Oksana Chelysheva est une journaliste et défenseuse des droits de l’homme, dans la lignée d’Anna Politkovskaïa. Le monde sait combien il est dangeureux aujourd’hui de s’opposer au pouvoir du Kremlin; il faut avoir à l’esprit en lisant les lignes suivantes, combien chaque mot met en danger Mme Chelysheva, en pleine ligne de mire du pouvoir dictatorial russe.

Nos pires peurs deviennent réalité, – Les autorités attaquent en justice ceux qu’elles détestent

par Oksana Chelysheva, depuis le site finrosforum.fi

Le 20 mars 2008, les autorités de Nizhny Novgorod et Arzamas ont lancé une nouvelle vague de raids dans les bureaux de la Fondation de Nizhny Novgorod pour promouvoir la tolérance et dans les habitations de nombreux opposants au pouvoir.

La Fondation pour promouvoir la tolérance est une Organisation non gouvernementale (ONG) russe, qui a été fondée pour continuer le travail de la Société d’amitié russo-tchétchène – aujourd’hui interdite. Cette dernière a toutefois été officiellement (ré)ouverte et enregistrée en Finlande.

La police a confisqué tous les ordinateurs des bureaux de la Fondation. Le bureau a été séquestré. Elle a aussi confisqué le téléphone portable de Stanislav Dmitrievsky, conseiller de la Fondation et président de la Société.

De plus, la police a mené des fouilles dans les appartements de nombreuses personnes associées à la coalition d’opposants « l’Autre Russie » : Ilya Shamazov, Yuri Staroverov, Yevgeni Lygin, Yelena Yevdokimova, Yekaterina Bunicheva et Igor Voronin à Nizhny Novgorod, ainsi que Dmitry Isusov et Maxim Baganov à Arzamas.

Ilya Shamazov, Yelena Yevdokimova et Yury Staroverov font tous partie du personnel de la Fondation.

Après avoir terminé les recherches dans l’appartement de Baganov, les autorités l’ont inculpé pour violation de l’article 282.2 du code pénal (« extrémisme »). Beganov a été interrogé à 3h30 le 20 mars. La police a confisqué son passeport.

Dmitrievsky a demandé au Comité d’investigation de découvrir les raisons de ces raids de masse. Quand j’ai joint Dmitrievsky, il rentrait à peine du Bureau régional du procureur, se rendant dans les locaux du Comité contre la torture de Nizhny Novgorod.

Selon les propres mots de Dmitrievsky, l’ordre de fouiller les bureaux de la Fondation avait été signé par Vladimir Kozitsyn, l’inspecteur-chef du Bureau régional du procureur. Une unité spéciale a été mise sur pied au Bureau pour enquêter sur l’affaire. Des renforts d’autres bureaux régionaux ont été également assignés à l’affaire.

Dmitrievsky pense que le Bureau du procureur est conscient qu’un tollé international pourrait suivre les actions des autorités, qui ont totalement paralysé le travail de la Fondation.

La Fondation travaillait sur un projet, initié par la Société, sur l’application du droit international dans le cas du conflit armée en Tchétchénie.

Plus tôt, un certain nombre de personnes associées à la coalition « l’Autre Russie » de Nizhny Novgorod, la plupart des membres du parti interdit « National bolchevique », et anciens membres de la Fondation, ont été interrogés comme témoins pour une autre affaire criminelle instituée contre la Fondation en octobre 2007, relative à l’utilisation de logiciels piratés.

Durant l’interrogatoire, les enquêteurs ont posés les mêmes questions à chacun d’entre eux: « Qui avez-vous vu dans les bureaux de la Fondation pour promouvoir la tolérance ? Quel type d’accès internet est installé au bureau ? Quelles informations ont écrits Oksana Chelysheva et Stanislav Dmitrievsky pour d’autres médias, et ont-ils été payés ? »

Nous sommes tous restés constamment sous surveillance. Ilya Shamazov et moi-même avons déposé une plainte officielle auprès du bureau du procureur; en effet, nous étions suivis depuis 3 jours, par plusieurs – jusqu’à six – policiers en civil. Ils étaient visiblement intéressés par nos visites aux banques où nous retirions notre argent. Tous nos téléphones étaient sous écoute.

Samedi dernier, le « National bolchevique » de Nizhny Novgorod a organisé un meeting dans l’un des parcs de la ville. Il avait arrangé l’heure du meeting par téléphone, et à l’heure prévue, le parc et ses alentours ont rapidement été occupés par les représentants de la police criminelle.

