(à la manière de JM…)
Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde.
Reconnaissant bien volontiers que les études d’ingénieur auxquelles je me suis adonné au siècle dernier ne laissaient qu’une part peu enviable au droit, et plus encore au droit pénal, je tendais à attribuer à cette regrettable carence l’incompréhension profonde en laquelle me tient depuis plus d’une décennie les rouages de l’affaire devenue scandale.
Pourtant, j’y avais mis de la bonne volonté en consacrant une bonne part de ma toute nouvelle pré-retraite à l’audition, en direct, de l’intégrale des sessions de la commission parlementaire, qu’« on » avait décidé, par souci inhabituel d’édification pédagogique du citoyen, de téléviser.
J’en avais retiré une intense frayeur rétrospective en pensant au nombre incalculé de fois où j’avais échappé, inconsciemment qui plus est, au risque de tomber sous le soupçon dévastateur et souverain d’un juge incorruptible tel que celui qui s’était fait un nom dans cette affaire ; en corollaire, je cultivais l’espoir que cette heureuse coïncidence perdurerait à l’infini…
Car cet émérite professionnel de la justice (frais et déjà moulu) me semblait piétiner allègrement les deux seules certitudes qui avaient réussi à ancrer une chétive racine dans la jachère de mon inculture susmentionnée : a) le doute, bénéficiant à l’accusé et b) l’autorité de la chose jugée. Au cours des sessions télévisées, il ne manifestait aucun regret (a fortiori aucun remords) et affirmait doctement que s’il devait lui venir le pouvoir de repasser le film à l’envers, il ne changerait pas le moindre iota à la trajectoire de son instruction… Une attitude qui lui vaudra, neuf années plus tard, de troquer le rôle du magistrat contre celui d’un témoin…
Ce qui me rassure eu égard à ma formation (mais qui me désespère en tant que citoyen), c’est de constater que d’autres, a priori mieux armés par leur bagage et par leur expérience, semblent piétiner tout autant que moi. C’est le cas, en particulier de Florence Aubenas dont la valeur humaine et journalistique n’a plus à être démontrée ; elle signe dans Le Monde une série d’articles dont la teneur est résumée par ce bref extrait de l’éditorial du journal, le 20 mai : « un imbroglio incompréhensible qui n’a plus grand-chose à voir avec l’idée même de justice » !
Comprenne qui pourra : des enfants ont été reconnus victimes de viols, à caractère incestueux. Dénoncés par leurs parents, dix-sept personnes ont été mises en examen, puis condamnées. Treize d’entre elles s’étant pourvues en appel ont été acquittées, avant d’être indemnisées pour les treize mois passés en détention.
Parmi ces treize là, un cas particulier : Daniel Legrand est devenu majeur au cours de la période des faits poursuivis (1997-1999). Un autre cas particulier : au lieu de renvoyer l’ensemble des accusés devant la cour d’assises des mineurs comme cela se fait usuellement dans un tel cas, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Douai décide de disjoindre le cas de Daniel Legrand, qui sera jugé avec les autres pour les faits postérieurs à sa majorité mais devra répondre aussi devant les assises des mineurs pour les faits relevant de la période entre 1997 et le 14 juillet 1999.
C’est pour cette raison qu’il a dû comparaître en 2015 devant les assises de Rennes (arènes sanglantes ?…)
L’affaire aurait pourtant été automatiquement prescrite si elle n’avait pas été audiencée dans un délai de dix ans courant à partir d’octobre 2013 (seize ans après les faits !…). « Mais lorsque arrive 2013, le fond de l’air a changé. Fabrice Burgaud, le juge qui a conduit de façon calamiteuse l’instruction initiale, est devenu pour certains de ses collègues un symbole de la magistrature maltraitée par les politiques et les médias. Un courant s’est peu à peu dessiné, à travers un documentaire, divers livres, qui va créer un climat favorable à la réouverture du dossier. Ce qui paraissait impensable il y a encore quelques années – rouvrir le procès d’Outreau et débattre à nouveau de ce qui a été pourtant jugé par deux cours d’assises – est désormais concevable », selon l’éditorial du journal Le Monde.
