Le 20 Juin 2009 paraissait sur Facebook une vidéo montrant apparemment une jeune femme mortellement blessée dans les rues de Téhéran. Cette vidéo va se répandre sur la toile, et, rapidement, dans les médias, qui vont faire de cette jeune femme l'héroïne de la rébellion. Des informations viennent plus tard nous éclairer : la jeune femme s'appelait Neda, avait un fiancé et quelques témoins parlent. A l'examen, cependant, une kyrielle d'invraisemblances, d'incohérences et de bizarreries apparaissent. Examinons-les.


Il y a en fait trois vidéos parues autour de Néda, deux sur Neda blessée, une autre qui aurait été prise peu avant.

D'abord parlons des deux vidéos prises apparemment quasi simultanément. Elles montrent Néda sur le sol après qu'un coup de feu ait été entendu (hors vidéo). Ces vidéos présentant un caractère dramatique, je conseille de s'efforcer de les regarder en s'en détachant un maximum émotionnellement.
Elles se ressemblent étrangement. Elles ont été prises à quelques secondes d'intervalle. Les "cameramen" suivent exactement le même parcours, depuis la même direction, contournent de la même façon le petit groupe autour de la jeune femme par la gauche, et finissent par un gros plan sur le visage de Neda. La première vidéo se prolonge un peu, le cameraman contourne un autre homme et revient au gros plan sur Neda. Dans aucune de ces vidéos, on n'a de plan large. Les caméras sont précisément focalisées, et ne tressautent quasiment pas. On n'a donc que très peu d'idée de ce fait de l'environnement de la scène, on ne voit que le petit groupe à terre, 3 ou 4 personnes autour, le bitume, un morceau de voiture, le bas d'une maison. A la limite, elles auraient pu être prises n'importe où.

 


Un certain nombre de bizarreries apparaissent :

– D'abord, la prise de vues très identique des deux vidéos. On dirait que le deuxième cameraman répète exactement le parcours du premier. Quelle chance y a-t-il pour que les deux seules personnes à avoir pris une vidéo sur les lieux prennent exactement le même chemin, avec les mêmes plans ? Très faibles à mon avis. De plus, dans une atmosphère qu'on imagine dramatique, j'ai du mal à comprendre le "sang-froid" des cameramen qui prennent la scène en plan serré, sans faire d'écart, sans s'intéresser à ce qui se passe autour. Volonté au montage de ne pas montrer les témoins ? Possible, mais troublant quand même. On remarquera que sur la deuxième vidéo, il y a au début de celle-ci (sauf la première image, fugitive), alors qu'elle débute plus loin du groupe "Néda" que la première, une grosse "tache", qu'on pourrait penser être un doigt. Le "doigt" ne s'enlève qu'une fois à proximité de la scène, ce qui nous prive de tout plan élargi.

– Ensuite, à 0.03 sur la première vidéo, le "docteur" qui secoure Néda donne un coup d'oeil prononcé en direction de la caméra. C'est très étrange. Il tient Neda qui s'affaisse sur le goudron dans ses bras, grièvement blessée, et au lieu de concentrer son attention sur la blessée, il regarde clairement en direction de la caméra qui est encore à plusieurs mètres. Cette attitude est vraiment incompréhensible à ce moment précis. Si j'étais mauvaise langue, je dirais que ça me fait penser à un acteur amateur qui ne peut s'empêcher de jeter un oeil à la caméra qui arrive sur le groupe.

– Il est à noter que exactement à ce moment, on voit sur la gauche un personnage en chemise rayée, tenant un objet foncé à la main, qui semble être un téléphone portable, et qui se retire à l'approche du "cameraman".

– Puis, on voit sur la première vidéo le sang qui coule de manière abondante sur le visage de Néda. Comment se fait-il qu'une personne blessée à la poitrine, puisse avoir une telle hémorragie, très soudaine, au niveau du visage. Ça dégouline de partout. La blessure à la poitrine est décrite par le médecin (en fait éditeur aujourd'hui), dont je parlerai plus loin.
Bien que n'étant pas un spécialiste au niveau de la physiologie, je trouve cela très douteux. Cela accentue en tous cas le caractère dramatique de la vidéo. Il est à noter que le sang apparaît au moment où les personnes qui assistent Néda approchent les mains de son visage.

