Non-intervention en Syrie : la faute à Sarkozy ?

« Moi, j’ai été couillu » a virilement déclaré en substance Nicolas Sarkozy en regrettant que la France n’en fasse pas davantage pour appuyer les insurgés syriens. Cela étant, au lieu d’aller combattre en Syrie, il file à Marrakech où sa camarilla lui envoie des notes afin qu’il puisse encore s’exprimer. Mais en fait, comment expliquer les vétos de la Russie et de la Chine sur l’instauration d’une zone de non-survol des aires de combats, si ce n’est par l’utilisation faite par lui-même de la résolution de l’Onu en Libye ? 

Certes, ce n’est pas l’unique et seule raison de l’opposition farouche de la Russie à interdire toute intervention étrangère officielle en Syrie. La Russie dispose d’une unique base navale donnant sur la Méditerranée dans ce pays, et elle reste le fournisseur d’armements privilégié du régime d’Assad…

Mais les observateurs s’accordent à penser qu’il en fait une affaire personnelle. Son président d’alors,  Medvedev, et les Chinois, auraient été roulés dans la farine : la zone d’exclusion de survol aérien a été transformée en zone d’intervention et de bombardement des cibles loyalistes dans le conflit libyen, et il est pour lui hors de question de laisser l’histoire se répéter.

Bien sûr, Nicolas Sarkozy, qui avait presque forcé la main en Libye, dépêchant des chasseurs français avant tout autre armée de l’air pour attaquer des chars loyalistes, déclare à présent « yaka ». Il suffit de se montrer aussi déterminé en Syrie qu’il l’avait été en Libye. Et tant qu’à faire, bombarder des cibles civiles en alléguant que des chars du régime syrien s’y réfugient. Comme si les insurgés ne faisaient pas de même.

Sarkozy feint aussi d’ignorer la situation actuelle en Libye. Peu après sa tonitruante déclaration, dimanche dernier, un colonel a été abattu de deux balles dans le crâne alors qu’il se rendait dans une mosquée de Benghazi. Sept secouristes iraniens de la Croix Rouge libyenne ont été arrêtés mardi dernier par un groupe armée dans la même ville qui, aujourd’hui, a vu une nouvelle fois l’immeuble de la sécurité militaire exploser: il avait déjà été à moitié détruit par des attentats, il n’y a pas de victimes. Comme l’attentat visant, toujours à Benghazi, dimanche dernier, le général Khalifa Hifter, a échoué et que les 13 morts du mois de juillet étaient de quasi-inconnus, nul besoin d’en faire état, ou si peu, dans la presse internationale. Ni du fait que Salem al-Obeidi, suspect d’avoir tué le général Abdel-Fattah Younis (assassiné en juillet 2011), ait été libéré de sa prison par un commando armé.

Les dernières élections en Libye (tenues le 18 juillet) ont été validées hier mais on ne sait trop qui représente au juste qui. Bani Walid et les autres localités qui avaient soutenu Kadhafi et n’ont pas été totalement évacuées, voire rasées, restent loin d’être acquises au gouvernement. Les attaques de l’Otan n’ont pas été pour peu dans le refus de se rallier initialement ou sur le tard aux vainqueurs.

Les médias restent contrôlés de près, mais puisque McDonald et Dunkin’ Donuts envisagent d’ouvrir des franchises en Libye, c’est que tout va bien. Le journaliste israélien Emmanuel Rosen et son équipe de télévision ont fini par être relâchés (sans leurs caméras ou leurs cassettes), ce qui prouve bien qu’on peut écrire ou dire ce qu’on veut sur la nouvelle Libye.

Il resterait environ 9 000 prisonniers dans divers centres de « rétention » libyens. Un système de justice parallèle à l’officiel dégonflera sans doute ce nombre. Les magistrats officiels n’en nient pas l’existence. Ils se contentent de réclamer que les accusés leur soient déférés… un jour prochain… ou l’autre…

Voici donc à présent Jean-François Copé, peu disert sur le Mali, qui embraye en critiquant à son tour le « silence assourdissant » de l’actuelle présidence et de la diplomatie françaises sur la Syrie. C’est vrai qu’il est fait silence. Par exemple sur la réclamation par la Libye que Bashir Saleh, protégé du gouvernement français précédent, lui soit remis. « Il blanchissait des milliards de dollars en investissements et servait d’intermédiaire entre le régime libyen, l’Afrique et la France, » a estimé publiquement un membre du CNT. Il aurait été en fait exfiltré vers l’Afrique de l’ouest. Si Jean-François Copé a de ses nouvelles, comme par le passé, qu’il en fasse donc part… à Interpol.

À son tour, Bernard-Henri Lévy se dit « déçu », et il préconise une alliance militaire française avec la Turquie et divers pays arabes, dont les plus dictatoriaux et répressifs de la péninsule arabique. Pour lui, passer outre les vétos russe et chinois, ce n’est qu’une légère formalité. Fort bien, mais cela laisse aux Russes et aux Chinois les mains libres pour envahir, qui la Géorgie, qui Taïwan (Formose). Ou de pousser leurs pions en Afrique sans plus avoir à se soucier de rien.

