D’une certaine manière, Mediapart a coupé l’herbe sous les pieds des services fiscaux et des magistrats avec l’affaire Cahuzac. Ce n’est pas un reproche (mes nombreux articles antérieurs l’attestent), mais une simple « accroche ». On peut cependant le voir ainsi, comme il peut en être de toute révélation dans la presse pouvant avoir des suites réglementaires ou judiciaires. Là, en donnant (à sa demande ou suggestion indirecte ?) la parole à Pierre Moscovi, ce jour, alors qu’il doit être auditionné mercredi par la commission des Finances à l’Assemblée, c’est plus net : quelles autres questions vont donc pouvoir poser des députés au ministre ? J’en risquerai au moins une…
Désolé, mais la solidarité gouvernementale ne se limite pas aux seuls membres d’un même gouvernement. La preuve en est que, sauf rarissimes exceptions, les dépenses (et dettes) engagées par les précédents gouvernements sont honorées par les suivants : les prédécesseurs engagent l’État, les successeurs entérinent ou proposent de nouvelles lois modificatives.
Le groupe UDI a suggéré à l’Assemblée nationale de former une commission d’enquête sur l’action du gouvernement durant l’affaire Cahuzac. Elle remonte à quand, cette affaire ? Déjà à une vingtaine d’années. Il y a de possibles dissimulations fiscales, par exemple sur des revenus provenant d’interventions du chirurgien capilliculteur ou de son épouse réglées partiellement ou totalement en numéraire, il y a le volet Cahuzac conseil, peut-être d’autres… en sus de ceux mis au jour par Mediapart. Une telle commission, si elle se limitait à l’action du présent gouvernement, déshonorerait la représentation nationale.
Il y a surtout l’affirmation de Michel Gonelle selon laquelle un haut responsable des Douanes avait été mis officiellement au courant lors de l’année 2008. Ce fonctionnaire se refuse à infirmer ou confirmer publiquement et c’est pourquoi Pascal Mureau, du Courrier Picard, qui titrait le 5 dernier « Woerth-Cahuzac : des questions légitimes », ne révèle pas son identité (que d’autres journalistes connaissent).
Dans un long entretien avec Mediapart (accès payant), Pierre Moscovi s’étend sur les mesures qui avaient pu être prises et la genèse de la fameuse demande d’entraide administrative à la Suisse.
« Quand je lance cette convention d’entraide avec la Suisse, c’est parce que cela fait trop longtemps que la question est posée et est toujours sur la table. Il n’était pas logique de le faire avant : entre le 14 décembre et le 14 janvier, la direction des finances publiques a fait une demande à Jérôme Cahuzac sur d’éventuels comptes à l’étranger, demande à laquelle il n’a pas répondu. ».
Comprenez que dès le 14 décembre, passant outre les déclarations publiques réitérées de Jérôme Cahuzac, l’administration signifie à l’alors ministre du Budget qu’il doit s’expliquer, sur cette question et de nombreuses autres. On peut fort bien admettre que la réponse exigeait que l’expert-comptable du ministre se mobilise, que des points à éclaircir impliquent des recherches dans des archives, &c. Et puis, il y a la trêve des confiseurs. Mais il y a aussi quelques raisons techniques, côté Suisse, qui expliquent cette latence. Pierre Moscovici demandera à son homologue helvète, à deux reprises (21 et 25 janvier), d’accélérer les choses.
Dans le même temps, vingt années de documentations fiscales se rapportant à Jérôme Cahuzac sont transmises à la police et à la justice. Le 14 décembre 2012, il est demandé diverses choses à J. Cahuzac mais notamment des éléments sur d’éventuels « comptes bancaires ouverts, clos ou utilisés à l’étranger ». Le ministre du Budget se dérobe (il semble, selon des éléments antérieurs et étrangers aux propos du ministre des Finances lors de cet entretien, qu’un problème de domiciliation ait retardé l’acheminement de la demande), puis fait traîner, et arrive le moment où la Suisse est sollicitée. Elle répondra avec une rare « célérité » (relative aux demandes antérieures) le 31 janvier.
