Mieux que l’affaire Cahuzac : l’ancien garde belge des sceaux conseille des mafieux

D’où venait l’argent planqué de Jérôme Cahuzac ? Sans doute d’interventions de capilliculture rétribuées en liquidités et de conseils prodigués aux laboratoires pharmaceutiques pour assouplir les réglementations. C’était probablement connu de Bercy dès 2008. Et toléré. Pourquoi ? Le pantouflage généralisé, les allers-retours entre fonctions publiques et entreprises privées l’expliquent. Exemple encore plus flagrant en Belgique avec un ex-ministre de la Justice, passé sénateur puis conseiller fiscal et administrateur d’une société sulfureuse. Par sa quatrième édition, Marianne Belgique, version (peu) déclinée de l’hebdo français Marianne, fait très fort… 

Le Cahuzac belge (ou plutôt l’un des…) se nomme Marc Verwilghen, ancien garde des Sceaux, puis sénateur, et enfin, entre autres, administrateur de la luxembourgeoise General Medditerranean Holding (GMH). Un conglomérat chapeautant 8 000 employés répartis dans 120 sociétés et brassant (voire blanchissant) quelque 150 millions d’euros annuellement.

Marianne Belgique, qui s’orne d’un bandeau aux couleurs du royaume et de la devise « Indépendance, Intelligence, Irrévérence », fait très fort pour sa quatrième parution ce samedi (cette version belge, reprenant très peu les contenus franco-français, a été lancée le 9 mars dernier).

Remarquez qu’en France, nous avions eu Albin Chalandon (affaires des chalandonettes sous de Gaulle, des avions renifleurs sous Giscard, des prisons privées et des bijoutiers Chaumet par la suite), mentor de Rachida Dati. Lui aussi fut garde des Sceaux. En Belgique, fréquentait-il Marc Verwilghen, qui fut ministre de la Justice de 1999 à 2003 avant de retrouver des portefeuilles (Coopération au développement, Économie, Énergie, Commerce extérieur) jusqu’en 2007 avant de retrouver un siège de sénateur (jusqu’en 2010) ? Peut-être en qualité de dirigeant d’Elf (entre 1977 et 1983), allez savoir… Mais cela semble douteux, Verwilghen n’étant alors que simple conseiller municipal de Termonde.

Il y a pourtant un lien (vraiment) ténu entre les deux hommes, indirect. GMH, c’est aussi le financier irakien Nadhmi Auchi, condamné avec sursis par le TGI de Paris en 2003 (puis 2005 et 2007) dans le dossier Elf des raffineries espagnoles. Mais nous  constatons bien une similitude : deux anciens ministres de la Justice passant du public au privé (et retour, pour Albin Chalandon).

Certes, Verwilghen devait superviser de très haut. Donc n’être pas forcément au courant de l’affaire Meat and Food Intl, filiale GMH, abattoir halal servant de faux-nez, selon les services belges, à des réseaux terroristes islamistes. Verwilghen doit découvrir, tout comme il n’a découvert que la semaine dernière la condamnation de Nadhmi Auchi en France…

Verwilghen n’apprécie pas trop les Offshore Leaks, ni le journalisme d’investigation. Il a déclaré avoir peu d’estime pour la profession en général, « et certainement pas pour le type de journalisme que vous pratiquez ». Qu’il se rassure, c’est réciproque.

Compagnon de Saddam Hussein dès 1959, Nadhmi Auchi fut intermédiaire dans une vente d’armes italiennes à l’Irak en 1980, dans une fraude sur des licences GSM voici une dizaine d’années, &c. Il sait fort s’entourer.

Marianne Belgique pointe aussi le passé de la holding GMH qui, entre 1982 et 1994 (quand Verwilghen n’était qu’un simple député du parti flamand OpenVLD), « détenait 40% de la Banque Continentale du Luxembourg, laquelle a abrité les comptes de dictateurs notoires (Mobutu, Kadhafi, Saddam Hussein, Bokassa, etc.) et des comptes qui ont financé la tristement célèbre Radio Mille Collines, qui a joué un rôle clé dans le génocide rwandais… ».

Marianne Belgique colle à l’ancien homme politique un dossier de cinq pages. Contrairement avec ce qui s’est produit en France avec l’affaire Cahuzac et Mediapart, la presse belge en rajoute dans les détails.