– Le visage de Néda. Il apparaît qu'un certain nombre de photos sont apparues, représentant Néda. Remarquant sur certains articles, "identifiée sur Facebook", j'ai essayé d'en savoir plus. Il apparaît que c'est un internaute qui a fait des recherches très rapidement qui aurait "trouvé" les premières photos sur Facebook. Le problème, c'est que ces premières photos publiées , celles de la femme au tchador, ne sont pas les bonnes. Celle-ci se prénomme bien Neda, mais n'a rien à voir avec cette affaire. Ses photos seront pourtant reprises par tous les médias, et bien sur, par des manifestants de Téhéran , ce qui pose question sur les vérifications que font les médias dans ce genre de situation. La photo sur mon montage en haut à gauche est de provenance indéfinie. Les photos avec des cheveux roux semblent provenir d'un voyage en Turquie qu'elle aurait fait récemment avec son fiancé, ce qui montre qu'elle s'était colorée les cheveux. Mais les sources sont bien difficiles à authentifier
Par rapport à ces photos, je trouve que la femme qu'on voit sur ces videos n'est pas très ressemblante. Elle me parait notamment avoir le visage plus mince que la "Neda" aux bonnes joues qu'on voit par ailleurs.

– Autre chose. Si les plans sont serrés, on peut dégager deux plans un peu plus élargis : le premier à 0.01 de la 1ère vidéo, le deuxième sur la première image de la deuxième vidéo. On remarquera qu'on ne reconnaît aucun personnage d'une image à l'autre, même pas par les habits, à part les trois protagonistes (Néda et les deux personnes agenouillées). Plus étrange, on s'aperçoit que la voiture blanche stationnée dans la rue adjacente le long d'une sorte de haie, tout à fait à gauche du premier plan (1ère vidéo), a disparu dans la deuxième vidéo. Ce qui suppose un certain temps entre les deux vidéos, ce que l'action filmée ne suggère absolument pas. D'un autre coté, l'arrière d'une voiture verte apparaît au-devant de la scène.

– Encore plus incompréhensible : Sur la deuxième vidéo, on voit clairement que le visage de "Neda" est nettement moins ensanglanté que sur la première . Alors que les vidéos devraient montrer le contraire et semblent clairement espacées, comme le montre le "plan élargi" de la deuxième vidéo (1ère image), où on n'aperçoit plus ni le personnage en blue-jean,chemise blanche qui vient s'accroupir, ni le 1er cameraman, qui contourne cet homme à la fin de sa vidéo.

En fait, il apparaît que deux scènes différentes ont été tournées à un intervalle conséquent, dans un contexte différent. Ce qui montre une manipulation qui n'a rien à voir avec une vidéo d'amateur prise naturellement.

La vidéo "Before".

Une troisième vidéo est apparue par la suite. Elle montre l'homme au "polo rayé" et une femme habillée de noir et portant un voile. Cette vidéo est prétendue avoir été prise un peu avant les deux autres.
On remarque que l'on ne voit quasiment jamais le visage de la jeune femme, qui reste toujours de dos et qui est voilée, sauf un très bref instant qui ne permet aucune identification. La seule chose qui permette de l'identifier est la présence à ses cotés de l'homme au polo rayé bleu et blanc, à la queue de cheval, bien reconnaissable, et qui parait être le deuxième homme agenouillé auprès de Néda, quoiqu'on voit très mal son visage sur les deux autres vidéos. Cet homme sera présenté plus tard comme étant son "prof de musique".
Cette vidéo ne prouve donc strictement rien.
Il est à noter qu'il est étrange (providentiel ?)que ce long plan soit sorti. On aurait pu s'attendre à trouver un bref passage montrant le couple sur une vidéo quelconque. Là, il s'agit d'un long plan où le cameraman filme on ne sait quoi, allant de gauche à droite et inversement, tout en paraissant suivre le couple à certains moments. Le couple ne parait pas savoir quoi faire, il est immobile, puis s'avance vers la droite, puis revient à gauche. Si j'étais mauvaise langue, je dirais qu'il attend que le cameraman ait fini sa prise de vue.

L'entourage.