Ayant été acquitté, Daniel Legrand le restera (c’est l’autorité de la chose jugée…), mais simplement pour la période débutant le jour de sa majorité, le 15 juillet 1999. Quel sera le verdict, cuvée 2015, de la cour de Rennes pour la période antérieure à cette date ? C’est une tout autre question ; le seul pronostic vraiment pertinent est celui donné par un fort judicieux commentaire trouvé sur le site de Libération : « S’il est coupable qu’il soit condamné avec tous ceux qui ont participé à ces crimes imprescriptibles… S’il est innocent qu’il soit libéré ».
Je ne vous en révèlerai pourtant pas davantage : en effet, je n’ai rien entendu, ni à la radio, ni à la télévision se rapportant à ce verdict (ma référence télévisuelle la plus récente reste l’Envoyé Spécial diffusé par France 2 le 7 mai 2015). Et, Google me damne, j’avoue avoir été incapable de trouver une trace objective du verdict sur Internet, eut-elle été publiée sur C4N ou ailleurs.
Ce n’est qu’au lendemain de la publication de cet article que le secret de ce mystérieux échec me fut révélé par France Inter : si rien n’avait été publié sur le verdict … c’était tout simplement que le procès était toujours en cours ! L’audience du jour était consacrée à l’audition de la mère, alors que celle de la veille l’avait été à celle du père des victimes, l’un et l’autre désormais libérés après avoir exécuté la peine, lourde, à laquelle ils avaient été condamnés.
La conclusion que vous lisez à l’instant est donc postérieure au corps de l’article et ne doit d’exister qu’à la possibilité d’édition offerte par le site. Le « suspens » perdure donc, dans cet univers étrange où presque tous, des victimes aux juges et aux condamnés, sont transformés en témoins. La seule certitude qui en ressort est que notre justice se pose en redoutable concurrente de David Copperfield et de Harry Potter par la puissance de sa magie, mais que les plateaux de la balance de Thémis continueront de pencher, et peut-être encore bien davantage.
Les commentaires nous diront si vous en êtes troublés…
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Pour une chronologie détaillée de ces seize années (rappel sans doute utile), le lecteur est invité à se reporter à : Outreau, un procès hors norme, sur le site du Parisien.
Pour des informations sur le procès de Rennes, voir : La mascarade d’Outreau se perpétue à Rennes ; cet article de Mediapart précise (c’est tout à son honneur) que Marie-Christine Gryson, experte psychologue et principale inspiratrice du procès de Rennes tient un blog sur le site du journal. Ce site héberge aussi le blog de Jacques Cuvillier, auteur d’une lettre ouverte au garde des Sceaux.
Afin de donner au lecteur un maximum d’éclairages, précisons (rien n’est simple, tout se complique !) que l’impartialité de Florence Aubenas avait été sévèrement mise en cause par Marie-Christine Gryson et qu’elle avait été carrément accusée de mensonge par Jacques Cuvillier.Les motivations de Marie-Christine Gryson avait été à leur tour contestées par Stéphane Durand-Souffland, journaliste au Figaro (Affaire d’Outreau : les arguments complotistes passés au crible), article auquel avait rétorqué Jacques Cuvillier sur son blog (Outreau : qui sont les révisionnistes ?)… On trouve aussi des traces de cet affrontement dans les commentaires à l’article de Michel Gasteau, ex président de la cour d’assises de Douai ("La méprise" : les mensonges de Florence Aubenas sur l’affaire d’Outreau), paru sur le site du Village de la Justice :
« Bonjour Monsieur le Président Gasteau,
Merci pour cet excellent article qui arrive à point nommé au moment où les médias bruissent de l’indignation- à sens unique- relative à l’audiencement du procès de l’un des acquittés. Il se tiendra aux assises des mineurs de Rennes à partir du 19 mai 2015. Ce procès avait été illégalement ignoré jusqu’à l’intervention du syndicat de magistrat FO et de l’ONG internationale Innocence en Danger.
