Néjib Chebbi : « Ben Ali veut désigner lui-même ses concurrents à l’élection présidentielle »

La Tunisie marche-t-elle d’un pas alerte vers un avenir résolument toujours plus démocratique comme le proclame le régime du président Zine el-Abidine Ben Ali ou se trouve-t-on plutôt dans un cas de figure moins clair qui voit un décor aux allures démocratiques cacher des desseins moins avouables ? La tenue d’élections, dans ce contexte, peut servir de révélateur. Or justement, à l’automne 2009, les électeurs tunisiens doivent élire leur président. Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, n’a pas encore déclaré ses intentions, mais il vient d’annoncer le changement des conditions d’éligibilité dans le sens d’une plus grande souplesse, notamment par la suppression du parrainage obligé par un certain nombre d’élus. Nous avons interrogé à ce sujet l’avocat Néjib Chebbi, actuellement seul candidat déclaré depuis son annonce du 13 février dernier.

Comment jugez-vous la réforme provisoire de la loi électorale annoncée le 21 mars ?

Cette loi représente un double aveu. Le premier c’est que le critère du parrainage par des élus a toujours abouti à l’unicité des candidatures et ils ont dû l’abandonner pour la troisième fois consécutive. Le second aveu, c’est que la distinction qu’ils faisaient entre partis parlementaires (NDLR : autorisés à présenter un candidat) et non parlementaires dans un pays où il n’y a pas de véritables élections a également dû être abandonnée, ne pouvant plus convaincre personne. Mais la volonté de maintenir le verrouillage du système demeure. Et celle d’exclure tout candidat gênant. C’est ainsi que le président a élargi le droit de se présenter à l’élection aux seuls secrétaires généraux des partis non parlementaires, à l’exclusion donc de tous autres dirigeants de ces partis. Il ajoute deux autres conditions, à savoir que le candidat doit être élu à son poste par un congrès et en exercice depuis au moins deux ans. Et il dit cela à moins de deux ans des élections ! Donc plus personne ne pourra être élu par un congrès à venir. Il s’agit donc d’un jeu très raffiné qui a pour objet direct de m’écarter de la compétition présidentielle pour la troisième fois consécutive (NDLR : Néjib Chebbi a cédé la tête de son parti, le PDP, Parti démocratique progressiste, en décembre 2006, à Mme Maya Jribi).

Moustapha Ben Jaafar, chef d’un autre parti non parlementaire, est exclu également par ces nouvelles règles. En somme, la volonté du prince décide quels seront ses concurrents à l’élection, car il sera lui-même candidat, nul n’en doute.

Rien de nouveau sous le soleil tunisien ?

Le régime maintient en effet en même temps le verrouillage du système non seulement sur le plan de la loi électorale mais aussi de la liberté de réunion et d’association. Mon parti, le PDP, a rejeté cette man?uvre et maintient sa décision de me porter candidat ; il estime que le changement de loi électorale est un premier recul du pouvoir mais insuffisant. Nous allons continuer à mobiliser l’opinion, à l’échelle locale et internationale, pour exercer le maximum de pression sur le régime, l’amener à discuter, avec la classe politique, des amendements nécessaires, de sorte qu’il y ait un jeu libre et un tant soit peu transparent au scrutin présidentiel de 2009.

Le régime dit pourtant qu’il existe une vie politique parfaitement démocratique…

Le pluralisme politique est une fiction en Tunisie. Tous les partis représentés au Parlement sauf un qui a évolué, Ettajdid (NDLR : ex-communiste), font allégeance au pouvoir. Depuis que, en 1999, des soi-disant représentants de l’opposition siègent au Parlement, toutes les lois sont passées à l’unanimité ! Le fait, même pour un député d’un parti prétendument d’opposition, de voter contre une loi serait très mal vu, et il risquerait de ne pas se faire reconduire aux élections suivantes et d’être écarté. On assiste donc à un simulacre de pluralisme et de représentation parlementaire en Tunisie. De quelle vie politique parle-t-on quand on sait que les salles publiques sont fermées à l’opposition, que les médias sont monopolisés à 100 % par le gouvernement et le parti gouvernemental ? Cela fait, par exemple, plus de quinze ans que je ne suis plus apparu à la télévision nationale ?

