New-York, Mexico, Marseille : exception phocéenne, vraiment ?

Et la démographie, dans tout cela ? Certes, Marseille est plus touchée par la criminalité sanglante que Belfort ou Carpentras, nul ne le conteste. Mais comment croire qu’un coup de baguette magique répressive fera, instantanément, régresser la criminalité à Marseille ? C’est pourtant ce que réclament tous les critiques de l’action gouvernementale. Laquelle n’est pas moins, ni davantage efficace que les précédentes, en Corse par exemple. Autant réclamer de disperser Marseille en diverses campagnes et terroirs… ce serait moins hypocrite.

Je suis bien d’accord avec François Bayrou. « Autant de ministres à Marseille (…) donne le sentiment d’une mise en scène permanente. ». Bayrou, confronté à la même situation, procéderait-il autrement, au risque de se voir reprocher un comportement par trop « normal » ? Éric Woerth, qui ne manifeste guère l’ambition de troquer sa mairie pour celle d’une ville plus diversement peuplée, serait plus crédible s’il donnait l’exemple.

Il ne s’agit aucunement d’aligner Estrosi, Philippot, d’autres, pour dédouaner Valls ou Ayrault. Mais de saisir la portée des enjeux, et d’estimer par avance que toutes solutions combinées ne donneront pas d’immédiats résultats, tout comme hier, ou avant-hier. 

Faute de se livrer à d’utiles comparaisons qui ne sauraient se réduire à des comparaisons en termes de nombre de faits délictueux ou criminels par habitant, bien insuffisantes (il faut de même considérer d’autres facteurs, tel le revenu par tête, pour n’en citer qu’un), il faut quand même tenter de cerner la spécificité marseillaise.

Sur Atlantico, Alain Bauer et Gérald Pandelon s’y essayent. Le second, magistrat, qui n’a pas le souvenir du déploiement de l’armée à Alger, avant 1962, et des compétences en matière militaire sans doute autant limitées que les miennes, veut faire donner l’infanterie (appuyée par l’artillerie ?). Sans doute a-t-il consulté l’état-major…

Alain Bauer, criminologue, souhaiterait que les médias s’efforcent à une mise en perspective. Ce n’est pas qu’ils n’en aient plus les moyens (quoique, peut-être rogner sur l’horoscope ?) mais qu’ils constatent que les nécessaires moyens ne génèrent plus de retour sur investissement. Tout a d’ailleurs été fait pour cela : surtout déshabituer lectorat et auditorat de toute réflexion, c’est plus rentable.

Gérald Pandelon ne se préoccupe guère de comparer le taux de populations étrangères marseillaises avant la construction européenne et l’actuel différentiel entre non-communautaires et communautaires, mais haro sur les « allogènes ». Pieds noirs inclus ?

Bizarre que ce présumé accroissement des allogènes se traduit par une décroissance d’un tiers la criminalité violente par rapport aux années 1980-1990. L’ennui est qu’il faudrait en créditer autant l’action gouvernementale sous Jospin que sous Raffarin et successeurs. Voire évoquer la succession de Gaston Defferre.

Rappelons quand même qu’il a fallu attendre le 26 novembre 2012 pour que la mairie de New York fasse donner les tambours médiatiques pour célébrer la première journée sans homicide depuis des décennies. Ce n’est pas que le résultat d’une long renforcement des actions policières depuis 1994 et d’une évolution des effectifs (qui ont régressé depuis) et surtout des méthodes, mais ce facteur, abondamment mis en avant, a eu des résultats indéniables. Sauf que les chiffres ont été manipulés, comme en France, mais largement plus fortement (notamment dans l’enregistrement et la classification par nature des plaintes). Un cambriolage est devenu une violation de domicile.

Mais il faut noter aussi que la classe d’âge des 15-35 % a décru, que l’assistance aux toxicomanes a été renforcée, que la politique urbaine dans le Bronx (dont la population a chuté de 65%) a fortement influé. On ne sait pas trop si la chasse aux « ripoux » dans la police, la régression de l’exposition au plomb (eh oui, mondialement, c’est un facteur à prendre en compte en matière de criminalité), ou même l’accroissement de l’immigration de première génération (eh oui, aussi, une étude statistique américaine, celle de Robert Sampson, semble l’établir), ont joué, et dans quelles mesures. Voire la baisse constante des tarifs du crack, drogue portant ses adeptes à des comportements violents, certes, mais surtout ses pourvoyeurs à se disputer plus âprement le marché. Mais on ne voit pas trop les tenants de l’efficacité plaider pour un effondrement du prix des drogues.

