Nucléaire : s’éclairer ou se nourrir, il faudra choisir

Il fait sec. Or, près de 40 % des ressources d’eau potable en France sont consacrées à refroidir une soixantaine de réacteurs nucléaires. Comme la production d’électricité hydraulique dépend aussi du niveau des précipitations, faute d’alternatives réellement disponibles, ce n’est pas seulement l’eau qu’il convient de ne pas gaspiller mais aussi l’électricité. Aujourd’hui plus qu’hier, et encore davantage demain.

Nathalie Kosicusko-Morizet, ministre de l’Écologie, vient d’annoncer des restrictions de consommation d’eau qui vont « toucher tout le monde ». Boire ou conduire des centrales, il va falloir choisir. Car il n’y a plus vraiment d’alternative : les énergies fossiles s’épuisent et contribuent au réchauffement climatique, le bilan d’émission de C02 des carburants de substitution n’est pas fameux, et le rendement de la fabrication de panneaux solaires, qui exigent de l’énergie pour les produire, n’est pas, de loin, optimal.
Le « battement d’aile » de papillon irradié au-dessus d’une centrale japonaise n’a pas fini d’avoir des répercussions : la Chine, victime aussi de la sécheresse, envisage de doubler ses importations de charbon. Partant, d’augmenter des émissions qui n’ont rien de stationnaire.

Il convient de ne plus diaboliser personne, ni le nucléaire, ni le Front national. Lequel réclame une « information claire » sur les questions d’énergie « afin de ne pas alimenter les manipulations des cassandre anti-nucléaires, plus souvent motivés par le maintien d’intérêts pro-pétrole que par une démarche prétendument écologique, et qui oublient un peu vite les pollutions, impacts écologiques et victimes de la filière pétrole. La confiance implique la franchise. ».

Alors, soyons francs : dans le programme du FN sur l’énergie, on trouve toute la palette des solutions, non hiérarchisée, y compris celles qui, fausse bonne idée, génèrent un bilan CO2 très lourd (par exemple, le procédé Fischer-Tropff, qui même appliqué à la biomasse, n’est pas vraiment bénéfique à l’environnement).

En cela, le FN ne se distingue guère des autres partis majoritairement représentés. Les Verts, pour leur part, sont hostiles au nucléaire, aux « nécrocarburants » (agrocarburants), et mettent davantage l’accent sur les économies d’énergie. On serait donc tenté de « préférer l’original à la copie » (d’où qu’elle vienne). L’ennui est que les écologistes regroupés dans Europe écologie semblent davantage préoccupés par la désignation d’une ou d’un candidat (via leur primaire ouverte à toutes et tous) que d’autre chose. En fait, c’est vrai… et faux. Un document de six pages, qualifié de « texte très général » dégage cinq grandes orientations. La suite du débat viserait à hiérarchiser les principales mesures en vue d’en négocier l’application… avec le PS.

Pourquoi donc avec le seul PS ? On veut bien concevoir que certains à côtés (la légalisation du cannabis, par exemple), pourraient heurter l’électorat FN, et des options plus fondamentales, comme le fédéralisme, valoir casus belli avec sa direction. De même, vis-à-vis de l’UMP, tabler sur une croissance très molle (1 %) et préconiser une taxation à hauteur de 70 % sur les revenus annuels supérieurs à 500 000 euros n’a aucune chance d’être entendu.

Mais au-delà des querelles d’appareils, la détermination de priorités, en matière de politiques énergétiques, risque de s’imposer pour toutes les formations. Parce qu’entre boire et conduire des centrales (nucléaires, thermiques notamment), ce n’est plus vraiment demain qu’il faudra choisir. Déjà, en 2005, l’Appel de Monterey stipulait : « un autre monde n’est pas souhaitable, il est obligatoire ». Nous y sommes.

Malheureusement, tout est lié : il ne suffit pas d’imposer des mesures environnementales, qui pourraient fâcher certains secteurs, pour se sortir de l’impasse, de l’asphyxie. Il faut les financer en s’attaquant à de puissants intérêts, les mesures doivent impliquer une cohésion internationale, &c.

