« L’écoute est celle du non-savoir. »

Dethy M. Introduction à la psychanalyse de Lacan.

J’ai été stagiaire pendant plusieurs mois dans une structure psychiatrique : Le Foyer. Travaillant de journée ou de soirée, j’ai du m’adapter à ce Foyer où des personnes sortant d’hôpital psychiatrique venaient pendant quelques temps se poser avant le retour dans la société.

Tout d’abord, cela fut très difficile de « me plonger » dans cette psychologie sans en avoir eu aucune connaissance auparavant.

« Mais en plein Quartier Latin, j’étais comme un voyageur égaré, dans une terre lointaine, où se parlerait une langue radicalement étrangère dont il n’y aurait ni grammaire ni lexique. »

François G, L’effet ‘yau de poêle de Lacan et des lacaniens

Ce que je vais présenter ici, c’est ce que j’ai compris de la clinique du Foyer grâce aux différents séminaires et à des entretiens avec des membres de l’équipe. Je vais donc expliquer d’après mon expérience et en fonction de ma compréhension.

Une grande importance est donnée au Foyer à la différence entre un sujet psychotique et un sujet diagnostiqué névrotique. Ce diagnostic va permettre de mieux comprendre la parole du sujet et ainsi de mieux l’accompagner dans sa maladie. En effet, l’enjeu est différent quand on travaille avec un psychotique ou avec un névrotique et donc la façon de travailler aussi.

Le Foyer s’inspire beaucoup des œuvres de Jacques Lacan.

« Il n’y a pour Lacan qu’une seule réalité : celle du malade. L’expression se fait par la voie du langage. »

Dethy M, Introduction à la psychanalyse de Lacan

L’écoute et l’analyse du langage sont la base même de la clinique de Lacan. Les lapsus, déformations de mots, mots ou phrases à double sens représentent l’inconscient du Sujet.

« Le langage est, dans ses sous-entendus, ses lapsus, ses erreurs et ses errances, l’expression de la réalité du sujet. »

Il n’y a pas de soignants, ni de soignés au foyer, mais l’accompagnement de personnes possédant un savoir différent du notre. Le personnel ne possède pas le savoir tout puissant.

« L’écoute de l’analyste demande du renoncement. Renoncement aux manipulations, à la reconnaissance, à l’endoctrinement, à l’intellectualisme, et à la valorisation personnelle. »

 

  1. La psychose :

Voici donc les caractéristiques du psychotique selon cette clinique :

Le psychotique est dans une situation de fusion, d’aliénation avec quelqu’un d’autre : l’Autre.

« Autre : ‘grand autre » : plusieurs sens en fonction de ce qu’il désigne dans une phrase : toute puissance de la loi, l’analyste, le père admiré, une force supérieure imaginaire ou Dieu. Aussi la culture du sujet et son inconscient. »

L’Autre est différent suivant le sujet, c’est vraiment un travail au cas par cas qui doit s’accomplir.

« Imaginaire et réel se fondent partiellement, la fusion complète amène à la psychose. »

–         L’Autre réel :

L’Autre peut se présenter sous différentes formes : il peut tout d’abord être parent, et c’est le cas le plus fréquent : la mère, le père, la grand-mère, le grand-père. Dans ces cas, l’Autre est réel.

–         L’Autre hallucinatoire :

Par contre, certains sujets psychotiques ont un Autre qui n’est pas réel pour nous, mais bien pour lui. Cet Autre lui dicte ses actions, lui ordonne bien souvent de vilaines choses qui amènent le sujet à être interné. C’est le cas du psychotique ayant des hallucinations visuelles et auditives.

Un exemple que j’ai connu au Foyer est celui d’une résidente à laquelle son Autre disait de se jeter dans l’escalier. Elle avait été internée à l’époque car cet Autre lui avait dit de se déshabiller et d’aller dans la rue comme ceci. Ce genre de problème est difficile à résoudre, la personne se sentant tellement démunie face à de telles injonctions.