Que fait l’opposition réelle ?

Malheureusement, l’opposition digne de ce nom a été réduite à un combat, nécessaire mais défensif, sur les droits de l’Homme, le droit d’association, le droit de s’exprimer, etc. Depuis vingt ans, il n’y a donc pas de vie politique dans mon pays. Or, l’initiative que nous avons prise au PDP, en partenariat avec des personnalités démocrates comme Khemaïs Chammari, vise à sortir de ce microcosme de militance des droits de l’Homme affaiblie et essoufflée pour nous adresser à la population par tous les moyens de communication à notre disposition, pour l’entretenir enfin de ses problèmes sociaux, d’emploi, de santé, d’enseignement, d’investissements, etc., et, bien sûr, nous lions cela à la nécessité de réformer le système politique dans le sens de l’alternance du pouvoir. Cette initiative a été à l’origine d’un flot d’articles dans la presse de caniveau progouvernementale destinés à nous insulter car cela a un peu déstabilisé le pouvoir, qui s’est ensuite lancé dans cette man?uvre visant le scrutin de 2009, pour gâcher notre élan et tenter de récupérer certains d’entre nous dans son décor pseudo-démocratique.

Une candidature unique de l’opposition, notoirement divisée, est-elle possible ?

C’est notre souhait : que l’on organise des primaires au sein de l’opposition pour dégager un seul candidat. La situation politique en Tunisie l’exige. Malheureusement, l’esprit de boutique, les calculs personnels et partisans rendent impossible la chose pour le moment, les conflits entre opposants priment ! Mais nous poursuivrons, en tendant la main, notre démarche, qui crée un véritable événement en Tunisie. Ma candidature personnelle n’est pas une condition sine qua non, je ne suis qu’un candidat potentiel. Que les démocrates décident qui est leur candidat. Encore faut-il qu’ils réussissent à se réunir et à s’entendre. Cela me semble pour le moment difficile, mais nous avons vingt mois pour mener cette lutte à bien.

Propos recueillis par BAUDOUIN LOOS – LE SOIR – vendredi 04 avril 2008

La Tunisie marche-t-elle d’un pas alerte vers un avenir résolument toujours plus démocratique comme le proclame le régime du président Zine el-Abidine Ben Ali ou se trouve-t-on plutôt dans un cas de figure moins clair qui voit un décor aux allures démocratiques cacher des desseins moins avouables ? La tenue d’élections, dans ce contexte, peut servir de révélateur. Or justement, à l’automne 2009, les électeurs tunisiens doivent élire leur président. Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, n’a pas encore déclaré ses intentions, mais il vient d’annoncer le changement des conditions d’éligibilité dans le sens d’une plus grande souplesse, notamment par la suppression du parrainage obligé par un certain nombre d’élus. Nous avons interrogé à ce sujet l’avocat Néjib Chebbi, actuellement seul candidat déclaré depuis son annonce du 13 février dernier.

Comment jugez-vous la réforme provisoire de la loi électorale annoncée le 21 mars ?

Cette loi représente un double aveu. Le premier c’est que le critère du parrainage par des élus a toujours abouti à l’unicité des candidatures et ils ont dû l’abandonner pour la troisième fois consécutive. Le second aveu, c’est que la distinction qu’ils faisaient entre partis parlementaires (NDLR : autorisés à présenter un candidat) et non parlementaires dans un pays où il n’y a pas de véritables élections a également dû être abandonnée, ne pouvant plus convaincre personne. Mais la volonté de maintenir le verrouillage du système demeure. Et celle d’exclure tout candidat gênant. C’est ainsi que le président a élargi le droit de se présenter à l’élection aux seuls secrétaires généraux des partis non parlementaires, à l’exclusion donc de tous autres dirigeants de ces partis. Il ajoute deux autres conditions, à savoir que le candidat doit être élu à son poste par un congrès et en exercice depuis au moins deux ans. Et il dit cela à moins de deux ans des élections ! Donc plus personne ne pourra être élu par un congrès à venir. Il s’agit donc d’un jeu très raffiné qui a pour objet direct de m’écarter de la compétition présidentielle pour la troisième fois consécutive (NDLR : Néjib Chebbi a cédé la tête de son parti, le PDP, Parti démocratique progressiste, en décembre 2006, à Mme Maya Jribi).