Mediapart ne relève pas la phrase clef de P. Moscovici : J. Cahuzac « n’avait plus de compte à l’UBS et l’avait sans doute transféré bien avant 2010 dans une autre banque ». Mais à l’époque, celle d’avant les aveux, Mediapart pensait, et publiait, qu’un transfert s’était produit en 2010. D’ailleurs, les interlocuteurs du ministre, Laurent Mauduit et Martine Orange, n’insistent pas trop fort sur ce point. Ce qui permet la réponse suivante : « je n’ignore pas que vous avez parlé ensuite de l’existence de MM. Dominique Reyl et Hervé Dreyfus, susceptibles d’avoir servi d’intermédiaires. ». Mais ce n’est qu’en février que la banque Reyl (le cabinet a obtenu sa licence bancaire) est véritablement pointée. Mais la demande d’entraide mentionne bien la qualité de J. Cahuzac en tant qu’ayant droit économique, « ce qui peut concerner des intermédiaires ».
Quant à la fuite sur la nature négative de la réponse, elle provient vraisemblablement d’un des avocats de l’intéressé, qui nie de plus belle. Pierre Moscovici ne prend pas le risque de lui répondre publiquement quelque chose du style « cause toujours et attendons la suite ».
La question qui fâche vraiment, c’est « le précédent gouvernement avait reçu un fichier de 3 000 noms en provenance de HSBC, qui étaient d’ailleurs 8 000 au départ… ». On pourrait d’ailleurs évoquer aussi la liste parvenu à l’HMRS, le fisc britannique. Mais il ne s’agit que de la liste dite Falciani (Hervé Falciani, toujours actuellement détenu en Espagne, sous le coup d’une demande d’extradition suisse, avait divulgué divers noms en sa possession dont ceux de Patrice de Maistre ou de l’ancien préfet Jean-Charles Marchiani, selon L’Express). Dès juillet 2008, Hervé Falciani contacte la direction nationale des enquêtes fiscales qui lui enverra courant décembre suivant un enquêteur pour le rencontrer. 4 725 évadés fiscaux français contacteront Bercy par la suite, rapatriant environ six milliards d’euros.
Selon Pierre Moscovici, il y aurait encore des choses à tirer de la fameuse liste. Mais il n’entre pas dans les détails et se préserve bien d’évoquer l’action de ses prédécesseurs, les négociations, les indulgences, voire les oublis purs et simples, les multiples arrangements avec tel(s) ou tel(les).
La suite de l’entretien porte sur les paradis fiscaux, les politiques européennes d’austérité, le fléchissement du pouvoir d’achat, la coopération européenne (mettons entre Nord et Sud, pour simplifier), &c. Avec cette conclusion, en matière politique budgétaire et de relance, « ouvrir les vannes avec des moyens que nous n’avons plus ou pas encore, cela ne servirait à rien, sauf à nous appauvrir ». Il serait ici hors-sujet d’évoquer ces autres questions (mais le reste de la presse a sans doute déjà largement « pompé » Mediapart).
On ne va pas refaire les actes I et II de l’affaire Cahuzac (le III risque de se dérouler en coulisses), ni abonder dans le sens de commentateurs qui ne veulent rien entendre de P. Moscovici ou même avancent que J. Cahuzac faisait chanter l’Élysée, Matignon, Bercy, &c.
Mais la question que pourraient poser les députés à Pierre Moscovici est la suivante : « êtes-vous favorable à une commission d’enquête sur l’ensemble des faits se rapportant au cas Cahuzac depuis au moins le premier signalement à l’administration, et quelles sanctions envisagerez-vous si des responsabilités se feraient jour, comme des révocations de fonctionnaires, ou la préconisation de l’inéligibilité de celles et ceux les ayant couvert ? ». Bref, Cahuzac était-il seul dans son cas, a-t-il été couvert, par qui, et quelles pourraient être les conséquences.
Incidemment, quel dédommagement pour l’ex-inspecteur Rémy Garnier ?
Là, en fonction des réponses, on verrait bien qui hurlera aux « procès de Moscou », à la terreur hollandaise, à l’urgence d’une guerre civile pour chasser les socialistes du pouvoir avant qu’ils puissent tenter un réel assainissement. Pour le moment, en matière de coup de balai, on n’entend que Mélenchon qui ne donne pas le détail des mesures qu’il voudrait voir appliquer à ses prédécesseurs, contemporains ou successeurs s’il parvenait à instaurer un autre type de pouvoir.
Autre question alors que vingt députés UMP ont préconisé une amnistie partielle généreuse pour les évadés fiscaux en pleine crise cahuzacienne, nos députés de la commission des Finances vont-ils oser poser ce type d’interrogation ? Ou demander le recrutement d’agents du fisc encore mieux formés à traquer les fraudeurs ?
