Note aux lecteurs : pour des raisons qui m’échappent, mais rigoureusement indépendantes de ma volonté, cette contribution n’a été validée qu’au bout d’un temps inhabituellement long. Veuillez excuser les  anachronismes qui pourraient éventuellement résulter de ce retard…

 

La petite planète de l’information, qu’elle soit officielle (journaux, audiovisuel) ou officieuse et parallèle (nous, par exemple) ne bruisse que du rôle dévolu au quatrième pouvoir et de l’attitude qui doit être la sienne. Le buzz se nourrit des comparaisons entre les cultures anglo-saxonnes (réputées pragmatiques) et les nôtres qualifiées, selon les sensibilités, de latines (c’est-à-dire exubérantes) ou de judéo-chrétiennes (ou encore hypocrites).

J’y ai d’ailleurs moi-même modestement apporté mon grain de sel, directement (voir En marge de l’affaire DSK) ou indirectement (par tel ou tel commentaire par lequel je m’interrogeais sur l’opportunité d’assimiler certains silences à de la non-assistance à pays en danger).

Selon les uns, le monde journalistique, échantillon non exhaustif des "milieux généralement bien informés", ne vivrait que par et pour l’omerta. Une fois n’est pas coutume, je ne me référerai pas à des définitions officielles et me satisferai de celle que je donne de ce mot : l’omerta est ce par quoi sont tus les agissements d’une mafia, par crainte de représailles. Une notion qui implique celle d’une complicité, au moins passive. Cela pourrait se dire « Quand on sait ce qu’on sait et qu’on tient à sa peau, on a une raison supplémentaire de se taire ».

A cette loi du silence, d’autres opposent la transparence totale, vertu (au sens que Robespierre et Saint-Just en donnaient ?) au nom de laquelle on flirte avec le voyeurisme en balayant d’un revers de main toute référence, même allusive, au respect dû à la vie privée. « Quand on sait ce que tout le monde voit et qu’on se doute de ce que tout le monde ignore, c’est un devoir de le dire haut et fort », en quelque sorte.

Entre les deux (ou en marge d’elles) se tient la rumeur, inspirée, tout comme sa cousine la calomnie, par la seule malveillance. « Quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on ne peut pas s’empêcher de penser ce qu’on pense ». Son avatar le plus récent étant encore présent dans tous les esprits (Ferry boîte ?), il n’est nullement besoin de rappeler qu’elle ne s’embarrasse pas de preuves et que son argument massue est d’assortir le propos sur le mode impératif d’un « tout le monde le savait » péremptoire. Toutes les victimes en ont fait l’expérience : personne n’osera objecter, peu empressé de passer pour le seul débile qui n’était pas dans la confidence.

Mais l’essentiel me paraît être ailleurs et ces débats enflammés ressemblent à s’y méprendre à un rideau de fumée (enflammés, fumée : voilà qui ressemble bien à une tautologie, tant il est vrai qu’il n’y a pas de fumée sans feu, truisme qui résume le principe actif de la rumeur ; la boucle est bouclée…).

Voici peu de temps, les médias (tous les médias) n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier la dictature de Moubarak ; tout comme, si peu de semaines auparavant, ils avaient unanimement dénoncé celle de Ben Ali. Les lecteurs plus anciens se souviendront avec quelle vigueur furent fustigés Vidella et Pinochet ; et encore avant eux Salazar et Franco, sans oublier Trujillo ni Batista. Mais par quel étrange mystère ces évidences furent-elles rapportées seulement après la chute de ces tyrans, qui apparaissaient pourtant parfaitement fréquentables la veille encore ?

Vestiges d’une époque révolue ? Voire, car plus récemment encore, une vidéo datant de cinq ans et relatant un fait survenu neuf ans plus tôt, a fait surface le jour-même où DSK défrayait la chronique. Sur quel légume prospère-t-elle la bactérie épidémique qui délie les langues à propos (et avec à propos, ô combien) des célébrités, à peine sont-elles disparues, provisoirement ou définitivement ?

Que se réfugient dans le silence ceux qui se sentent tenus par des liens d’amitié, passe encore : à défaut de l’excuser, nous pouvons l’envisager. Que l’accusation plus ou mois gratuite soit une arme de destruction massive que d’aucuns manient à l’encontre de leurs adversaires ne témoigne certes pas de leur noblesse d’esprit ; mais à tout le moins, c’est de "bonne" guerre. En revanche, le sursaut de courage grâce auquel il est plus commode de se laisser aller à des révélations lorsque leur cible est à terre demeure à mes yeux un mystère non résolu.

Une fois encore, laissons le dernier mot à Coluche, décidément philosophe avéré : « Je ne sais pas ce qui me retient », disait-il ; « La trouille, peut-être ?… »