Moustapha Ben Jaafar, chef d’un autre parti non parlementaire, est exclu également par ces nouvelles règles. En somme, la volonté du prince décide quels seront ses concurrents à l’élection, car il sera lui-même candidat, nul n’en doute.

Rien de nouveau sous le soleil tunisien ?

Le régime maintient en effet en même temps le verrouillage du système non seulement sur le plan de la loi électorale mais aussi de la liberté de réunion et d’association. Mon parti, le PDP, a rejeté cette man?uvre et maintient sa décision de me porter candidat ; il estime que le changement de loi électorale est un premier recul du pouvoir mais insuffisant. Nous allons continuer à mobiliser l’opinion, à l’échelle locale et internationale, pour exercer le maximum de pression sur le régime, l’amener à discuter, avec la classe politique, des amendements nécessaires, de sorte qu’il y ait un jeu libre et un tant soit peu transparent au scrutin présidentiel de 2009.

Le régime dit pourtant qu’il existe une vie politique parfaitement démocratique…

Le pluralisme politique est une fiction en Tunisie. Tous les partis représentés au Parlement sauf un qui a évolué, Ettajdid (NDLR : ex-communiste), font allégeance au pouvoir. Depuis que, en 1999, des soi-disant représentants de l’opposition siègent au Parlement, toutes les lois sont passées à l’unanimité ! Le fait, même pour un député d’un parti prétendument d’opposition, de voter contre une loi serait très mal vu, et il risquerait de ne pas se faire reconduire aux élections suivantes et d’être écarté. On assiste donc à un simulacre de pluralisme et de représentation parlementaire en Tunisie. De quelle vie politique parle-t-on quand on sait que les salles publiques sont fermées à l’opposition, que les médias sont monopolisés à 100 % par le gouvernement et le parti gouvernemental ? Cela fait, par exemple, plus de quinze ans que je ne suis plus apparu à la télévision nationale ?

Que fait l’opposition réelle ?

Malheureusement, l’opposition digne de ce nom a été réduite à un combat, nécessaire mais défensif, sur les droits de l’Homme, le droit d’association, le droit de s’exprimer, etc. Depuis vingt ans, il n’y a donc pas de vie politique dans mon pays. Or, l’initiative que nous avons prise au PDP, en partenariat avec des personnalités démocrates comme Khemaïs Chammari, vise à sortir de ce microcosme de militance des droits de l’Homme affaiblie et essoufflée pour nous adresser à la population par tous les moyens de communication à notre disposition, pour l’entretenir enfin de ses problèmes sociaux, d’emploi, de santé, d’enseignement, d’investissements, etc., et, bien sûr, nous lions cela à la nécessité de réformer le système politique dans le sens de l’alternance du pouvoir. Cette initiative a été à l’origine d’un flot d’articles dans la presse de caniveau progouvernementale destinés à nous insulter car cela a un peu déstabilisé le pouvoir, qui s’est ensuite lancé dans cette man?uvre visant le scrutin de 2009, pour gâcher notre élan et tenter de récupérer certains d’entre nous dans son décor pseudo-démocratique.

Une candidature unique de l’opposition, notoirement divisée, est-elle possible ?

C’est notre souhait : que l’on organise des primaires au sein de l’opposition pour dégager un seul candidat. La situation politique en Tunisie l’exige. Malheureusement, l’esprit de boutique, les calculs personnels et partisans rendent impossible la chose pour le moment, les conflits entre opposants priment ! Mais nous poursuivrons, en tendant la main, notre démarche, qui crée un véritable événement en Tunisie. Ma candidature personnelle n’est pas une condition sine qua non, je ne suis qu’un candidat potentiel. Que les démocrates décident qui est leur candidat. Encore faut-il qu’ils réussissent à se réunir et à s’entendre. Cela me semble pour le moment difficile, mais nous avons vingt mois pour mener cette lutte à bien.

Propos recueillis par BAUDOUIN LOOS – LE SOIR – vendredi 04 avril 2008

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