Illy Shamazov croit que les autorités sont sur le point de déposer contre de nombreuses personnes des plaintes par le biais de l’article 282 du code pénal. Les plaintes seront déposées dans moins d’un mois. Puisque les autorités n’ont pas de preuve d’une quelconque activité criminelle, nous craignons qu’elles créent de faux documents « extrémistes » signés par nos noms ou qu’elles trouvent des « victimes » sorties de nulle part. Une telle provocation est hautement vraisemblable.

Nous craignons que les autorités préparent une multitude de procès à Nizhny Novgorod.

Les autorités savent que les recherches que nous avons menées sur l’application des lois pénales internationales au conflit armé en Tchétchénie peuvent être un détonateur qui pourrait leur porter préjudice. Puisqu’elles ont accès à nos documents, elles savent exactement ce qu’il en retourne. Nous craignons qu’elles puissent faire obstruction à notre travail.

De plus, les autorités sont conscientes du rôle que je joue, contactant l’Occident et diffusant des nouvelles sur la situation à Nizhny Novgorod. Elles nous voient clairement comme une menace, puisque nous avons la confiance des réfugiés tchétchènes à l’étranger, des groupes de gauche en Russie, des politiciens et des hommes publics.

Plus encore, notre équipe compte des membres bannis du parti « National bolchevique ». Nous différons de nombreuses autres organisations défendant les droits de l’homme, car nous avons réussi à coopérer en dépit de nos différences. Tant les « Nationaux bolcheviques » que nous-mêmes sommes qualifiés par les autorités « d’extrémistes », selon les jugements de la cour. Les « Nationaux bolcheviques » et nous-mêmes avons fait appel auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg.

Nous craignons que les autorités puissent viser Stanislave Dmitrievsky et moi-même, nous accusant de déclarations « extrémistes » dans certains de mes articles. On a expliqué à Dmitry Isusov, membre du parti « National bolchevique » à Arzamas, que des « experts » avaient trouvés des signes « d’extrémisme » dans l’interview de Kirill Klyonov, un membre emprisonné du parti National bolchevique; un article que j’ai moi-même réalisé pour le site Kasparov.ru.

Tout cela se produit avec pour toile de fond la consolidation des agences chargées de l’application des lois. L’automne prochain, la Russie mettra en route son propre FBI, qui aura pour nom « Service fédéral d’enquête » – Federal Service of Investigation. Cette nouvelle agence sera au-dessus de toutes les autres agences du genre. Son établissement a déjà été approuvée au Kremlin. Les deux candidats pour diriger la nouvelle agence, Alexander Bastrykin et Alexey Anichkin, étaient des camarades de classe du président Vladimir Poutine à l’université d’Etat de Saint-Petersbourg.

D’autre part, un groupe spécial a été établi au Bureau du procureur général de Russie pour évaluer les « signes d’extrémismes » de plusieurs publications. L’objectif est de rendre le travail du procureur plus facile. Le vice-procureur Yevgeny Zabarchuk a spécifié que « le groupe sera constitué de défenseurs des droits de l’homme, de linguistes, de psychologues et de juristes ». Le groupe sera dirigé par le chef du département du « Combat contre l’extrémisme et pour l’exécution des lois sécuritaires d’Etat », Vyacheslav Sizov. L’unité aura vingt-deux scientifiques, défenseurs des droits de l’homme et membres de la Chambre publique[1]. Le groupe a tenu sa première session le 20 mars 2008.

Alexander Brod, directeur du Bureau moscovite des droits de l’homme, et un de ceux à l’origine de la création du groupe, a indiqué que les procureurs ont bien des difficultés à établir les cas d’extrémisme, et que le groupe aidera les procureurs à détecter de tels cas dans les publications et dans les discours des hommes politiques qui semblent radicaux.

 

Oksana Chelysheva
20 mars 2008
Traduit par psykotik

 

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  1. La Chambre publique est chargée officiellement de vérifier les opérations du gouvernement. Le projet souffre d’une contradiction de poids : le gouvernement s’engage à ne pas interférer dans les activités de la Chambre publique et pourtant, un tiers des siégeants est nommé par le président et les deux tiers restants par l’intermédiaire des structures fédérales et régionales acquises au président. En outre, la Chambre est financée sur le budget du gouvernement et est exclue des dossiers considérés comme affaires d’Etat. NdT