Second article de Mediapart (cette fois de Stéphane Alliès et Louise Fessard) sur les grands meetings de Jean-Luc Mélenchon, avec un parti pris, soit un angle : « interroger les personnes qui ne portaient pas d’autocollants ou de drapeaux marquant leur appartenance » (au PCF ou à l’une des composantes du Front de Gauche). Et second titre évoquant la tentation du vote « utile » (pour Hollande) auquel les séduits par le Front de Gauche ne renoncent pas forcément. De quoi s’attirer une déferlante de commentaires ironiques ou féroces de la part des partisans de Mélenchon… et une critique de la ligne rédactionnelle du support.

Les enquêtes de terrain ne valent pas forcément sondage sérieux (si, cela avait existé) mais les constats des deux journalistes de Mediapart rejoignent mes propres observations : beaucoup des participants (combien ? là, c’est impossible à estimer) aux grands rassemblements de Jean-Luc Mélenchon vont nonobstant voter Hollande dès le premier tour. Est-il iconoclaste de l’énoncer ?
Certes non. En attirant l’attention sur le phénomène, notamment dans la titraille, est-ce cirer davantage la planche du vote Front de Gauche ? Voilà qui se discute et fut, est, sera très discuté.

Pour le Figaro, c’est très net. En témoignait cette une mettant fortement en valeur le meeting de Sarkozy à la Concorde et signalant en tout petit que Hollande en tenait un autre aussi ce dimanche. Pour Libération, c’est à peine plus mitigé : Hollande est fortement mis en avant, mais comme pour Marianne, Mélenchon est loin d’être négligé.

En revanche, dans les commentaires, on retrouve le même cirage de pompes du chef de file charismatique que sur son blogue, de plus en plus fréquenté. Pratiquement plus de place pour la nuance, l’hésitation, ou la critique, même amicale. Mélenchon ne peut être que plébiscité, tout ce qui pourrait lui faire de l’ombre doit être ignoré. 

Constat utile 

Dernière rencontre utile en date pour ma part. Une artiste, petite quarantaine, ayant toujours voté à gauche ou à la gauche de la gauche, et Royal aux dernières, qui votera… Bayrou. Non pas que sa situation personnelle se soit fortement améliorée au cours des deux dernières décennies, non pour des raisons liées à la fiscalité. Elle apprécie fortement Mélenchon, moins Hollande, mais estime qu’une période de rigueur et de redressement des finances est incontournable. Je ne serais pas surpris que cette Parisienne ait fait un tour par la Bastille pour applaudir Mélenchon à tout rompre.

Aux militants du Front de Gauche de la convaincre. Mais rapporter ce fait, qui n’est pas si insolite, n’est pas « casser » du Mélenchon. C’est un constat parmi d’autres. Celui qu’ont choisi de mettre en exergue deux journalistes de terrain de Mediapart en s’intéressant davantage à ceux qui doutent de celui pour qui ils sont fortement tentés de voter…

N’y voyez pas qu’un phénomène de grégarité. Oui, j’ai apprécié ces reportages de Mediapart, je trouve que c’est du bon boulot. Reflètent-ils la ligne rédactionnelle de Mediapart ? Pas forcément. Mais tant bien même !

Que veut-on au juste ? L’évitement systématique qui est celui de la majeure partie de la presse quotidienne régionale, ce qui n’empêche pas l’éditorial quelque peu insidieux favorisant sans trop l’énoncer un candidat, un parti, ou une ligne de conduite ? Une presse d’opinion qui sait quand même ménager la chèvre et le chou, les diverses composantes de son lectorat, ce que fait Marianne, plus ou moins bien, dans le camp des antisarkozystes ? Ne lire ou presque que ce qui vous conforte dans vos sentiments (ou préjugés) ?

