Les super-héros, rien qu’à l’évocation de leur nom on sent en nous un frétillement. Les plus jeunes y voient un modèle à suivre et les plus grands se remémorent les heures passées à croquer à pleines dents les nouvelles aventures hebdomadaires de ces sur-hommes. Ils sont ancrés dans l’inconscient collectif, Superman, Batman, Spiderman, Iron Man et cette déclinaison terminée par « man » peut s’étendre encore et encore. Exception faite des mangas, la quasi-totalité de ces personnages hors-normes sont d’origines américaines, lorsqu’ils ne le sont pas, ce sont des fonds versés par l’oncle Sam qui permettent leur conception. Pourtant, la vérité est tout autre car à l’origine, aux racines de l’arbre branchu et feuillu, il y a des dessinateurs français. Le premier des super héros est francophone, il se nomme Nyctalope.
Avec un peu d’audace, on peut faire remonter la genèse à l’époque des aédes de la Grèce Antique. Ceux qui narraient les exploits d’égéens où se mêlaient monstres et divinités, tels que les aventures d’Ulysse ou d’Achille. Les siècles ont passé et les odes chantées ont été remplacées par les bandes dessinées. On émerveille, divertit et dicte une conduite aux enfants par le biais de papier, de stylos, de couleurs et d’onomatopées.
Nyctalope est né dans l’esprit d’un certain Jean de la Hyre, né Adolphe Espié, en 1911. La publication est épisodique afin de maintenir, semaines après semaines, l’attention des lecteurs du journal La Dépêche. Une histoire illustrée, sur un ton décalé, tantôt grivois, dont le but est d’amuser et de faire s’évader l’esprit de quiconque la lit, dans un contexte anxiogène de Première Guerre Mondiale qui s’annonce.
Comme tous les super héros, il possède un super pouvoir, un attribut exceptionnel. Que serait Spiderman sans ses toiles ? Batman sans ses gadgets? Superman sans sa force herculéenne ? Nyctalope, comme son nom l’indique, voit dans le noir. Un peu comme un chat, il ne faut pas que le lieu où il se trouve soit dans la pleine obscurité, sinon il ne voit rien, mais un simple rai et sa vision s’illumine. Autre composante qui fait de lui un super-héros : la double vie. Derrière Nyctalope se cache Léo Saint Clair. Et oui, nous sommes en France, au début du XXème siècle, le nom n’est pas aussi sonnant et clinquant qu’un Bruce Wayne ou qu’un Peter Parker. Léo serait né dans la seconde moitié du XIXème, la date oscillant entre 1878 et 1892.
Sa première apparition se fait dans une historiette mise en cases, sombrement intitulée :« L’homme qui peut vivre sous l’eau ». Les plus connaisseurs de comics auront certainement reconnu une forme de similitude avec Submariner, coincidence ou vulgaire imitation ? Quoiqu’il en soit, cette version est plus kitch et moins prestigieuse que sa cousine américaine. Un autre aspect de Nyctalope fait écho à un personnage de comic bien connu, Iron Man. En effet, Léo Saint Clair possède un cœur artificiel depuis qu’il a été torturé et laissé pour mort après une mission diplomatique en Russie.
Ses aventures auront beaucoup de succès, il sera aussi populaire, en son temps, que Rouletabille, le héros de Gaston Leroux, Fantomas ou encore Arsène Lupin. Il va connaitre l’honneur de voir ses chroniques compilées et éditées en romans, une vingtaine, tout au long de son existence, c’est à dire, environ 30 ans. Dans sa première aventure personnelle, où il tient à lui tout seul la vedette, il lutte contre un super vilain nommé Oxus. Un méchant, bien comme il faut, dont les ambitions visent la planète Mars afin d’y élever, à l’insu de tous, des super-hommes. Progressivement, ses adversaires gagnent en puissance, si bien qu’en 1921, c’est le Diable en personne qui se dresse en travers de sa route.
Contexte historique oblige, il doit réduire à néant les ambitions destructrices d’un baron dont le nom a une forte consonance allemande, Glo Von Wartek. Ce germain machiavélique espère asservir l’humanité avec un puissant rayon gamma. Puis, ce sont une pluie d’adversaires qui lui tombent dessus. On peut compter des savants fous, des envahisseurs en tout genre, des princesses de royaumes inconnus ou encore des hybrides aliénés. Une ribambelle de personnages hauts en couleurs propres à toute saga héroïque.
A la fin de 1941, la dure réalité de la défaite française face à l’armée nazie marque un coup dur pour la survie de la bande dessinée. Dans un pays conquis, devant subir la triste condition de vaincu, le papier, comme l’encre et toutes autres matières premières, sont rationnés et comptées. Après le conflit, Nyctalope ne réapparait pas. Dans une stratégie d’épuration gouvernementale touchant tous les domaines, Jean de la Hire est accusé d’avoir été un peu trop proche des allemands. Le monde a changé et les esprits également, les empires coloniaux n’existent plus.
Avec Nyctalope, nous avons droit à un personnage symbolisant la France impériale, celle militant pour un racisme paternaliste. Cette figure permet aux lecteurs de voyager à travers le monde pour qu’à travers le personnage de Nyctalope, la France puisse prêcher la bonne parole. Russie, Centre-Afrique, Tibet, Maroc ou Chine, pour les historiens, il permet une introspection temporelle riche en détails et pemet d’appréhender les esprits de l’époque, un peu comme un Tintin.
Même si l’auteur, et sa sympathie notoire envers le régime nazi, a tué littéralement la série, aujourd’hui, Nyctalope est devenu une icône pour les jeunes illustrateurs. Ainsi, ils rendent régulièrement hommage à ce personnage et redorent son blason, comme dans les Brigades Chimériques et La ligue des gentlemen extraordinaires d’Alan Moore.
Trés bon article, qui aurait pu être « valide », si seulement on ne parlait pas de bande dessinée, car le Nyctalope est issu de la gamme « roman-feuilleton », et ne comporte que peu ou pas d’illustrations (si ce n’est la couverture). Il ne s’agit donc pas d’une bande dessinée, mais d’un « pulp », ou roman de gare plus proche du littéraire que de l’illustration. En ce sens il est couramment comparé à ces cousins américains The Shadow ou Doc Savage, qui avant d’être des BD étaient eux-mêmes des romans de surhommes et d’êtres mystérieux.