Il est bien difficile de trouver des sources sûres concernant l'entourage de Néda. Après des recherches sur Internet, il est apparu que beaucoup d'éléments proviennent d'un unique article du Los Angeles Times, écrit par un de ses reporters à Téhéran, Borzou Daragahi . Celui-ci ne donne aucune indication sur ses sources, sur comment il a eu ses informations, qui il a rencontré ou pas. Il donne pleine page une fausse photo de Neda. Il cite plusieurs fois une certaine "Golshad" qui refuse que son vrai nom soit cité. C'est le seul article à ma connaissance qui cite des paroles du "prof de musique", qu'on voit sur les vidéos (polo rayé bleu et blanc). Le peu de paroles rapportées suggère un récit de seconde main. Par téléphone ? On sait que les correspondants occidentaux ont beaucoup de mal à se déplacer à Téhéran.
Énormément d'articles de presse et sur internet vont s'inspirer directement de cet article, qui ne cite pourtant aucune source, ne donne aucune précision, ni authentification. Y compris le Figaro qui donne un récit très similaire.
Un autre article, celui du Guardian , nous apprend en fait que les parents de Néda ont disparu, apparemment emmenés par la police, bien que cela n'ait pu être vérifié. La police serait arrivée dès qu'est apparu à leur domicile un ami de Neda. Elle serait ensuite restée sur place, empêchant tout contact avec la famille, avant que celle-ci ne disparaisse. Ceci contredit l'article du Los Angeles Times, qui parle d'une soirée de deuil où il y avait de nombreux amis. A noter que ce reportage est signé anonymement, "un correspondant à Téhéran".
Difficile d'y voir clair. Un article de CNN donne aussi des informations sur Neda, mais reste très évasif sur ses sources : "Bien des choses sur elle restent peu claires, mais voici ce que CNN a appris d'au moins une source".
Aucune information qui paraisse fiable, dans tout cela.

Le Fiancé.

Il apparaît que quelqu'un se présentant comme le fiancé de Néda, a contacté plusieurs agences de presse. Celui-ci serait journaliste-photographe à Téhéran.
Curieusement cet homme a donné deux versions différentes lors de deux premiers "contacts".
Dans le premier à la BBC Persian TV :
Son fiancé, Caspian Makan, a dit à la BBC Persian TV que la femme identifiée comme Neda Agha-Soltan a été prise accidentellement dans les manifestations. "Elle était à quelques rues d'où le gros des manifestants se trouvaient, pres du quartier d'Amir Abad . Elle était avec son professeur de musique, assise dans une voiture qui était prise dans des embouteillages," cite la BBC.
"Elle se sentait très fatiguée et avait très chaud. Elle est juste sortie de la voiture pour quelques minutes".

Je n'ai pu trouver aucune authentification de cette interview.
Makan donnera cette même version à AlJazeera , où il ajoute qu'elle a été tuée par des militants Basij. Sue cette vidéo, on entend sa voix, ce qui laisse supposer qu'il s'agissait d'un entretien par téléphone.

Dans le deuxième, à un reporter de l'Associated Press :
Makan dit qu'ils se sont disputés par rapport à sa décision(de Néda) de participer aux manifestations.

Il dit qu'il l'a priée de ne pas sortir à cause du risque d'être arrêtée ou touchée par une balle. "J'ai essayé de la dissuader d'aller dans les rues car j'ai constaté en tant que journaliste que, malheureusement, qu'il y avait  des agissements très durs" dit Makan.

"Mais elle a dit que notre présence en vaut la peine, même si une balle touche mon coeur" dit-il.

L'AP a été incapable de vérifier ses dires de façon indépendante à cause des restrictions. Mais Makan a produit des photos de lui avec une femme identifiée comme Soltan. Il prétend qu'ils se sont d'abord rencontrés à Izmir, sur la Méditérannée en Turquie, lors d'un voyage depuis Téhéran.

En fait, Makan a contacté Associated Press par téléphone. A-t-il envoyé les photos par e-mail ?

Là encore rien de fiable, avec des versions qui diffèrent. Personne ne semble avoir réellement rencontré ce Caspian Makan, qui a produit apparemment la grande majorité des photos de Néda.

Le Docteur / Éditeur.

Dans les vidéos, on voit un homme en chemise blanche agenouillé auprès de Néda. Il s'agirait d'Arash Hejazi, un Iranien d'origine qui vit maintenant en Angleterre. Après des études de Médecine, il s'est réorienté vers l'édition et la traduction. C'est le "médecin", celui agenouillé qui porte une chemise blanche, que l'on voit dans les vidéos. Sitôt revenu en Angleterre, il va voir la BBC pour donner une interview .

J'ai regardé attentivement celle-ci, et je trouve sa présentation des choses bourrée d'invraisemblances.