Notons que la criminalité a aussi décru dans d’autres larges agglomérations nord-américaines (Canada inclus) alors que des méthodes radicalement différentes de celle de la tolérance zéro newyorkaise ont été mises en œuvre.

Sampson et Laub avaient aussi constaté que la stabilité de l’emploi favorisait la désistance (sortie de la criminalité). On verra si la flexibilité maximale, à l’œuvre au Royaume-Uni, aura ou non des répercussions.

On relèvera que l’université d’Aix-Marseille est étroitement associée au Centre international de criminologie comparée de celle de Montréal. C’est peut-être ce qui a incité Manuel Valls à interpeller, assez maladroitement, le maire de Marseille. Diverses études portent sur « le système politico-institutionnel local ». Mais imaginez un peu la risée qu’aurait soulevé une déclaration prônant un renforcement de la recherche criminologique à Marseille : on aurait couvert Manuel Valls de ridicule. D’autant que la criminologie est une discipline, non vraiment une science, et que diverses écoles (toutes intéressées par des fonds) cohabitent plus ou moins bien.

Marseille s’étend sur une superficie représentant cinq fois celle de Lyon, Marseille a drainé des clans et des gangs, mais aussi 350 000 personnes récemment dans des rassemblements festifs ou culturels, sans que cela génère une augmentation significative de la délinquance. En sus, on additionne des meurtres et assassinats de natures fort diverses.

Le sociologue Laurent Mucchielli relève (sur RTL) que, « à Marseille, les banlieues sont dans la ville ». C’est peut-être là l’un des facteurs essentiels. Ce n’est pas plus une ville homogène que ne peut l’être le Paris d’à-présent, clivé qu’il l’est en diverses entités n’ayant que très peu de rapports entre elles. Diégo Martinez, interrogé par divers titres de presse, estime, en tant que syndicaliste policier (SGP-FO), que la mise en place des Zones de sécurité prioritaires enregistre déjà un « très bon bilan », mais… sur zones. Sa conclusion : « on veut tout et tout de suite, ce qui est impossible ». 

Florian Reynaud, sur Slate, rappelle utilement que, par tête, les Bouches-du-Rhône se classent derrière la Seine-Saint-Denis et Paris, et pas si loin des Alpes-Maritimes en termes de délinquance et criminalité. « En matière d’homicides non crapuleux, les Bouches-du-Rhône n’arrivent pas non plus en tête: on y a compté en 2012 25 homicides pour environ 2 million d’habitants, contre 24 pour moitié moins d’habitants dans le département voisin des Alpes-Maritimes. ». Mais on entend Estrosi, maire de Nice, donner des leçons. C’est un peu comme si Rachida Dati, maire d’arrondissement, en donnait à ses collègues des 19 ou 20e de Paris.
Quant aux règlements de comptes (à Marseille, certains commis hors de la périphérie se trouvent assimilés automatiquement à la cité phocéenne), ils sont largement plus fréquents en Corse (pour d’autres, mais aussi de similaires raisons).

Le problème est aussi qu’en Corse, tous les gouvernements successifs se sont cassés les dents. Ainsi que toutes les personnalités politiques locales, de droite, de centre-droit, de centre-gauche, de gauche. 

Il reste quand même une question à soulever. Pourquoi donc, du fait de la criminalité spectaculaire, envisager une sorte de plan global (on parle de plan Marshall) à Marseille plutôt qu’à Roubaix ? À Marseille, 26 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre plus de 40 % à Roubaix. Roubaisiennes, Roubaisiens, vous voyez ce qu’il vous reste à faire : vous entretuer ! Question criminalité, Roubaix dépasse tout juste Antibes, loin derrière Saint-Denis, Avignon, Nîmes ou Cannes, et se compare plutôt à Amiens. Ce n’est pas parce qu’elle comporte la plus vaste zone de sécurité prioritaire française (partagée avec Tourcoing), ni que la population immigrée y soit relativement moins importante. Alors quoi ? Question de mentalités ? Peut-être que les Marseillais pourraient y réfléchir.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « New-York, Mexico, Marseille : exception phocéenne, vraiment ? »

  1. On assiste à une [b]Bogotasition[/b], cela ne va faire qu’empirer…..l’argent de la drogue,

    il faut peut-être légaliser le cannabis,
    il faut faire intervenir l’armée comme dans certaines favelas à Rio

    En tant cas il faut agir, …..L’Etat se suicide …

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