique, à l’identité plus qu’incertaine, tant pour lui-même que pour le genre humain, s’imagine pouvoir réconcilier les antagonistes et protagonistes du concert – ou plutôt de la cacophonie – des Nations « unies ».

Doué, en autres pouvoirs, de télépathie et télékinésie, il apparaît sur tous les terrains de conflits (ordinaires et urbains devenus incivils, d’affrontements armés, de disputes guerrières territoriales ou idéologiques). Bienvenue, Petit Prince, dans le réel d’une Humanité souffrante, conflictuelle, de pauvretés morales et matérielles, bref, tant dans le quotidien que dans l’exceptionnel pourtant récurrent du champ d’études polémologistes. À sa manière fort accessible, Bordage se fait de nouveau polémologue (analyste des conflits). Ce n’est pas nouveau : son dernier, Chronique des ombres, tout comme sa trilogie Les Guerriers du silence, ou ses divers cycles ou romans hors catégories habituelles, campent surtout des combattant(e)s, qu’animent de bonnes ou néfastes intentions.

Mais hormis pour Les Fables de l’Humpur (1999), son pouls de fabuliste restait discret ou en retrait. Ici, avec Le Jour où la guerre s’arrêta – on peut sans crainte dévoiler l’épiphanie finale : elle n’est pas vraiment en passe de cesser, sauf pour qui cultive la paix de l’esprit – il s’agit bien nettement d’un conte philosophique. Ce genre fait fi d’anomalies, contractions, invraisemblances, incohérences passagères (aucun auteur de cette catégorie n’y échappe), mais elles ne heurtent pas davantage qu’à la lecture des Harry Potter. Mettons que le Petit Prince (qui a oublié jusqu’à son nom et que ses rencontres nomment au gré de leur appréhension de son personnage du moment), choisit ou non de se laisser mettre en difficulté, d’avoir ou pas recours à ses pouvoirs.

Il domine pourtant la matière, et impose le mutisme aux armements. Mais, prévient-il, tel un dieu chrétien laissant finalement ses créatures libres de leur destin, et de leurs présumés choix, il ne s’agit que d’une accalmie, d’une trêve, que « les hommes » (surtout celles et ceux au pouvoir) peuvent assumer de prolonger ou de rompre. Guerres et violences – y compris les familiales, économiques, sociales – reprendront donc, n’épargnant, si ce n’est physiquement, que celles et ceux capables d’instaurer une paix intérieure les détachant de leurs tourments.

Cette parabole moderne, émouvante, d’un Petit Prince provenant d’un ailleurs indéfinissable et choisissant de s’attarder à saisir ce qu’est « la condition humaine », n’est pas exempte de clichés ou généralisations hâtives, mais campe des personnages cependant complexes, en nuances – et conflits intérieurs –, aspirant à retrouver le sens et la communion avec « le souffle originel qui anime chaque être, chaque plante, chaque chose… ». Par là-même attachants et sensibles, renvoyant chacun à sa part de bienveillante naïveté (ou « simplicité » d’esprit), contrariée mais subsistante. Cela vaut invite, pour qui le peut, sinon à changer, du moins à infléchir son existence.

« Les hommes avaient le choix, mais n’étaient pas prêts à l’admettre, » conclut ce Petit Prince qui finit par tirer sa révérence, en mourant pour renaître, sous sans doute une autre forme. Ce livre, que beaucoup se plairont sans doute à prêter ou offrir, sera disponible en librairie le 4 septembre. Vous le trouverez aussi, ainsi que son auteur, le lendemain (et jusqu’au 7) au festival Livre sur le quai de Morges, à Lausanne…

Comme le résume bien le prière-d’insérer de l’éditeur, « ce roman est l’opportunité de faire découvrir un grand écrivain, déjà plébiscité par ses lecteurs, à de nouveaux publics, bien au-delà de ses fidèles. ».

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Pierre Bordage changerait-il de genre ? »

  1. Bonjour,

    Comme vous le savez, je me bats quotidiennement pour tenter d’obtenir la paix du net depuis maintenant… six ans !

    Eh bien, ce n’est toujours pas gagné… mais ça progresse, tout doucement…

    Je suis dans une phase d’échanges avec les magistrats de mon TGI qui me disent leurs sentiments avec des mots pour la première fois depuis quatre ans…

    Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer. A les croire, je serais Lucy, je pressionne tout le monde avec mes super pouvoirs…

    Voilà où nous en sommes aujourd’hui…

    Suite au prochain épisode.

    Bonne journée.

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