En effet l’exégèse de ce qui est devenue la bible d’Outreau, prend aujourd’hui une intérêt particulier en ce qu’elle renforce la ré-information objective sur cette affaire. On le sait, la doxa d’Outreau a été alimentée en tout premier lieu par l’ouvrage partisan de cette journaliste instrumentalisée par la défense. En effet, elle n’a tenu aucun compte du contradictoire et a pris pour argent comptant les stratégies des avocats des accusés. Aucune allusion aux 15 enfants reconnus par le verdict des assises de St Omer victimes de viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme .La confusion des genres et les contre-vérités au service de l’émotionnel ont renversé les culpabilités et les valeurs, les professionnels ont été vilipendés et caricaturés au service d’un objectif que vous avez bien défini.
Je vous remercie d’avoir pu rétablir la réalité du sérieux de mes interventions en tant qu’expert, vous en êtes le meilleur juge en tant que Président des assises près la Cour d’Appel de Douai.
J’ose espérer qu’il ne soit pas trop tard pour que Florence Aubenas puisse démontrer par son intérêt retrouvé pour le contradictoire, qu’elle est vraiment une grande journaliste.
MCGryson-Dejehansart
Psychologue Clinicienne
Expert Judiciaire »
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PS : si la nécessité s’en manifeste, je suis d’ores et déjà disposé à placer ici l’explication de texte qui s’imposerait si le propos n’était pas jugé suffisamment explicite et limpide.
Il ne tient qu’à vous d’en décider !…
Si votre perplexité voisine la mienne, voici l’adresse d’une des sources les plus claires pour suivre jour après jour l’occurrence rennaise du procès : [url]http://www.franceinter.fr/dossier-un-troisieme-proces-outreau[/url], avec deux chapitres :
1- [b]Le procès jour par jour[/b] ([url]http://www.franceinter.fr/article-de-dossier-myriam-badaoui-accuse-t-elle-encore[/url]) et
2- [b]Comprendre le procès[/b] ([url]http://www.franceinter.fr/dossier-un-troisieme-proces-outreau[/url]).
Bonne chance…
Le « [i]troisième procès[/i] », inédit par sa genèse, aura conservé son « originalité » jusqu’à l’épilogue !
Pour mémoire, les réquisitions du procureur ont conclu à une demande d’acquittement, non pas au bénéfice du doute, mais au nom de l’innocence de l’accusé. En foi de quoi, la défense (cinq avocats agissant sans honoraires !…) ont renoncé à plaider.
Les débats ont duré la bagatelle de cinq heures (pas tout à fait « Douze hommes en colère », mais une durée de l’ordre du double d’une finale de Roland Garros, tout de même…) Ils se sont traduits par [u]huit réponses négatives aux huit questions sur l’éventuelle culpabilité[/u].
[b]Alors, FIN ENFIN FINALE ?[/b]
Pas tout à fait, car si l’innocent (c’est ainsi que l’on doit nommer un acquitté) est sorti du tribunal sous des applaudissements, il a dû, aussi, essuyer « [i]les huées et les cris de « Violeur! », prononcés à plusieurs reprises par des militants se disant « anti-pédophiles »[/i] ».
S’il est [b]innocent[/b], cela signifie que tout ce qu’il a subi depuis quatorze ans est une injustice flagrante ; il n’y a pas de moyen terme !
On peut, dans notre pays (et c’est sa fierté), se dire « anti-ce que l’on veut », en pleine liberté ; l’anti-pédophilie ne constitue pas une exception. Mais témoigner d’un acharnement à ce point à contre-courant, ne constituerait-il pas le délit de « mise en danger de la vie d’autrui », passible d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende au titre de l’article 223-1 du Code pénal ?
Ca n’a surement rien à voir, mais on pouvait remarquer aux premiers rangs du public durant tout les procès des personnes portant des tee-shirts marqués [b]WP[/b] (pour [b]Wanted Pedo[/b]), une association qui dispose de son propre site (mais pas nécessairement un site propre car il déborde parfois sur Quenel+, le site de Dieudonné et sur celui d’Alain Soral…)