Pendant la crise, les festivités guerrières continuent

On mange tiède à Tripoli. Les pâtes sont très al dente parce que le prix de la bouteille de gaz est passé de trois à 85 dinars, et les victuailles prévues pour le ramadan se défraîchissent dans les réfrigérateurs, faute d’électricité. Voilà qui doit fort réjouir Bernard-Henri Lévy qui continue de pressentir une prochaine révolte à Tripoli. Tiens, les milieux d’affaires français commencent à douter de la clairvoyance de Nicolas Sarkozy et des retombées de son épopée guerrière. Ils pourraient décider de ne pas financer sa réélection. Dommage, accueillir l’Ivoirien Ouattara pour le prochain défilé du 14 juillet serait du meilleur effet…

Petit préambule dispensable à usage interne. Cet article est très, très mal sourcé. La raison : une version antérieure qui l’était amplement avait été saisie directement sous MSIE 9 (dernière version du navigateur de Microsoft). Au moment de publier, tout le texte a disparu. Je refais donc de mémoire, sous Firefox. Fin de la digression…

Quel parallèle établir entre Alassane Ouattara et Mahmoud Jibril ? L’un et l’autre seraient sans doute les bienvenus, tout comme naguère Bachar el-Assad, dans la tribune présidentielle lors d’un prochain défilé du 14 juillet présidé par Nicolas Sarkozy. Pour l’Ivoirien Ouattara, ce serait l’occasion de saluer un détachement des Forces républicaines de la Côte d’Ivoire auxquelles l’Onu vient d’attribuer 26 assassinats ou exécutions arbitraires pour le seul mois de juillet. Jibril finira-t-il aussi bien accueilli en France que le fut Kadhafi ? Lequel avait quelques points communs avec le Syrien el-Assad. En effet, ni vraiment Damas (ses banlieues sont certes peuplées d’opposants à son régime), ni Alep, en dépit de quelques rares manifestations, ne se sont pas plus soulevées que Tripoli. Pourquoi ? Parce qu’ils imposent la terreur ? Uniquement ?

Les milieux d’affaires doutent

L’ennui, pour Nicolas Sarkozy, c’est que les grands patrons vont rechigner à donner au Premier Cercle. La raison ? Entre autres, la Libye. Peugeot y a perdu un contrat de dizaines de milliers de véhicules, les grandes entreprises, réunies sous l’égide du Medef, commencent à douter des perspectives mirifiques que l’appui au Conseil national transitoire libyen laissaient miroiter, rapporte Paris Tribune. Vendredi, à Toulon, où il déjeunera à bord d’un Charles-de-Gaulle retiré des opérations pour maintenance, Nicolas Sarkozy osera-t-il appeler l’Allemagne et les pays scandinaves à renforcer leur soutien ? On prend les paris.

C’est environ 300 millions d’euros que le Royaume-Uni aurait consacré, à ce jour, à la guerre civile en Libye. Comptez à peu près autant pour la France. Mais le ministère britannique de la Défense se félicite des frappes des hélicoptères Apache, le français voit avec satisfaction la montée en puissance des sorties depuis la Crête. Efficace ? Pour la galerie, assurément.

Quelle est la représentativité du CNT ?

C’est dommage, au Danemark, majorité et opposition se refusent à laisser les clefs de l’ambassade libyenne à des diplomates de Benghazi. Que le futur gouvernement qui les nommera soit d’abord démocratiquement élu, enjoignent-elles. Mais ce qu’il en ressort surtout, dans la presse internationale occidentale, c’est qu’un représentant de Benghazi sera reçu à Copenhague, en qualité de simple envoyé, victoire diplomatique, donc, pour l’Otan. En France, pas de problème. Mansour Saif Al-Nasr fait office d’ambassadeur, le drapeau royaliste senoussi flotte sur le consulat libyen à Paris.

Pratiquement toute la presse africaine estime que les 85 civils tués par des frappes aériennes à Zliten ne faisaient pas partie d’un « centre de commandement » loyaliste. L’Onu et certains membres de son Conseil de sécurité, appelé à se réunir, n’accordent pas grande crédibilité aux déclarations de l’Otan. En fait, il conviendrait de trouver une porte de sortie qui ne fasse pas trop perdre la face à l’Otan tout en oubliant, par exemple, les tractations douteuses de Goldman Sachs avec la Libye. Il y a quelques opérations financières ou autres qu’il vaut mieux placer sous le boisseau. Un effort d’oubli des deux côtés serait le bienvenu.

 

Patrick Haimzade, ancien diplomate qui, pour Le Point, a contredit systématiquement les affirmations de Bernard-Henri Lévy (osera-t-il dresser l’éloge et l’illustration du blocus alimentaire et autre de Tripoli ? La question ne lui sera pas posée), souhaite aussi des négociations qui pourraient entraîner sans doute une, voire deux partitions (Tripoli, la Cyrénaïque, le djebel Nefoussa). Phrase essentielle : « La Libye ne possède aucune culture politique, ni celle d’un État central. Muammar Kadhafi a pris le temps de créer un système très déconcentré avec des dévolutions importantes de pouvoir aux communautés locales ainsi qu’aux tribus. D’autre part, ce nouveau CNT n’aura de représentativité que sur les zones qui pour l’instant se sont soulevées et aucune au nom de l’ensemble du peuple libyen. ».

Embargo violé en toute impunité

Mais non, mais non, yaka armer les rebelles, faukon suscite un soulèvement à Tripoli, rétorque BHL. Selon un sondage Ifop publié par L’Humanité mardi dernier, une faible majorité des Françaises et des Français seraient pour la cessation de l’intervention de l’Otan en Libye. Mais comme la majorité des électrices et électeurs du centre et de l’UMP pensent toujours qu’il y aura de juteuses retombées pour la France, BHL et Sarkozy peuvent encore convaincre. Ce n’est qu’une question de temps, ou d’habillage.

