Reportage au Tribunal d’instance du 5e arrondissement de Paris, audience opposant Béatrice Cottin aux galériens du logement regroupés dans l’association Jeudi Noir, mercredi 6 janvier 2009, 11h30
La Présidente: "Veuillez prendre place, l’audience est ouverte!".
Suit l’appel nominatif des membres de la partie défenderesse.
Chacun d’eux est « présent et assisté » ou « représenté ».
La Présidente déclare avoir pris connaissance des conclusions des avocats des deux parties (chaque partie a deux défenseurs).
Elle demande aux parties de faire un point sur leurs demandes.
Le plaignant demande l’expulsion et le paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle de 69 663 euros.
Le défendeur demande que lui soit accordé un délai pour faire cesser l’occupation.
Les plaidoiries
L’avocate de la plaignante précise que le lieu a été rénové et que c’est la résidence principale de la propriétaire, Béatrice Cottin, actuellement et provisoirement en maison de retraite.
M° Waroquier rappelle que l’occupation s’est faite par effraction.
Et déclare que ce n’est pas un lieu d’habitation, pour les occupants, mais un lieu où ils se retrouvent et passent du temps.
Les occupants ont, en effet, déclaré à l’huissier de justice, sur place le matin du 5 novembre, avoir un domicile et ne pas habiter place des Vosges. Et effectivement, l’huissier, dans l’après-midi lors de son deuxième passage, n’a pas retrouvé les mêmes individus que le matin.
Sur le plan du Droit, elle argue que l’occupation est effective, qu’elle n’a aucun fondement légal:
– le droit de propriété est un principe constitutionnel contrairement au droit au logement qui n’est qu’un objectif à valeur constitutionnelle,
– la loi de 1998 sur les réquisitions ne s’applique qu’aux personnes morales (1), celle du 5 mars 2007 instituant un droit au logement opposable ne s’applique qu’à l’Etat et aux Collectivités territoriales (2),
– les ordonnances de 1945 ne peuvent pas, non plus, être invoquées…
L’occupation constituant une voie de fait, elle refuse toute demande de délai.
Le défendeur
Concernant la réalité de la nature d’habitation du lieu, M° Winter rappelle, qu’en date du 23 novembre, il a adressé au contradicteur la liste précise des occupants déclarant formellement habiter sur place.
Et évoque l’hypothèse que les occupants rencontrés le matin du 5 novembre par l’huissier ont pu l’après-midi se trouver, par exemple, à la faculté.
Il reconnait que sur le point de procédure évoqué par la plaignante, il manquait effectivement les pièces d’identité des occupants.
Et ajoute que le même document ne figure pas au dossier de la partie adverse…
En droit, M° Winter déclare qu’il est faut de dire que Mme Cottin, la propriétaire, habite sur place.
Il rappelle le jugement du 2 octobre 2009 qui place Béatrice Cottin sous tutelle (décision d’ailleurs contestée par l’intéressée).
Il précise que Mme Cottin se trouve dans une maison de retraite, à 5000 euros par mois, dont l’adresse figure en tant que lieu de résidence dans tous les documents officiels au dossier de Mme Cottin.
Le droit de propriété de Mme Cottin n’est, donc, pas pleinement exercé.
Concernant la motivation des occupants, M° Winter précise que les occupants ne sont pas là "pour s’amuser", mais qu’ils n’arrivent tout simplement pas à trouver de solution de logement à Paris alors qu’ils y sont étudiants.
Sur la question de la réhabilitation du lieu pour un réinvestissement prochain comme lieu d’habitation par la propriétaire, M° Winter entend prouver que les travaux ont été arrêté "probablement vers 1992/1993", ceci se déduisant du document du 15 juin 2006 valorisant le bien à deux fois et demi sa valeur d’avant-travaux.
M° Winter rappelle, la partie adverse ne le conteste d’ailleurs pas, que pour une reprise des travaux Mme Cottin doit avoir vendu d’autres de ses biens immobiliers, et aucune procédure n’est actuellement engagée.
Pour démontrer la bonne fois de ses clients, M° Winter évoque une précédente opération menée par Jeudi Noir, l’occupation du CROUS qui s’est terminée au démarrage des travaux.
Et de proposer que la question n’est pas de savoir si on a le droit d’occuper l’immeuble d’autrui, mais plutôt d’envisager une situation concrète!