Pas de ligne ? Illusoire…

Edwy Plenel ne s’est pas vraiment vu contraint, mais à choisi, à la suite de ces reportages, d’énoncer qu’il n’y aurait pas de ligne rédactionnelle à Mediapart prônant le vote utile, soit Hollande.
C’est sans doute vrai et faux à la fois. Dans diverses petites (par le nombre) rédactions, la ligne est floue : on écoute celui qui a de vrais arguments, on laisse enquêter et paraître, même si chacun peut diverger sur l’appréciation de l’auteure ou de l’enquêteur.

S’il y a une ligne qui devrait guider intimement chacun, ce serait celle du doute, de ses propres convictions, de ses quasi-certitudes, et de savoir en faire part. Ce qui peut décontenancer autant le récepteur que l’émetteur. Et alors ?

Il faut aussi concevoir qu’un titre ne s’apprécie pas que sur le mode d’un arrêt sur image ou paragraphe. C’est un continuum, une mouvance, fluctuante, et il faut prendre en compte que la ligne, résultante d’un collectif qui ne se concerte pas forcément à chaque étape, à chaque instant, peut être sinueuse.

Ensuite, c’est vraiment exiger d’un seul titre l’impossible que de vouloir lui imposer de dispenser de consulter tous les autres, y compris bien évidemment ceux développant des opinions contraires. L’oublierait-on ? La pluralité de la presse est une nécessité. De plus, bien sûr, elle déforme, la presse, lorsqu’elle choisit un angle et un instantané.
Il me semble bien que ce soit dans Mediapart que j’ai pu lire qu’au meeting lillois de Hollande, il se trouvait aussi dans la salle des sympathisants du PS qui allaient voter Mélenchon. Et si ce n’est dans Mediapart, eh bien, tant pis, tant mieux, on ne peut être partout à la fois. Mais je l’ai lu…

Il y a comme une inconvenance à reprocher à deux journalistes, le temps d’un meeting, de n’avoir pas, comme le fait une commentatrice « interroger des centaines d’autres » pour « bien faire son métier ».  Mais faites-le donc et revenez commenter.

Car la différence à présent, c’est que vous pouvez le faire beaucoup plus librement qu’au temps où on devait tenter de sélectionner un courrier des lecteurs pertinent. Lourde tâche. 

À l’impossible…

Un commentateur a relevé à juste titre qu’il avait interrogé huit personnes lors du meeting de Marseille, dont trois seront primo-votants (sur le tôt ou le tard, on ne sait), deux ayant voté déjà à droite, trois fidèles électeurs du PS, qui toutes et tous vont voter Mélenchon.
« Puis-je prétendre que de ce fait Mélenchon va passer au premier tour ? », résume-t-il en substance. Bien sûr que non, admet-il. Pourquoi ne pas admettre aussi que les reporters de Mediapart n’ont jamais tiré de conclusion : un certain nombre de participants voteront Hollande, ils n’en font pas une majorité de l’assistance. 

Après une vingtaine d’heures, ce reportage a suscité plus de 500 commentaires. Je mets au défi quiconque d’en tirer une synthèse tenant la route. Une longue analyse, oui, peut-être. Mais le lectorat – habitué pour nous-mêmes, émetteurs –, à recevoir des synthèses quelque peu forcées, s’attendrait à un résumé dégageant une tendance, la plus nette possible, le dispensant de la lecture. Ce n’est pas raisonnable, cette synthèse serait forcément critiquable, faussée.

Tant que les lectorats s’attendront à une pensée prêt-à-porter, définitive, le malentendu subsistera. Un titre tel Mediapart a pour le moins une vertu : celle de porter son lectorat à se départir de cette détestable habitude qui fut longtemps, je l’admets, induite par la presse elle-même. Mediapart vise un lectorat averti. Parfois, et sa composante plutôt pro-Mélenchon peut s’égarer, tout comme la rédaction elle-même (ou ses composantes les plus apparentes du moment). Eh, en ce sens, la presse nous évoque nous-mêmes, en perpétuelle évolution, voire recommencement.