En Espagne, sous la dénomination provisoire d’Equo, trente organisations écologistes viennent de se regrouper avec pour chef de file (ou plutôt : porte-parole), Juantxo Lopez de Uralde, ancien directeur de Greenpeace pour l’Espagne. L’ambition est aussi de « civiliser la politique et repolitiser la société ». C’est une formation se revendiquant « de gauche », voulant réformer la gauche dans son ensemble et investir le terrain électoral. Selon Lopez de Uralde, « il faut penser à travailler moins pour travailler tous » (et mieux) et « problèmes sociaux et de qualité de vie sont liés. ».

Au Portugal, un électorat déçu par la gauche sociale-démocrate a largement assuré le retour d’une droite démocrate-sociale au pouvoir, mais les communistes et les écologistes ont maintenu leurs niveaux de suffrages. En Italie, les écologistes se sont fortement mobilisés pour que le parti de Berlusconi régresse lors des élections municipales (Milan, Naples, Cagliari… plus d’une cinquantaine de villes ont viré de bord). Les écologistes italiens ont fait reculer Berlusconi sur le nucléaire : il a craint que son projet de constructions de centrales nucléaires se heurte à l’exigence d’un référendum.

Pourtant, l’influence électorale des partis écologistes semble faible, et en France, la catastrophe nucléaire au Japon n’a guère eu d’influence sur les dernières élections cantonales. La montée des droites nationalistes en Europe retient beaucoup plus l’attention. Mais la sécheresse aujourd’hui, tout comme la sécurité alimentaire (avec l’affaire du « concombre »), qui vaut, après les histoires de vaches folles (la France veut de nouveau autoriser les farines alimentaires), nouveau seuil d’alerte, pourrait changer la donne. Le vote « protestataire » pourrait virer de bord.

Ce n’est pas parce que, demain (en fait à l’automne), la presse évoquera les perspectives financières de la PAC (Politique agricole commune) pour la période 2014-2020, que le vote protestataire s’alimentera. Tout ou presque sera fait pour que le débat passe largement au-dessus de la tête de la majorité de l’électorat du Front national, de l’UMP, voire des autres formations politiques. La question des aides directes sera débattue (avec la France, les pays du sud et la Pologne pour leur maintien telles, les pays du nord et baltes pour leur abrogation, Allemagne et Autriche pouvant plaider pour un moyen terme). Nicolas Sarkozy ne veut pas plus modifier la politique nucléaire française que sa politique agricole. Il se trouve que la sécheresse révèle un certain degré d’imbrication entre les deux…

Eh oui, le porte-parole d’Equo l’exprime bien : « il faut repolitiser la société. ». Cela suppose un minimum de vigilance et de refuser de se laisser vendre des vessies pour des lanternes. Donc d’y consacrer un peu de temps, en étant bien conscients que ce temps nous est compté.

P.-S. : titre de La Tribune : « Les entreprises françaises n’économisent pas l’eau ». On pourrait leur appliquer la tarification en usage à Libourne (Gironde) qui est progressive : un tarif très bas à 0,10 euro pour les 15 premiers m3 puis une augmentation progressive du prix jusqu’à 151 m3 (0,70 euro jusqu’à 120 m3, &c.). À Viry-Châtillon, les trois premiers m3 sont offerts par la régie municipale. En France, le prix du service est souvent inversement proportionnel au volume consommé : plus on utilise de l’eau, moins on paye cher.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Nucléaire : s’éclairer ou se nourrir, il faudra choisir »

  1. Du [i]Figaro[/i] daté du 9 juin 2011 :

    Trois situations sont envisagées : un scénario de base avec un climat conforme à la normale, un épisode caniculaire – avec des températures supérieures de 7 °C -, enfin une période de sécheresse.
    Si la canicule se combine à la sécheresse, la situation risque de se tendre sérieusement. L’Hexagone se retrouverait alors privé de 3 600 MW produits par les centrales au bord du Rhône et de la Loire, soit l’équivalent de la production de quatre réacteurs nucléaires.

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