M° Winter rappelle que le dommage imminent n’est pas caractérisé.
Concernant le non-exercice du droit de propriété, on est dans une situation de non-exploitation de l’usufruit, depuis 15 ans, ce qui entraine un affaiblissement du droit de propriété.
L’occupation ne constitue pas de trouble manifeste, en effet le bien ne perd pas de valeur et sa futur jouissance n’est donc pas troublée.
Sur la question financière, l’indemnité d’occupation ne serait justifiée qu’en cas de préjudice, or cette occupation n’en cause pas.
Rappel de sa demande:
que le demandeur soit débouté de son action et que, donc, un délai pour mettre fin à l’occupation soit accordé.
Mme la Présidente accorde une réponse à la plaignante.
Son deuxième avocat revient sur le devis de 2006 de valorisation des travaux d’achèvement, d’un montant de 800.000 euros, qui constitue une preuve de l’intention de Mme Cottin de réintégrer les lieux.
L’insuffisance des ressources financières de Mme Cottin, par ailleurs dans une situation de différend successoral, ne lui a pas permis de reprendre les travaux.
Mme la Présidente clôt la séance en annonçant que le jugement est mis en délibéré et qu’il sera rendu le 18 janvier 2010 par mise en dépôt au Greffe du Tribunal.
Le hasard a voulu que je sois assis à côté de la tutrice de Mme Cottin et je l’ai entendue annoncer à un interlocuteur venu la saluer qu’un accord avait été trouvé pour l’un des biens mis en vente, "pour 3,8 millions d’euros".
C’était mon premier reportage dans un tribunal!
Il est parfois difficile d’entendre les avocats qui se tiennent devant les juges et s’adressent à ces derniers et non à la salle. La prochaine fois, je me rapprocherai…
Philippe Haas
Paris, le 6 janvier 2010
(1) http://www.lexinter.net/patrimoine/chapitre_1_requisition.htm
(2) http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000271094&dateTexte=
bravo pour ce premier reportage e direct d’un tribunal, très agréable à lire par ailleurs.
J’avais tenté de rédiger un article sur jeudi noir fin octobre quand j’ai appris l’occupation du bien mais faute de temps je n’ai pas pu aller jusqu’au bout de mon idée, j’espère bien une condamnation du collectif mais j’espère que la mairie de paris ne s’en sortira pas sans une égratignure.
Michaël.
salut Michael,
merci pour tes encouragements…
Mon objectif est atteind, je suis resté neutre et n’ai fait que rapporter ce qui s’est dit!
Parceque moi, à titre perso, je souhaite que les occupants puissent obtenir un délai pour évacuer le lieu et bien sur ne soient pas condamnés.
Vive le débat d’idées
;o)
philippe
oui il est intéressant de confronter ces idées, car je change quelques fois d’avis lorsque je confronte certaines idées. Bon là pour moi c’est inadmissible de « réquisitionner » des locaux privés même s’ils sont abandonnés ! en recanche c’est à la mairie de prendre son bâton de pélerin et de recenser les logements potentiellement vacant, de faire des offres aux propriétaires pour trouver des solutions de logement décent ! mais je suis prêt à entendre con contraire
salut Michael,
oui, dans un système qui fonctionnerait correctement, le droit au logement de chacun serait respecté.
Les institutions (Etat, collectivités, municipalités) ne font pas le boulot que l’on attend d’elles.
C’est donc aux citoyens à « prendre les choses en main » et ceci aura d’ailleurs pour conséquence la transformation de la nature et du fonctionnement des dites institutions.
Dans l’affaire en question, personne ne conteste le droit de propriété de Mme Cottin.
Comme le dit M° Winter, il faut juger le cas concret!
La question posée au tribunal est de savoir si le droit de propriété de Mme Cottin est « affaibli » (ce qui permettrait de justifier l’occupation) ou pas.
Le contrat social, c’est le compromis.
Aucun droit n’est absolu, pas même le droit de propriété!
Philippe
Précision…
Il existe bien une catégorie de droits dits « absolus », variables dans le temps et l’espace, aujourd’hui en occident liés au respect de la personne. Mais le raisonnement tient dans la mesure ou ce qu’on met dans cette catégorie dépend des « valeurs supérieures » d’une société à un moment donné…
philippe