Parfois, l’équipe emploie une méthode de travail avec les voix, par exemple, lorsque les voix sortent du lavabo, faire couler l’eau et boucher le lavabo, ou aussi écrire un mot ordonnant aux voix de laisser la résidente tranquille et mettre ce mot dans sa poche. Cela pourrait paraitre ridicule ou enfantin pour certains, mais l’important est que cela soulage la personne et puisse éviter qu’elle passe à l’acte.

Que cette patiente vienne régulièrement dire à l’équipe ce que lui disent ses voix est la preuve d’un travail. Travail encore plus élaboré quand cette patiente vient nous dire qu’elle s’est aperçue que « les voix se sont trompées », ou que « les voix, c’est elle ». Ceci prouve qu’elle analyse le contenu et ne se contente pas d’agir comme auparavant, de subir.

 

–         L’Autre langagier :

« Le langage de l’homme, cet instrument de son mensonge, est traversé de part en part par le problème de sa vérité. »

Il peut aussi être l’Autre langagier. Ici est mise en avant l’importance du langage chez l’Homme. Même avant sa naissance, le langage est important pour le bébé. Le fait que ses parents parlent de lui, lui parlent, fait qu’il existe déjà. Ca lui permet d’être une personne avant d’être un Homme.

L’exemple de la mère enceinte faisant totale abstraction du bébé, alors que son ventre s’arrondit, peut, selon Lacan, faire que le bébé démarre déjà la vie avec une chance en moins et la perspective de la psychose.

Tout comme après sa naissance, parler à son bébé, même si celui-ci ne sait pas encore répondre, lui permet de se sentir existant, aimé, et lui permet entre autre de former son langage. Mais il ne faut pas aller dans l’excès, comme ces mères faisant de leur petit leur objet, devançant toutes ses demandes : le bébé a son biberon car c’est l’heure, alors qu’il ne réclame rien.

Un exemple flagrant que le Foyer a connu est celui d’une femme venant en candidature car elle avait été internée suite à une tentative de suicide. Mais dans cette tentative, elle avait inclus ses jeunes enfants. Aux questions du staff sur la raison d’un tel acte, elle répondait : « Je les ai faits, ils sont à moi. Je peux donc les tuer. ». Dans ce cas, l’enfant n’est pas une personne à part entière, il est en fusion avec sa mère.

«Il est tout à fait clair que le symptôme se résout tout entier dans une analyse du langage, parce qu’il est lui-même structuré comme un langage dont la parole doit être délivrée.

–         Le traitement :

Tout le travail que doit faire le psychotique est d’établir une distance entre lui et cet Autre.

« (…) créer les conditions pour que le sujet rencontre comme venant du dehors, étranger à lui-même, la chose la plus intime de son être. »

Nasio J-D Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan

Venir au Foyer est le début d’une mise à distance. C’est unemise à distance dans le réel qu’effectue le sujet mais qui peut lui permettre d’effectuer une mise à distance symbolique. Cette mise à distance doit permettre au sujet de se trouver une identité, de devenir une personne, un sujet à part entière. Tout ce processus peut être appelé le traitement.

Le sujet effectue lui-même ce traitement, et l’équipe est là pour accompagner le sujet dans le traitement de son Autre, pour reconnaitre son travail. Pour cela, on doit écouter son discours.

Puis, la vie au Foyer permet de se forger une identité, de par les nombreuses possibilités offertes de faire ces choix. En Réunion Communautaire, le résident à la possibilité de dire « oui » ou « non » à des activités, de les proposer. Et même après cela, il peut se rétracter au dernier moment. Il peut même aller jusqu’à choisir ses menus (groupe menu), ses partenaires de chambres. Ce travail d’apprentissage au choix est difficile pour le psychotique car il n’y est pas habitué. C’est bien différent de la vie avec son Autre où tout choix est déjà fait.

La mise en discours fait aussi partie du travail du sujet psychotique, comme névrotique d’ailleurs. Ce travail, s’il aboutit, peut permettre au sujet d’aller vers le lien social. L’équipe du Foyer a donc comme fonction d’accompagner, préserver et entretenir le désir du traitement.

