Elle signe ses photos « Laura Mate ». À un « gram » près : ma lauréate. Je ne serais pas étonné que ses photos lui valent un jour un trophée, si ce n’est déjà le cas. Aura Malte a un petit air d’héroïne de Corto, le personnage d’Hugo Pratt. Elle vient de sortir, avec Jean-Jacques Tachdjian, un livre-album, Half the Sky… Bon prétexte pour la rencontrer.


laura_mate_2_72.pngElle a un petit côté AFAR (auxiliaire féminine de l’Armée de l’air, dans mon imaginaire), version RAF, d’où Corto Maltese, et autres associations d’idées. Britannique, elle ne sort jamais, par temps gris, sans son parapluie. Et récemment, depuis quelques mois, rarement sans son pram (perambulator, landau) et son très jeune fils. Devenue aussi parisienne que peut l’être Jane Birkin, elle n’en préfère pas moins faire ses courses rue du Faubourg Saint-Denis, encore un peu « East End », qu’à Montorgueil. Voilà pour les deux ou trois choses que je sais d’elle, et j’en aurais appris sans doute davantage si Laurent Godard, dans la cour des Petites-Écuries,          avait eu la bonne idée d’être présent lorsque nous sommes passés devant son atelier. Faute de pouvoir bénéficier de ses éclairages, c’est au Sully, bar tout proche, que je m’en suis dispensé. Contrairement à d’autres artistes, les photographes, elles, assument qu’on les prenne en photo dans des conditions limites. Et puisque ma dernière modèle, Maïssa Toulet, s’était refusée à l’exercice, avec Laura Mate, j’ai compensé. La photo du jour s’est dupliquée.

 

Derrière le comptoir du Sully, je l’ai saisie un – tout petit – peu comme ses sujets d’Half the Sky. Pas comme toutes, pas comme Fang Fang, DJ déjà célèbre, ou Feng Haining « Hefen », animatrice d’une radio pékinoise, chanteuse de rock, dont la photo de Laura est déjà un peu partout sur la Toile chinoise. Mais « à la manière de… », par exemple, Liu Junfi, portière d’hôtel, A Fei, vendeuse, Duan Xuying, kiosquière… Dans Half the Sky, on apprend l’essentiel sur elles. Or donc, Laura Mate a rencontré son mari, un Français, à Pékin, lequel l’a séduite (« ce les Français savent si bien faire, » plaisante-t-elle) davantage encore que la capitale chinoise, au point de la convaincre de venir vivre à Paris. Leur bébé a cinq mois déjà et Laura a observé une pause qui s’achève. Elle va se remettre à prospecter les magazines, les revues féminines de mode ou de déco, les agences, &c.

 

Pourquoi Pékin, Laura ?

« J’ai d’abord eu un contrat de trois mois, de scout chargée d’acheter des objets à la mode en Chine. Je suis rentrée à Londres, où je vivais et travaillais, puis retournée à Pékin. J’étais trop impatiente, passant d’un poste d’assistante de photographe à un autre. Quitte à vivre avec très peu de moyens, j’ai voulu commencer à me faire un portfolio en Chine. J’ai vécu avec trois autres filles, des Chinoises, qui m’ont tout appris, la cuisine, leur culture, leurs médications, &c. Ce fut jour et nuit des entretiens, des fêtes, des rendez-vous de travail avec des artistes, d’autres photographes, des expatriés, et j’ai décroché des boulots pour Elle Décor. J’ai alors surtout fait des photos de créatrices, d’artistes, de stylistes, dans leurs ateliers. Puis je fais la connaissance de Paul Oakenfold, de divers musiciens, et de journalistes de Rolling Stone. Un magazine chinois m’a aussi demandé des photos. J’ai pris des cours de mandarin, et j’ai beaucoup conversé avec les chauffeurs de taxis car j’avais toujours des prises de vue d’un bout à l’autre de Pékin. De toute façon, on n’a pas le choix : beaucoup de gens ne parlent pas du tout l’anglais.

Et puis j’ai recruté une assistante, un vrai ange gardien, Zhang Ling, et nous étions en permanence à courir aux quatre coins de la ville. Beaucoup de photos ont été prises selon l’inspiration du moment, en ne passant qu’une demi-heure à trois heures avec ces jeunes femmes du livre. Je n’avais que mon appareil, pas du tout d’autre matériel, et je devais m’accommoder de la lumière ambiante. Je m’étais donné un mois pour ce projet… Quelques images ont vraiment besoin d’être accompagnées des textes, d’autres pourraient être publiées sans commentaire. Je suis rentrée à Londres vannée, avec des cernes sous les yeux. »

 

Et ce projet de livre ?

« Je n’y pensais pas vraiment, mais j’ai rencontré Renaud Faroux, qui est historien d’art et journaliste,  et nous sommes devenus amis à Paris. Il avait organisé en partie l’expo de Jean-Jacques Tachdjian à Los Angeles, et il m’a proposé de le rencontrer à Lille. J’ai fait pas mal d’allers-retours entre Lille et Paris car j’ai été convaincue par son travail. Nous avons des goûts très différents mais il a vraiment un style à lui, et ce qu’il fait est vraiment très maîtrisé. Comme tu l’as remarqué, il a vraiment établi des correspondances, graphiques et autres, entre les textes et la tonalité, les sujets mêmes des photos, l’espace… et Pékin. »

 

laura_mate_1_72ppp.pngLa photo, toute petite dedans ?

« C’était vraiment mon objectif. J’ai commencé par des études d’art à Bradford, puis j’ai suivi un cursus de photographie à Leeds, à l’Arts’ College, et j’ai obtenu mon Foundation Degree. La photo, c’était vraiment mon premier choix. Puis j’ai travaillé à Londres, Amsterdam, à Cuba, revenant à Londres pour des expos, &c. Et Paris… »

 

Paris, pour la vie ?

« Londres reste très chère à mon cœur, mais c’est une ville qui change tout le temps, qui est en constante évolution. Londres, c’est ce qu’en font les gens de Londres. À Paris, les gens incarnent Paris, c’est le contraire de Londres, et je crois que, oui, je suis devenue une Parisienne… »

  

Mate, Laura Claire, Half the Sky – xxist Century China Girls, 136 p., format 18 × 24,5, couv. cartonnée, La Chienne éd., Lille 2010, ISBN 978-2-9535052-4 (prix en Sterling pour achat en ligne : £ 20). Dans les bonnes libraires en France… (Violette & Co, Centre Beaubourg…).

 

Site de Laura Mate : lauramate.com (ou Facebook)
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