La Libre Belgique, qui narre comment rapatrier des avoirs au Luxembourg vers un contrat d’assurance-vie en Belgique suffisait à pour être « au bleu » avec le fisc belge (la mesure vient d’être changée pour la déclaration d’impôts 2013, puis donnera lieu à des contrôles serrés et sans possibilité de prescription), s’intéresse aussi au bras droit d’Auchi, Nasir Abid, et à une autre sénatrice belge, Christine Defraigne. Cette dernière est du parti MR, mais, comme en France, entre l’UMP de Woerth et le PS de Cahuzac, l’étanchéité n’est pas toujours assurée.

L’agence Belga et la RTBF indiquent que l’ex-vice-président du Sénat belge est entré administrateur de GMH le 11 juin 2010, après avoir reçu Nadhmi Auchi au Sénat en compagnie de Christine Defraigne.

À l’hebdomadaire Moustique, fin 2011, Verwilghen indiquait n’avoir plus de rôle politique depuis 2008 et se satisfaire pleinement de son retour à sa profession d’avocat. Il confiait avoir reçu ce conseil d’un prédécesseur en politique : « n’entre pas dans un gouvernement, parce qu’ils te le feront payer ». Il ajoutait : « Il avait vu juste ». C’est peu dire.

Finalement, au cours des Trente Glorieuses, et tant que crise et austérité ne les avaient pas laminés, Français et Belges se sont plus ou moins accommodés des incartades des politiques. Ils ont parfois de bonnes idées : alors qu’il venait, selon ses dires, de quitter la politique, Verwilghen déclarait à 7 sur 7 qu’il fallait « à terme, supprimer complètement le Sénat ». Le Sénat lui a pourtant bien servi. Une chambre unique lui suffirait à présent. C’est vrai que c’est plus facile pour un groupe de pression d’avoir moins d’interlocuteurs.

L’ancien ministre est aussi administrateur de la société MBZ (Maatschappij van de Brugse Zeevartinrichtingen) liée au port de Zeebrugge, ou Société brugeoise des aménagements de la navigation.

En 2005, il postulait le commissariat aux droits de l’Homme au Conseil de l’Europe. La Ligue belge des droits de l’Homme s’y était opposée.
Classé deuxième homme politique belge le plus populaire par la Fédération des entreprises de Belgique, il avait aussi une bonne cote générale dans l’opinion belge en raison de l’affaire Dutroux (pédophilie) qui l’avait mis sur le devant de la scène.

En avril 2011, il avait été mis en cause par l’économiste Rudy Aernoudt qui, dans Le Soir et De Staandard, l’accusait d’avoir, quand il était ministre de l’Économie, attribué beaucoup de contrats à des avocats lui étant proches. Rudy Aernoudt avait été blanchi en appel des faits de calomnie et diffamation, mais l’ex-ministre s’était pourvu en cassation.  

Le fisc belge va-t-il a présent diligenter une enquête visant l’ancien ministre ? Demander l’assistance de la justice luxembourgeoise ? Affaire à suivre…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Mieux que l’affaire Cahuzac : l’ancien garde belge des sceaux conseille des mafieux »

  1. Tiens, depuis que Jérôme Cahuzac a avoué, la presse se réveille. Et reprend le Tages Anzeiger de Zurich qui affirme que l’ex-ministre du Budget français avait produit une déclaration fiscale falsifiée à la filiale de Singapour de la banque suisse Julius Bauer. C’était en 2009. Cette fois, les faits ne sont pas prescrits. À l’époque, Cahuzac déclarait que la totalité des 600 000 euros provenaient de son activité d’artiste capilliculteur et que la somme avait été déclarée au fisc français.
    C’est un peu comme les déclarations sur l’honneur d’intérêts et de patrimoine. La banque, ou les chambres se couvrent, et laissent faire.
    C’est peut-être Reyl et Cie, dirigée par Dominique Reyl, demi-frère d’Hervé Dreyfus, qui a conseillé de faire cette fausse déclaration.

    Hervé Dreyfus fut aussi conseiller patrimonial d’un certain Nicolas Sarkozy.

    [i]Libération[/i] titre à présent : « La droite était au courant du compte Cahuzac ». On s’en doutait un peu quand même.
    [i]La Croix[/i] et Antoine Peillon révèlent que la DCRI en savait beaucoup sur l’UBS mais qu’elle aurait pu recevoir des consignes.
    Des officiers de police dénoncent : « [i]la presque totalité des cadres de la DCRI et de ces autres services de police ou de renseignement, toujours en responsabilité, sont ceux qui ont servi avec zèle le président de la République précédent[/i] ».

    Bref, audition de Guéant à venir ? De Sarkozy ?

Les commentaires sont fermés.