Pour le moment, la guerre profite aux contrebandiers algériens et tunisiens. Ceux d’Égypte font surtout dans les armes : pour le marché intérieur (des particuliers) et les divers marchés extérieurs (divers groupes). Les prix ont triplé. Ce qui vient de Libye retourne parfois en Libye. En Algérie, la pénurie d’essence aux pompes commence à se faire sentir. Les Libyens qui organisent les départs par la mer des réfugiés réalisent aussi quelques profits. Mais divers pays de la zone souffrent, du fait de l’afflux des réfugiés, mais aussi du retour des travailleurs ayant fui la Libye. Ils n’étaient pas moins de 150 000 à refluer en Égypte en février et mars derniers, sans doute davantage à présent, et leurs familles souffrent.

Depuis le 31 mars (les frappes aériennes coalisées avaient débuté auparavant), l’Otan, soit essentiellement la France et le Royaume-Uni, le Canada et le Qatar, a effectué 18 553 sorties aériennes dont 7 037 frappes. Ajoutez celles des 17 bâtiments de guerre croisant en Méditerranée. Les armes passent aussi sans doute par voie maritime, mais – apparemment – seules celles destinées à Tripoli sont déroutées. Celles parvenant par voie aérienne le sont par des appareils protégés par les chasseurs de l’Otan, le ciel libyen est libre pour tout avions ravitaillant, côté insurgés, les zones de combat.

Objectif de la résolution 1973 atteint

Luc Michel, fondateur d’un fumeux rassemblement de comités européens plus ou moins pro-Kadhafi, croit savoir que les Israéliens (et d’autres membres de forces spéciales) cohabitent à Benghazi, en s’évitant, avec une brigade du Hezbollah libanais (proche de Téhéran). L’Humanité rapporte des « querelles armées qui ont lieu désormais dans les rues de Benghazi à la nuit tombée. ». Al-Jazeera rapporte que le manque de carburant empêche les insurgés du djebel Nefoussa de progresser vers Tripoli (le manque de munitions aussi). Le seul avantage, c’est que les véhicules civils, bloqués, ne peuvent plus circuler et être pris pour cibles par les chasseurs coalisés (mais attention aux « tirs amis »). Ahmed Bani (porte-parole militaire de Benghazi) s’est encore refusé à tout commentaire à propos de l’enquête sur l’assassinat du général Younès et de deux autres officiers. On ne sait trop quelle faction aide (ou n’aide pas) telle autre, voire espère que telle ou telle autre s’affaiblisse ou soit éliminée.

Pour le moment,  seule des principaux orateurs politiques français, Marine Le Pen a dénoncé les « guerres meurtrières » (de Libye et d’Afghanistan) et souhaité que la France quitte les cieux libyen et afghan dès le premier septembre. Pourquoi attendre alors que le général Charles Bouchard vient d’annoncer au nom de l’Otan que « les forces de Kadhafi n’ont plus la possibilité de mener une offensive crédible. ». N’était-ce point l’objectif de la résolution de l’Onu ? Ah, oui, mais on craint à présent les représailles qu’entraîne une guerre civile. Il faudra protéger encore les civils. D’eux-mêmes ?

 

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Pendant la crise, les festivités guerrières continuent »

  1. Sarkozy veut poursuivre jusqu’au dernier membre de la famille Kadhafi, a-t-il de fait déclaré à Toulon.
    Elle est camouflée parmi la population ? Ben, faut être conséquent : faire de Tripoli un nouveau Dresde.
    Selon un officier de la police de Kadhafi, capturé et interrogé par un envoyé spécial de Reuters, d’une part 70 % de la population de Tripoli (env. la moitié de la population libyenne) soutient plus ou moins Kadhafi (mais deux banlieues sont des foyers d’agitation) et la plupart des plus importantes tribus le soutiennent ou attendent la suite.
    Une seule solution : raser Tripoli, et tenter d’éviter que la suite évoque le siège de Stalingrad.
    Allez, BHL, encore un effort pour habiller cela…
    L’autre solution serait bien sûr d’admettre l’échec.
    De Steve Clemons ([i]The Atlantic[/i]) :
    « [i]Before the intervention, the US Department of Defense warned Obama that a « limited conflict » was dangerous – that the resources for a larger conflict were not easily available and that a limited approach could lead to a long-term, costly stalemate with Moammer Qaddafi; and that even if the NATO intervention succeeded in destabilizing the Libyan dictator, the successor government could easily be ripped apart by internal tensions and either tribal or political/religious civil war[/i]. »
    La même chose a été communiquée à Sarkozy. Sans doute aussi à Cameron.
    Mais…

  2. « Le célèbre site WikiLeaks a transmis au quotidien
    Komsomolskaïa Pravda des dépêches de l’ambassade
    américaine en Israël envoyées à Washington.
    Elles contiennent tout la conception de « l’encerclement »
    militaro-politique de l’Iran que les Etats-Unis,
    Israël et leurs alliés dans certains pays du Golfe
    devraient mettre en œuvre.
    [b]Or, la Russie s’est mise en travers de ces plans ambitieux.
    Washington estime que la Chine a rejoint la position de
    la Russie.[/b] Les dépêches contiennent des informations
    expliquant comment les Américains s’apprêtent à surmonter
    ces obstacles et à déstabiliser la situation en Iran.
    Les Etats-Unis sont même prêts à contourner l’ONU
    (vu comment l’Occident a utilisé la résolution du Conseil
    de sécurité sur la Libye, personne ne croira à ses
    affirmations sur le respect du droit international). »

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