BHL est sans doute surtout déçu de ne pas avoir été invité à parader en zones insurgées syriennes. Il le sera peut-être. Aux dépens des Kurdes, au sujet desquels Ankara vient de déclarer qu’il n’en tolérerait pas l’autonomie ?

Pour mieux « ambiancer » les reportages, le Die Kronen Zeitung (Autriche) a procédé à un montage, celui d’une famille sunnite (l’épouse porte le hijab) censée fuir une ville en ruine. La famille existe bien, les ruines aussi, mais la photo de famille était déjà parue, sans retenir l’attention ni faire vraiment des ventes pour l’agence EPA. On la voyait marcher paisiblement dans une rue à moitié déserte, aux immeubles intacts.

Deux autres généraux viennent de fuir le régime : Ahmad Tlass (à ne pas confondre avec son homologue Manaf Tlass, qui parade à Paris), du ministère de l’Intérieur, Mohammed Al-Haj Ali, de l’académie militaire. N’oublions cependant pas que 68 généraux ou officiers militaires turcs croupissent aussi en prison, sans émouvoir Copé ou BHL. Quatre autres ont démissionné pour protester contre les arrestations.

Selon Novesti, bien sûr suspecte de partialité, un sondage en Turquie révélerait que 72 % des Turcs considèrent que le soulèvement en Syrie a été fomenté par des puissances occidentales ou alliées. Seulement 40 % des Turcs souhaiteraient que leur pays soutienne l’opposition syrienne.
Du côté de Sirte, des chasseurs et des hélicoptères turcs ont bombardé des villages récemment, et des militants du PKK, en représailles ont attaqué un poste militaire à Eruh (un mort, 13 blessés).

Forte déclaration de BHL au Parisien : « Il manque juste un pilote dans l’avion. Et, même si les avions sont turcs, le pilote peut et doit être français. ». Pour aller bombarder le Kurdestan ?

Ce qui est occulté, c’est qu’à présent, même des personnalités tunisiennes ayant déserté Ben Ali voient dans les événements des dernières années un nouveau plan Sykes-Picot pour créer un Grand-Moyen-Orient et « asservir les Arabes avec leur propre religion », selon les termes de l’ancien ambassadeur tunisien Mezri Haddad. L’expression de plan Sykes-Picot est reprise par Mohamed Hassanine Haykel dans le quotidien égyptien Al-Ahram.

Pour Mezri Haddad, la situation se résume ainsi : « un pays [Ndlr. la Tunisie] en faillite économique et en régression sociale, culturelle et politique, qui a perdu jusqu’à sa souveraineté, une Libye dépossédée de ses richesses naturelles et qui n’échappera pas à la partition, comme autrefois l’Irak, une Égypte gouvernée par la secte des Frères musulmans, dont l’histoire est accablante depuis 1928, en passant par leur pacte avec les Anglais contre Nasser,  jusqu’à l’assassinat de Sadate, un Yémen retombé dans l’anarchie tribale et le conflit entre sunnites et chiites, une Syrie qui résiste héroïquement à l’invasion de mercenaires et de barbares, armés par le Qatar et l’Arabie Saoudite et à la solde des Etats-Unis d’Amérique, de la Grande Bretagne et de la Turquie. ».

Assad s’est certes révélé un dictateur « digne » d’un Kadhafi. Mais la question reste, pour qui et pour quoi au juste les insurgés tirent-ils les marrons du feu ?

L’intellectuel israélien David Grossman, à propos de l’Iran et d’Israël, et donc indirectement de la Syrie, dénonce « l’aveuglement et l’euphorie belliciste (…) [une] vision du monde messianique et funeste. ».

Comme le soulignait Robert Fisk dans l’Independent, on se souvient vaguement qu’Ernest Hemingway aurait contribué à libérer Paris (en tout cas, selon sa propre légende), bien peu des Parisiens (et encore moins des républicains espagnols de la 2e DB). Que François Hollande, à l’inverse de Nicolas Sarkozy ou de BHL n’éprouve pas l’ardente envie d’aller se faire prendre en photo dans une Syrie insurgée ne me fait, pour ma part, nul effet.

Mais comme Kharroubi Habib du Quotidien d’Oran, je constate que les efforts portent plus sur l’aggravation de la guerre civile syrienne en fournissant des armes que sur la protection des civils.
« Ce n’est pas l’invocation par les uns ou les autres des grands principes de liberté, de démocratie ou de non-ingérence qui fait leur cynisme moins choquant et révoltant. Les peuples arabes seront toujours une masse manœuvrable tant qu’ils prendront naïvement le cynisme de leurs “amis étrangers” pour de l’altruisme et de l’humanitaire, » conclut K. Habib.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Non-intervention en Syrie : la faute à Sarkozy ? »

  1. les conséquences d’une politique de mafioso! mais le conflit armée qui se prépare doucement entre les grandes puissances sur le sol syrien n’arrangera rien!le départ de Kofi Annan, impuissant mais respecté de tous est dramatique et lourd de conséquences.

  2. Bah ils mettront un abruti à la place peut être qua ca marchera…BHL cherche peut être une mission pour mouiller sa chemise ? ^_^

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