« Notre rôle de soignants psychiques est différents : il est de reconnaitre l’existence et la légitimité de la souffrance psychique vécue par le sujet, et d’aider celui-ci à la vivre. »

Sassolas M Les soins psychiques confrontés aux ruptures du lien social.

  1. Névrose :

En ce qui concerne le névrotique, cela est différent, on pourrait presque dire opposé. Le névrotique a bien réussi sa mise à distance de l’Autre, mais plutôt que rechercher comme le psychotique de se séparer de l’Autre, il recherche l’Autre, recherche la fusion avec l’Autre ?

« L’amour est merveilleux à condition qu’il ne soit pas névrotique, c’est-à-dire dirigé vers la recherche de l’être suprême. »

Dethy M Introduction à la psychanalyse de Lacan

C’est souvent une forme de demande d’amour très forte et trop exagérée pour pouvoir aboutir.

« Le névrosé subit l’amour, il l’exige, il ne s’y implique pas. »

Le Sujet se voit dans l’autre, s’y reconnait.

« L’agressivité doit s’exprimer car c’est elle qui est à la base de la névrose en tant qu’elle est contenue. Sans pour autant contredire cette affirmation, l’agressivité débordante ne peut pas être acceptée en tant qu’elle est asociale. »

« La névrose est engendrée par deux extrêmes : l’excès de ‘ bien’ et l’excès de ‘mal’ »

  1. Exemples :

Voici un exemple de travail, de « bricolage », comme il est dit au Foyer :

X, psychotiques, séjourne au Foyer, mais cette mise à distance dans le réel de sa mère, son Autre est trop difficile à accepter encore pour lui. Il demande donc son préavis de 15 jours, et cela, tous les 15 jours, ce que l’équipe lui accorde. Ceci est une forme de « bricolage », puisque ça permet à X d’être et de ne pas être au Foyer, donc de ne pas être mis réellement à distance de l’Autre, et aussi de ne pas être chez l’Autre, chez sa mère qui l’appelle à lui. Il opère un travail de retour et de distance à l’Autre à la fois. Seul ce bricolage de préavis permet de survivre à l’idée d’être séparé de son Autre.

Voici un deuxième « bricolage » utilisé lorsque la personne veut retourner à l’hôpital à la moindre déstabilisation.

Le Foyer met en place ce qu’il nomme « hospitalisation à domicile ». Cela a été appliqué lors de mon stage pour une patiente souffrant d’anorexie. Elle pouvait rester dans sa chambre toute la journée, ses repas et médicaments lui étaient apportés chaque jour. Cela eut un effet positif sur elle, son état s’améliora au bout de quelques jours.

Dès le premier jour, elle descendait à la salle à manger beaucoup plus souvent, sortit même certains soirs avec d’autres résidentes et ses plateaux redescendaient vides. Cette permission de rester dans sa chambre eut l’effet contraire chez cette résidente qui passait peu de temps dans la communauté en temps ordinaire.

 

L’approche clinique des textes de Lacan, demande une écoute sincère du résident, un respect profond de sa personne, une aide et un accompagnement faisant abstraction des « délires », et mettant en premier plan une souffrance à soulager.

Comme je l’ai entendu souvent lors de mon stage, travailler dans une telle structure, c’est être à l’école du quotidien : il n’y a pas de savoir et de personnes possédant un savoir sur les personnes résidentes.

Etre à l’école du quotidien signifie pour moi que chaque résident est différent : c’est une personne particulière qui va transmettre son savoir. Ce savoir va permettre de travailler avec elle, va guider dans l’accompagnement.

Etre à l’écoute de la personne est donc indispensable.

Enfin, je voudrais faire part d’une phrase de Nasio, qui reste ouverte à la réflexion : « Pour que votre patient soit un jour délivré de sa souffrance ne cherchez pas à l’en délivrer, et restez ouvert à la surprise. »