Voici bientôt quatre ans disparaissait Peter Tupy (Prague, nov. 1946 ; Londres, déc. 2005), l’un des « grands organisateurs » et réalisateurs de films d’animation. Peu connu en France hors des cercles de spécialiste, il y séjournait pourtant fréquemment en compagnie de sa femme, Sylvie, dont il avait fini par partager la langue natale
Peter Tupy avait l’œil malicieux mais l’impavidité du pince-sans-rire britannique lorsqu’il lançait une blague ou se moquait gentiment de vous. Mais la franche rigolade ne lui était pas étrangère et l’une de ses lectures favorites était le mensuel français Fluide Glacial, très marqué par l’influence de l’humour « à la Marcel Gotlib ». Son atelier de Wardour Mews, en fait un très étroit immeuble avec des escaliers à la pente très vive, témoignait de sa foisonnante inventivité. C’était comme se retrouver dans les coulisses de « La Rubrique à brac » de Gotlib, de la série « Léonard le Génie » (de Philippe « Turk » Liegois et Bob de Groot, inspirés par Da Vinci), ou dans les communs de Moulinsart envahis par le Pr Tournesol. Les ordinateurs côtoyaient d’incroyables créatures de carton, des maquettes de décors, des machineries pour marionnettes, des bidules très récup’art visionnaire, et surtout, surtout un vaste assortiment d’outils, certains patinés par le temps, d’autres encore tout clinquants, et des matériaux et accessoires multicolores. En sus, des caméras, des appareils photo, des éclairages de studio, des « coins labo » et des « labo recoins », et partout des placards ou des tiroirs débordant d’accessoires : un rêve de brocanteur.
Il était venu à Londres en 1968 sans vraiment trop l’intention d’y rester ad vitam. Les chars russes dans les rues de Prague, puis Sylvie, sa future épouse, le fixent à Londres. Un peu aussi, et même beaucoup, l’amitié de Bob Godfrey, futur « pape » des effets spéciaux et de l’animation à la mode britannique ou plutôt Commonwealth car il est d’origine australienne. Bob Godfrey l’emploie dans son Movie Emporium, puis Peter va être le fondateur et directeur de 2P films. Bob et lui resteront très proches, d’où ce « crobar » les montrant tous deux émaciés en « survivants de la zone rose » (Soho, autrefois le « quartier rouge » des effeuilleuses et des studios d’artistes étant devenu une sorte de Marais chic pour la communauté gay). On ne sait trop si l’autre légende est une allusion à un groupe musical (Joe Brown & the Bruuvers), au Bruuvers Theatre, au peintre et cinéaste expérimental américain Jordan Belson (et créateurs d’effets spéciaux) émule de Méliès, aux jumeaux de la chanson de variété Gunnar et Matthew Nelson, ou aux ou plutôt à la… Nelson Brothers, l’entreprise de pompes funèbres Nelson Bros de Melbourne « ready to help Victorian families ». Sylvie Tupy penche pour la dernière hypothèse, je plaide pour la proximité de Brewer Street (parallèle de Peter St et donnant sur Wardour St, dans Soho, dans le coin du cabaret Madame Jojo’s).
