Anders Breivik semble avoir trouvé son « âme sœur » en la personne d’une Allemande de 37 ans, de cinq ans son aînée, emprisonnée depuis un an pour activités terroristes et une présumée participation aux assassinats de neuf immigrants et d’une policière. Le meurtrier de 69 jeunes norvégiens sur l’île d’Utøya et de huit personnes à Oslo a envoyé une lettre à Beate Zschäpe, dont Der Spiegel donne la substance.

Depuis sa prison située près d’Oslo, Anders Breivik, qui est placé dans un quartier de haute sécurité, continue de réclamer que ses droits soient respectés, qu’il puisse avoir accès en continu à un ordinateur, et que le secret de sa correspondance soit respecté. Mais il se trouve qu’après les révélations du quotidien Verdens Gang, qui faisait état d’une correspondance fournie avec des chefs de file de mouvements extrémistes de droite, ses lettres sont censurées.
Il veut se situer en tant chef spirituel d’une nouvelle formation, le Mouvement révolutionnaire conservateur. Il a été condamné à 21 années de détention, mais il songe peut-être déjà à sa libération.

C’est peut-être pour préparer l’avenir qu’il s’est adressé à Beate Zschäpe, qui se trouve emprisonnée en Allemagne. Ses gardiens n’ont pas remis la lettre à cette dernière, mais Der Spiegel a pu en prendre connaissance.

Sur trois pages, Breivik la qualifie de « chère sœur » et « d’héroïne courageuse de la résistance nationale », l’incitant à révéler ses motivations politiques aux populations lors de son procès, soit de contrer le multiculturalisme et l’islamisation de l’Allemagne, mais aussi à viser comme lui plutôt les élites politiques que les immigrants eux-mêmes.
« Nous sommes des martyrs de la révolution conservatrice et pouvons être très fiers (…) nous sommes tous deux les premières gouttes de pluie annonciatrices d’une puissante tornade qui nettoiera l’Europe ! ». Toute sa prose est de la même eau.

Beate Zschäpe était l’égérie de la NSU (National-socialisme underground ou clandestin), groupe clandestin, criminel, se fournissant dans les banques au cours d’attaques, ayant commis neuf assassinats d’hommes d’affaires issus de l’émigration, et le meurtre d’une policière. Deux des membres s’étaient suicidés, Beate Zschäpe avait pu détruire la plupart des archives du groupe désireux de fonder un Quatrième Reich, avant de se faire prendre.

La police allemande considère qu’elle aurait pu prendre une part active aux opérations punitives et peut-être tué elle-même. Les faits s’étaient déroulés entre 2000 et 2007 et le procès, à Munich, mettra en cause des complices, dont un ancien dirigeant du parti néonazi NPD, Ralf Wholleben. Les meurtres, de huit Turcs et d’un Grec, artisans ou commerçants, avaient été, dans un premier temps, attribués à la mafia turque.

L’interdiction du NPD pourrait être discutée en décembre dans divers États fédéraux. Breivik voudrait que le prochain procès de sa correspondante permette de populariser ses thèmes et ses propres visées. « Sache que ton sacrifice est salué dans le nord de l’Europe par des dizaines de milliers de militants culturels conservateurs », indique-t-il.

La découverte du mini-réseau avait mis à mal la réputation de l’Office fédéral pour la Protection de la Constitution (BfV) et de ses informateurs ou infiltrés, un peu comme l’affaire Merah a pu susciter en France des interrogations sur la DCRI. Le Süddeutsche Zeitung avait évoqué le « dilettantisme » des autorités policières. Le Berliner Zeitung s’est demandé si l’aveuglement policier était volontaire, inné ou commandité.

Nationalsozialistischen Untergrunds (NSU) était-il une cellule si isolée ? La Rechtsterroristin Zschäpe  se refuse à collaborer avec la police ou la justice et reste muette sur ses contacts.

On se souvient que, dans l’affaire Merah, la piste de l’extrême-droite radicale avait été un temps privilégiée par la DCRI. Il se peut que l’affaire du NSU ait influencé les appréciations.

Pour le sociologue Raphaël Liogier, de l’IEP d’Aix-Marseille, Breivik et Merah sont « les deux faces de la même pièce ». Des jeunes « se découvrent musulmans pour devenir djihadistes » (et il ne s’agit pas que de jeunes des communautés dites arabes ou maghrébines), d’autres se voient en héros de l’Occident (ce qui s’est produit avec un antisémite hongrois d’origines juives qu’il ignorait), poursuit Raphaël Liogier pour Oumma. L’islam serait devenu « une obsession européenne ».
Le professeur britannique Roger Griffin n’est pas loin de considérer aussi que des membres de minorités ou des isolés peuvent se former une idée du monde totalement contrastée en blanc et noir et se vouloir des chevaliers blancs de leur propre cause qu’ils veulent imposer à tous.

Diverses œuvres théâtrales, peu suspectes de vouloir populariser les idées de Breivik, sont données ou en passe de l’être, en Allemagne (c’est une actrice turque qui lit un texte de Breivik), ou au Danemark et dans d’autres pays.

En revanche, en Russie, des manifestants nationalistes ont scandé « Vive Breivik » à Moscou le premier dimanche de novembre (le 4, Jour des forces armées russes). En Suède, les Démocrates suédois recueillent plus de dix pour cent des intentions de vote pour les élections de 2014. L’immigration est le cheval de bataille de cette formation. Le Parti du progrès norvégien, en dépit de Breivik, est la troisième formation politique du pays. Les pays baltes, l’Autriche, la Hongrie, sont des terrains de choix pour des formations xénophobes.

Le pire – peut-être à venir – est que de futurs Merah s’inspirent du mode opératoire de Breivik, et que de futurs Breivik se calquent sur la méthode d’un Merah. Ils sont à la fois isolés mais aussi, comme la lettre de Breivik à Zschäpe le montre, moins seuls du fait de se sentir idéologiquement proches d’autres. Leur faire comprendre que leurs haines (et leurs craintes fantasmées, paranoïaques) sont vaines ne sera pas chose facile…