Et puis, sérieusement, retournons le questionnement : a-t-il été demandé à Jérôme Cahuzac de nier farouchement et constamment jusqu’au plus tard possible ? Parce qu’au fond, s’il y a eu double jeu (on prend comme on veut le délai de [non-]réponse de l’intéressé à l’administration fiscale, soit en s’offusquant que François Hollande ait tant tardé, soit en admettant qu’il n’a pas été estimé utile de relancer tous les deux-trois jours…), autant l’exprimer clairement ainsi.
Jean-Pierre Raffarin se vante à présent d’avoir nommé un ministre ayant cinq ans d’arriérés d’impôts en le sommant de régler « tout de suite » sa situation. C’est cela même… D’un, on nomme un ministre ayant tenté d’échapper à l’impôt (au fait, il est toujours à l’UMP ou à l’UDI ? Vite, une commission d’enquête !), d’autre part, ce devait être sans doute un salarié qui a pu, du jour au lendemain, apporter cinq ans de fiches de paye à Bercy, signer son chèque, et aller à sa passation de pouvoirs ? On y croit très fort.
Autre question que pourraient poser les députés : « Jérôme Cahuzac a demandé l’avis d’un professeur de droit de sa connaissance pour faire admettre que, dans l’affaire de l’hippodrome de Compiègne, il n’était pas souhaitable que Bercy rouvre le dossier… Avez-vous, Monsieur le ministre, découvert ou étiez-vous mis au fait de la démarche, avez-vous approuvé la divulgation de ce singulier rapport ? ».
Autre question : « comme Monsieur Mélenchon, considérez-vous que devoir publier son patrimoine est, selon ses termes, intrinsèquement infamante, ou allez-vous préconiser le système suédois ? ».
Bon, que veut-on au juste ? Que Pierre Moscovici démissionne ? Remplacé par qui ? Éric Woerth ou son clone, un Pierre Mauroy qui avait dû affronter les attaques des marchés, Besancenot, qui ou quoi ?
Va-t-on aussi voir L. Mauduit et M. Orange taxés de complaisance à l’égard de P. Moscovici en oubliant totalement les cris d’orfraies que poussaient, essentiellement, les personnalités de droite accusant Mediapart de chasse à l’homme ?
En fait Mediapart va plus loin que la seule acceptation des explications du ministre. Le rapport Sauvé, remis le 26 janvier 2011, n’a jamais été appliqué. Celui de la commission Jospin sera-t-il aussi enterré ? Mediapart donne la parole à certaines ou divers participants, d’aucuns regrettant que soit déjà passé à la trappe le statut « permettant de protéger un citoyen qui dénoncerait un acte de corruption ». Ferdinand Mélin-Soucramanien évoque d’ailleurs Rémy Garnier. Dominique Rousseau mentionne Hervé Falciani. Julie Benetti rappelle que la déclaration d’intérêts de Jérôme Cahuzac aurait sans doute été expurgée (c’était déjà le cas, de fait) s’il avait dû déclarer l’ensemble de son patrimoine. Faut-il se contenter que Christiane Taubira n’intervienne pas dans les affaires judiciaires si celui ou celle qui la remplacera n’aura pourtant pas à faire avec un parquet indépendant ? D’ailleurs faut-il un ministère de la Justice ayant des prérogatives autres que la supervision de l’administration pénitentiaire ?
J. Cahuzac n’était passé ni par Sciences Politiques, ni par Polytechnique, l’Ena ou HEC. Mais il avait fort bien intégré les règles du moule et le fonctionnement.
Pierre Moscovici sera auditionné, mais à huis-clos, par la commission des Finances. Pourra-t-on au moins savoir quelles questions lui seront posées ? Parce que, à vouloir brocarder la présumée quête de transparence de François Hollande, les représentants du peuple, élus de la Nation, pourraient commencer par eux-mêmes.
[b]Le vrai problème c’est qu’il se tiennent les uns les autres par les c… heu, barbichettes ![/b]
Je viens de prendre le temps de lire en entier, et d’assimiler, les différents problèmes posés par cette transparence nébuleuse (pléonasme).
Comme le dit Zelectron, Dans ce domaine particulier qu’est LE FRIC, « ya plus de Parti, ni d’opposition.
Ils savent TOUS qu’ils sont plus ou moins mouillés dans ces affaires.
Alors fermons la page de ce déballage, qui ressemble fort à un acte de DISTRACTIONN, du peuple citoyen, quand on sait que Hollande n’a pas réussi à convaincre Merkell (hier), de renoncer à la récession au profit de la compétitivité.