Il n’est pas vaudois, mais zurichois, et son exploration du thème du vaudou est un peu, pour lui, une vieille lune. Il n’en expose pas moins ses créations en rapport (imaginaire mais parfois symbiotique), à la galerie parisienne MarassaTrois, jusqu’au 5 novembre 2009.


On m’avait dit, « tu verras, c’est un personnage ! ». Bon, un de plus. J’ai l’habitude des individus à forte individualité et des artistes en particulier, donc je ne me suis guère ému de ce descriptif. Mais effectivement, c’en est un. D’abord, il est plutôt imposant : grand et athlétique. Ensuite, il donne l’impression de vous toiser doublement. Enfin, oui, c’est vraiment quelqu’un qui n’est pas forcément si énigmatique mais qu’on sent en constantes interrogations et recherches. Et singulier…

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Là, pour  MarassaTrois, il a ressorti des œuvres remontant à trois ou six ans. Elles sont inspirées par la symbolique rituelle du vaudou. Parfois, comme dans le cas de cette femme brandissant des serpents, il s’agit de pure imagination de sa part mais, coïncidence, le thème des serpents n’est pas du tout étranger à divers domaines en rapport étudiés par Natacha Giafferi-Dombre, anthropologue spécialiste d’Haïti, et galeriste, et Bénédicte Auvard, commissaire d’exposition et spécialiste du Brésil. Pier Geering a tourné la page mais s’intéresse toujours autant aux signes et aux symboles. Les religieux et les autres. Mais tout d’abord, un mot sur sa technique. « Pier Geering, lui, dessine et peint sur de grandes feuilles de papier de soie. Depuis plus de vingt-cinq ans, à l’écart des modes, il persévère à hisser au vent les drapeaux délicats d’un territoire qui n’existe pas. Motifs sarcastiques ou menaçants, ces grands dessins fragiles nous rappellent à nos mythes, nos signes, nos rêves. » Cet extrait de la revue Le Cahier dessiné (nº 6, daté d’octobre 2005) résume bien ce qu’on ressent devant les oriflammes exposés à MarassaTrois. Dans ce Cahier dessiné (éds Buchet-Chastel) Pier Geering se trouvait en compagnie de Tomi Ungerer et Roland Topor : on a connu des compagnonnages et voisinages moins prestigieux. Il se trouve que ces derniers sont en sus pertinents.

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L’étendard tendu en travers de la vitrine est le sceau de l’église catholico-vaudou suisse. « L’objectif est de rechristianiser l’Amérique du Sud, » vous renseigne Pier Geering le plus sérieusement du monde. Évidemment, personne n’est tenu d’y accorder crédit, mais on peut faire très sérieusement « comme si ». Au point de recruter une passante pour l’enrôler, ne serait-ce que quelques minutes, sous l’étendard de la « vrai foi helvético-vaudou ». Et comme il manquait à cette église un habit de missionnaire, il a été considéré que la tenue de cette catéchumène serait du meilleur effet sur les fidèles et bien adapté aux climats des missions. Elle est devenue presto Supérieure Apostolo-protochanoinesse. De même, notre consœur Adriana Patrascu, de la revue Cosa mentale,  a illico accepté le poste de Grande Archiprêtresse à la Propagation des conversions.

Pier Geering reste connu en tant que conservateur du musée-piscine du Letzigraben, situé dans le bâtiment de bains conçu par Max Frisch (†1991, Zurich) pour sa ville. Architecte mais aussi écrivain fécond à la subtile ironie, ami de Brecht et Dürrenmatt, Frisch a légué son nom à cette piscine qui employa longtemps Geering en tant que maître-nageur. « En  général, on disait ou écrivait que j’étais maître-nageur et artiste et non pas artiste et maître-nageur, relève Geering, mais cela va changer puisque j’ai pris ma retraite de surveillant de baignade l’an dernier ». Il va surtout, à présent comme hier, apprendre à rêver. Et possiblement à surnager dans le chaos de la post-avant crise qui caractérise notre époque. « Le foutoir est toujours propice à la créativité artistique, remarque-t-il, et cela valait autant pour la Nouvelle-Orléans des débuts du blues et du jazz que pour le Paris des peintres de Montmartre et Montparnasse ; et là, je trouve que Paris est plus remuant, plus intéressant, tant en peinture qu’en musique ou dans d’autres domaines artistiques. ». Y que viva el desorden, ¡joder!

Pier Geering, qui a aussi étudié l’ethnologie, est sensible à l’air du temps, et se crée ses propres alphabets symboliques pour en rendre compte. À présent, il s’intéresse aux robots, déjà très répandus au Japon, et qui ne tarderont sans doute pas « trop » à modifier notre quotidien. Peut-être devrons-nous nous en remettre au culte du crocodile mérinos de Geering (l’une de ses créations de la série vaudou) pour nous protéger de leurs intrusions, peut-être seront-elles bénéfiques et on se passera alors de l’égide du croco blanc. Dans le doute, autant appliquer le principe de précaution. Donc aller à la galerie MarassaTrois se recueillir ou déposer des offrandes.geering_catho_voodoo.png

L’intitulé de l’exposition, Resurrection Shuffle (résurrection et nouveau brassage ou nouvelle donne d’après trépas), n’est peut-être pas très évocateur, mais après quelques vingt ou trente années d’études de l’alchimie opérative, sa réelle signification devrait vous être révélée. Patience, donc. En attendant, songez que Pier Geering, au bout de trois décennies de recherches artistiques, vous a peut-être précédé dans des territoires valant d’être explorés. Une porte d’entrée en est la galerie MarassaTrois, 89, rue de Charenton, à Paris. Une autre passe pourrait bien être la page de Pier Geering sur FaceBooK.  Ne faites pas d’impair, empruntez les deux…

 

Expo Resurrection Shuffle II
Galerie MarassaTrois
89 bis, rue de Charenton
Paris
métros : Ledru-Rollin, Gare de Lyon,
Bastille…
Jusqu’au 5 nov. 2009
du mardi au samedi de 14 à 19 h.