Ce n’est pas en tant que rédacteur du défunt magazine Pixel, consacré aux FX cinématographiques et à la création 3D, que j’ai rencontré maintes fois Peter. Je n’allais jamais au festival d’animation d’Annecy et ce n’est qu’après sa mort que j’ai brièvement fréquenté le salon Imagina de Monaco. Les pigistes de Pixel enseignant aux Gobelins (l’école d’animation parisienne) connaissaient mieux les travaux de Peter que moi-même. Je savais qu’il avait travaillé avec l’équipe de réalisation du Yellow Submarine (le dessin animé) des Beatles, à des films prestigieux, qu’il enseignait après avoir obtenu des trophées. Ses clips musicaux m’intéressaient davantage (dont celui d’un Big Yellow Taxi, pour Melanie, crois-je me souvenir). J’étais avec Peter « pour boire des coups (…) et pas payer nos verres » à des soirées de premières dans Soho. Ou partager ses délicieuses recettes réalisées avec les herbes et légumes de son jardin ouvrier, par exemple. Le reste du temps, je travaillais un peu avec Sylvie ou pour les magazines dont elle réalisait la mise en pages. Ce qui fait que je ne sais trop ce que les animations des Monthy Pythons devaient à Peter Tupy ou inversement. Terry Gilliam avait voulu aussi travailler avec Bob Godfrey, lequel avait considéré qu’il n’avait plus grand’ chose à lui apprendre (en fait, il lui avait d’abord refusé le prêt d’une caméra, avant de collaborer avec les Monthy Python). Toujours est-il que Peter Tupy, metteur en scène de « stars en glaise » (en pâte à modeler), affectionnait les montages et les découpages, mais aussi les mécanismes d’automates. Peter avait obtenu, en 1985, un trophée Bafta (British Academy Film & TV Awards) pour son travail numérique sur le téléfilm Max Headroom dont l’action se situe « 20 minutes dans le futur ». Il paraît qu’il avait peint la statuette dorée en deux couleurs. Je ne l’ai jamais vue dans son studio ou dans son appartement de West Hampstead, ni dans la cabane du petit jardin. En fait, peinte en rose et jaune, j’ai dû la voir sans vraiment la remarquer (Peter ne me l’a jamais désignée, il n’était pas du genre à faire valoir ses états de service…). Le « temps de cerveau disponible » doit beaucoup à cette série utilisée par Coca Cola pour une publicité d’un « nouveau » Coke. Le film fut le premier tourné à 30 images par seconde (avec des bobines à trois perforations et non quatre par vue) et à avoir recours, pour la bande sonore, à un Synclavier informatique (et à avoir expérimenté les systèmes Avid). Le film annonçait la « modération » (censure) automatique des commentaires et autres contenus sur l’Internet, la désignation de coupables idéaux pour des crimes irrésolus (sur la base des probabilités de futurs comportements délinquants pré-estimés par ordinateur).
Peter aurait adoré Nicolas Sarközy en tant que personnage de dessin animé. D’ailleurs, parfois, je me demande si Nicolas Sarközy n’est pas une créature à la Frankenstein inspirée d’un personnage virtuel de Peter Tupy. Ou plutôt une création de John Humphreys, le chirurgien et l’animateur de l’extra-terrestre de Rosswell pour le fameux canular d’Alien Autopsy (tourné par Humphreys avec Ray Santilli à Camden, en 1995, pas loin de West Hampstead). Humphreys avait collaboré avec Peter pour Max Headroom puis travaillé sur Doctor Who et Charlie et la fabrique de chocolat.
Peter aurait aussi sans aucun doute apprécié Clones (Surrogates), le film de Jonathan Mostow avec Bruce Willis ou plutôt, en tout cas, les éléments des décors (la machinerie de la boîte de nuit) et les éclairages. Parfois, à West Hampstead, au pub, voire encore au George’s (le pub de Soho du 1, D’Arblay St), voire au Slug & Lettuce, il arrive encore fréquemment que Peter soit évoqué comme s’il était toujours parmi nous. Disons que nous ne serions pas surpris de voir son clone tourner le coin de la rue. Présent, rémanant, et inspirant encore de nombreuses réalisations, son imaginaire l’est en tout cas. De Peter, nous préférons ne nous souvenir que du côté rigolard ou facétieux. Allez, Peter, reste encore avec nous ! Comme disait Audiard, « vivant, je veux bien être modeste, mais mort, il me parait naturel qu’on reconnaisse mon génie… ». Modeste, Peter garde le pompon, mais effacé, diantre non !
P.-S. – le profil de Peter Tupy est de Bob Trueman, rencontré au Portugal par Peter & Sylvie. Les images de robots sont tirés du film Clones. Le titre de journal découpé et servant de légende (en h. à d.) au portrait de Bob Godfrey est « The Marine who scaled the peaks » (plusieurs interprétations possibles).
Bonjour Jef,
Joli article, très belle bio !
Vous écrivez vraiment très bien.
Amitiés
Gosseyn
Merci, Gosseyn, de votre appréciation…
En fait, c’est une bio bien sommaire. Il y aurait tant et tant à dire…
[img]http://medias.lepost.fr/ill/2009/10/03/h-20-1724245-1254573694.png[/img]
Ci-dessus, voici une image qui vient de m’être communiquée.
Peter Tupy avait peint ainsi son trophée Bafta avant de le caser sur un coin d’une tablette haute d’étagère de son bureau. J’ai dû revoir ce trophée sans même le voir pas mal de fois, j’imagine.
Bel article et bel hommage à Peter!!!