– Il affirme que Neda a été touchée par un tir de face. Néanmoins, il ne la voit pas au moment du tir, elle est derrière lui. Il demande à son ami si c'était le bruit d'une arme à feu, celui-ci lui répond que non. C'est alors qu'il se retourne et voit Neda par terre. Pourtant il affirme et répète qu'elle a été touchée par un tir venant d'en face.

– Il dit que le milicien Basidj se tenait sur une moto et a été arrêté par la foule, en donnant des détails. Comment peut-il décrire cela alors qu'il est penché sur Neda pour essayer de la soigner ?

– Les manifestants auraient pris les papiers de ce milicien. Pourtant jusqu'ici pas d'autre information là-dessus. On imagine que dans cette situation, la nouvelle se répandrait comme une traînée de poudre, et qu'elle parviendrait forcément à l'oreille d'un journaliste, ou sur un blog.
Comment des gens désarmés se sont-ils emparés d'un homme armé monté sur une moto, et alors que des policiers à moto qui viennent de charger sont forcément proches ? D'ailleurs, la zone dans la quelle est prétendument tournée la vidéo est loin de la manifestation principale. Tout cela est incompréhensible.

– Plus fort : Il n'y a pas la moindre image de ce milicien, alors que toute la scène avec Neda a été filmée deux fois. Dans un moment dramatique, les gens (dont un est un prétendu ami de Hajazi) filment Neda, mais ne prennent pas une image de son assassin ?

-Il parait que les manifestants ont laissé partir le tueur, "après lui avoir pris sa carte d'identité, où on voit que c'est bien un Basidj". Qui peut croire à cela ? Des manifestants remontés contre le pouvoir, qui se font bastonner tous les 4 matins, voient une jeune fille assassinée devant leurs yeux, saisissent le tueur, et le laissent partir ? Dans quel pays on peut voir cela ? En Iran, sur la BBC.

– Le médecin ne connaissait pas Neda et n'a pas échangé un mot avec elle. Il explique néanmoins qu'elle se battait pour la liberté, contre le régime et il veut qu'elle ne soit pas morte pour rien.

– Le "docteur" ne fait pas de politique. Pourtant il se livre à un long discours sur les manifestants désarmés qui manifestent en silence contre les méchants d'en face et qu'il n'a jamais vu "porter une arme".

– Cerise sur le gâteau : Une jeune femme est tuée, et la presse occidentale en fait immédiatement une héroine du mouvement.
Qui se trouve à ses cotés ? un médecin, qui va la secourir immédiatement. mais pas n'importe quel médecin. Un Iranien, mais qui vit en Angleterre depuis un certain temps, et qui se trouvait en Iran pour voyage d'affaires, en pleine crise électorale…
D'ailleurs il ne participait pas à la manif, il était à son bureau ("office") avec des amis, a entendu des bruits et est sorti "pour voir". Peu de temps après, il quitte l'Iran (par peur dit-il) et se précipite chez les journalistes pour clamer "c'est moi qui suis sur la vidéo !".

Combien de chances y a-t-il statistiquement pour que se trouve à coté de Neda, la "victime héroïque" du mouvement, un Iranien parlant anglais, médecin, en voyage temporaire, pro-manifestants(bien qu'il n'y participe pas) et ayant toute facilité pour revenir très vite faire son speech devant les caméras de la BBC ?
Mr Hejazi a donné une autre interview au Times, où il raconte quasiment la même chose. Son récit me parait rempli d"invraisemblances  et n'est pas crédible.

Non, docteur Hejazi, vous ne gagnerez pas la démocratie avec ce genre de manipulation.

La manipulation.

Ces vidéos apparaissent donc comme une tentative de manipulation.

Je ne me hasarderai pas à faire de longues hypothèses sur ce qui s'est passé. Je remarque que l'ambassadeur d'Iran au Mexique, Hassan Ghadiri, a déclaré que Neda a été tuée d'une balle dans la tête, par derrière, par une arme de "contrebande".

Il semblerait que des manipulateurs aient voulu faire de cette mort un symbole en tournant deux vidéos montées de toute pièce. Le but de ces vidéos, courtes, dramatiques, poignantes, était de provoquer une réaction émotionnelle, afin d'appuyer une propagande. On peut se poser la question de savoir pourquoi la presse a repris si vite et sans contrôle des informations si peu vérifiées.

Concernant, Internet, je pense que c'est une formidable ressource d'informations, à condition de vérifier et de croiser les sources, de faire preuve de bon sens et d'objectivité.

Ce qui ne semble pas avoir été le cas dans cette affaire.