Faut-il voir, entre les lignes des promesses, garanties, atermoiements, revirements, et finalement renonciations, qui ont balisé et ponctué la désormais non-participation du Musée d’Orsay aux manifestations du centenaire de la mort de l’écrivain (et critique d’art, et mécène) Octave Mirbeau, le muet veto du fort controversé conservateur du musée, Guy Cogeval ?

Que le musée – d’art pictural – de l’Orangerie ait organisé une exposition entièrement vouée à un écrivain, soit. Cette manifestation, Apollinaire, le regard du poète, qui s’achève après quatre mois dans quelques jours (le 18 juillet prochain) se justifiait, selon les propos de la conservatrice, Laurence des Cars, par le rôle de « grand découvreur de l’art de son temps » et « d’acteur central de la révolution esthétique » des premières décennies du siècle passé qu’était l’auteur des Onze Mille Verges et de Mirely et le petit trou pas cher.

Mais dans ce cas, comment ne pas qualifier Octave Mirbeau (†Paris, fév. 1917) d’identiques appréciations élogieuses ? Ce ne peut-être parce qu’il fut, comme Apollinaire, le créateur d’œuvres aux connotations érotiques, dont la plus célèbre reste sans doute, de par sa postérité (quatre adaptations cinématographiques, dont de Jean Renoir et Luis Buñuel), son Journal d’une femme de chambre ?

Mirbeau n’était pas seulement romancier, conteur, pamphlétaire, auteur de huit pièces et comédies. C’était aussi un critique d’art remarquable et sans doute mieux remarqué que ne le fut Apollinaire. Mais aussi et surtout, comme l’écrit Pierre Michel, président de la Société Octave Mirbeau, « le chantre attitré de Monet, Rodin, Vang Gogh, Cézanne, Pissarro, Camille Claudel, Maillol, Bonnard et Vallotton… ». Les points de suspension s’imposent car Mirbeau se prononça aussi sur Gauguin, Seurat, Signac ou encore Utrillo, et tant d’autres, qu’il contribua à lancer, épaula de son hospitalité et de ses deniers.

Mais il avait aussi la plume féroce. Non systématiquement, car il reconnaissait le talent d’un Gustave Caillebotte (†1894) qu’il appréciait sans pour autant adhérer à son approche artistique. Le cas Caillebotte est éclairant. Ce peintre légua 65 tableaux, mais l’Académie des Beaux-Arts s’offusqua que 27 soient dus à des peintres vivants (dont Cézanne, Degas, Manet, Monet, Renoir et Pissarro, et Berthe Morisot). Ils furent donc retournés aux héritiers, puis dispersés, les 38 admis entrant dans la collection du musée du Luxembourg. Mirbeau tempêta et même ridiculisa l’administration des Beaux-Arts.

Remarquons au passage que Les Raboteurs de parquet, de Caillebotte, fut refusé par le jury du Salon officiel de 1875, mais qu’il figure au musée d’Orsay (avec cinq autres de ses toiles et un pastel).

Des fin 2013, la Société Octave Mirbeau s’adressait au conservateur du musée d’Orsay, Guy Cogeval, en proposant l’organisation d’un « parcours Mirbeau ». Faute de réponse, une relance fut tentée en mai 2014. Elle resta elle aussi ignorée. Mais courant août 2015, le musée, si ce n’est son conservateur, commença à se déclarer intéressé. Tout semblait devoir aller pour le mieux en totales convergences de vues… Mais, fin juin dernier, tout est remis en question par le musée : plus de parcours thématique, de représentations théâtrales, ou même de conférences dans l’auditorium. Même pas de visite guidée, ce qui avait, pourtant, été tout naturellement, validé.

Les péripéties de cette mauvaise farce, et sa chronologie, sont consignées sous forme de lettre ouverte sur le site de la Société (entrée « Musée d’Orsay »). Consultez, c’est édifiant !

On ne peut qu’imaginer – et on voudrait croire, à tort – que le conservateur, Guy Cogeval, aurait pu (le conditionnel s’impose) balayer d’un revers de main le travail conjoint de ses équipes et de la Société. Pourquoi ? Par tocade, ou crasse ignorance, dédain, ou sentiment qu’un Mirbeau reste un personnage plus sulfureux qu’un Georges Darien (Le Voleur, Biribi, Bas les cœurs !..), ou encore un Genet, ou tant d’autres auteurs et intellectuels de « mauvais genre ». Est-ce la marque d’une morgue élitaire déplacée et surtout méprisante ?

Si Guy Cogeval manquait de références pour se convaincre de l’opportunité d’associer le musée aux manifestations du centenaire, il lui suffisait de consulter, en ligne, la section des noms propres du Dictionnaire Octave Mirbeau (paru aux éditions L’Âge d’homme, 1 500 entrées ; une cinquantaine pour les patronymes A et B, puis j’ai cessé de compter jusqu’au dernier, Zola). C’est en accès libre, et la référence absolue pour mieux comprendre les relations de Mirbeau avec des artistes (ou d’autres critiques, comme Apollinaire, qui admirait Mirbeau, qu’il tenait pour « seul prophète de ce temps », ou Baudelaire, dont Mirbeau rejoignit le Comité d’honneur se vouant à lui dresser un monument).

Alain (Georges) Leduc, romancier et critique d’art, auteur du dictionnaire Les Mots de la peinture (Belin éd.), seconde Pierre Michel au sein de la Société Octave Mirbeau. Il mènera campagne pour faire fléchir la direction du musée. Une pétition sera aussi lancée sur Change.org.

Immensément célèbre de son vivant, Mirbeau s’est retrouvé en quelque sorte ostracisé, car estimé trop nihiliste, pacifiste, athée, anticolonialiste, antiraciste, érotomane, trop proche des préoccupations du petit peuple, méprisant envers les castes politiques et possédantes (il prônait d’ailleurs l’abstention aux élections).

Cela lui valut une postérité toute relative : il disparaît peu à peu des manuels scolaires, les rééditions de ses textes politiques et sociaux se raréfient (dernières en date, en 2011, La Grève des électeurs et Interpellations), et La Pléiade l’ignore encore superbement. Jules Vallès, oui, à la rigueur, dans un petit coin, au détour d’un paragraphe, mais Mirbeau, depuis les années 1980, semble traité – hormis en quelques cercles universitaires ou érudits – en paria.

Il s’était montré, à l’égard de la presse vénale, encore plus caustique que le Balzac de la Nomenclature. On lui doit aussi des diatribes implacables contre les œuvres dites à présent humanitaires (de « juteux placements de fonds »).

Dans ces conditions, difficile de trouver des partenaires financiers, des marques désireuses de s’associer à des manifestations lui étant dédiées. La page des partenaires du musée (sur le site) est éloquente : hormis Ulule, peut-être, ou encore Télérama, du bout d’un doigt ganté sortant d’un bénitier, qui se commettrait avec Mirbeau ?

Serait-ce là le vrai fond du problème ? Dans ce cas, avoir au moins le courage de l’écrire, dès les premières prises de contact, et sans laisser germer puis croître des espoirs illusoires longtemps entretenus, était la seule attitude, mettons, « digne », ou plus prosaïquement, courtoise.

Pour la Société, la déception est « immense et cruelle ». Elle est très largement partagée.