Rumeur, dénonciation, délation… Oh les vilains mots. Souvent associés avec l’Internet, les réseaux en ligne… On songe bien sûr à de récentes affaires retentissantes… Mais le médialogue et le juriste pourraient aussi s’interroger à propos de faits plus courants : faut-il nommer, désigner nominativement ou non les personnes ou sociétés, associations, groupements dont les pratiques, individuelles, propres à leurs entités respectives, peuvent jeter l’opprobre sur tout un secteur ou une profession ? Petites études de cas…

« Ah, eux (bip-bip) quels (bip-bip) ! ». Soit, à la radio, un patronyme, une dénomination précise, associé à une épithète ne passant pas à l’antenne. Sur la Toile, les étoiles (***) et les points de suspension (…) sont moins fréquents. Est-ce un bien, est-ce un mal ?

Si l’on prend un exemple récent, celui des déclarations de Luc Ferry relatives à un ministre pédophile, c’est à la fois « la Toile » qui a quelque peu prématurément et par assimilation plus qu’hasardeuse « lâché » le nom de Philippe Douste-Blazy.
Lequel a fait émettre du papier bleu – des injonctions de taire ou supprimer – tandis que son ex-épouse, Dominique Cantien, rétablissait les faits, ceux d’une dispute conjugale à la Mamounia de Marrakech sans que le moindre mineur ni même le moindre majeur (masculin) soit impliqué, voire aucune tierce personne présente.
C’est aussi « la Toile » qui a très rapidement ramené la rumeur le concernant à ses justes et relativement anodines – soit partiellement coïncidentes – proportions.

Mais plutôt que d’évoquer d’autres affaires « fumantes », celles des deux plaignantes visant Dominique Strauss-Kahn, et leurs traitements médiatiques au sens large, par exemple, intéressons-nous à d’autres, plus communes, mais pas forcément banales.

La première fois que j’ai entendu parler de Louis Van Proosdij, un entrepreneur tétraplégique, c’était sur Mediapart. Il dénonçait le changement de traitement que l’association Santé Service lui imposait. L’affaire a effectivement fait le tour de la Toile francophone avant que France-Soir titre : « Un entrepreneur handicapé enflamme le Web » (15 juin 2011). Louis Van Proosdij ayant su alerter les services de presse de diverses entités et ministères (CPAM, Affaires sociales) avant de diffuser (le 14 juin), et sans doute la presse. Santé Service s’étant épargnée la mention « s’est refusée à tout commentaire », l’affaire n’a finalement fait qu’un tour rapide. Surtout, tous les organismes ou associations s’occupant d’handicapés n’ont pas eu à réagir, la chasse à l’entité encore inconnue ne s’est pas produite. Bref, le « tous des… », ou toutes des… ou le « x qui pourrait être *** » (mais n’est pas assurément et assurément pas, dans une autre circonstance, Philippe Douste-Blazy) n’a pas trouvé de champ et de temps pour s’exprimer… et perdurer.

Voici quelques mois, sur Le Post (lepost.fr), je faisais part de ma surprise de me voir ponctionner à mon insu une dizaine d’euros mensuellement sur mon compte. Une société, recommandée par une autre (un opérateur aérien), me promettait des réductions (notamment sur mon prochain vol) sur divers produits ou services dont, hormis un seul, je n’avais que faire. J’estimais qu’à l’époque où j’avais souscris à ce que je pensais être une transaction unique et non un ensemble de services superflus, j’avais été leurré. Je nommais la société devenue à vie créditrice (si je n’avais pas – pour une rare fois – vérifié mes relevés de comptes) avec les précautions d’usage : pas de mots tels qu’arnaque ou escroquerie. Je n’ai d’ailleurs pas rencontré de difficultés pour résilier ce contrat à l’époque très peu clair, largement mieux explicité depuis sur le site de ce prestataire. N’empêche, Le Post a cru bon de supprimer ma contribution. Un simple droit de réponse de la part de la société aurait sans doute suffi… Le Post en a décidé autrement. L’ennui, pour les consommateurs, c’est que des sociétés n’ayant pas fait évoluer leurs pratiques peuvent continuer aisément à ne pas alerter très clairement sur ce à quoi elles engagent sans évidentes contreparties. Mais les désigner collectivement (ce qui peut déplaire aux annonceurs potentiels de leurs maisons mères respectives) n’a pas la même valeur d’exemple et peut d’ailleurs entraîner d’autres effets fâcheux. Selon le modèle dit du « boucher de Lyon » qui peut parfois fonctionner quand un assez puissant collectif d’annonceurs fait savoir – discrètement ou non, voire préventivement – qu’il convient de ne pas s’en prendre à ses membres, et ce d’aucune façon.

Le procès de Klaus Barbie, chef de la Gestapo lyonnaise, surnommé par la presse et d’autres « le boucher de Lyon », avait entraîné une réaction d’un syndicat des métiers de bouche. Plus récemment, un charcutier parisien avait réagi – sans suite – à propos d’un criminel ayant dépecé sa victime.

Nommer, ne pas nommer, et comment traiter ? Dans un tout autre cas qui commence à entraîner quelques répercussions, une consœur, journaliste et pigiste, utilisant en ligne le pseudonyme d’Aliocha, fait état d’un fournisseur d’accès Internet sans le nommer. Un premier billet, intitulé « Battez-vous », dénonçait les pratiques d’un opérateur dont Aliocha indiquait qu’elle tairait « momentanément » le nom. Ce 5 juillet, sous le titre « Mon FAI m’a tuer », elle donne le détail des suites ubuesques de son différent (prélèvement à tort du montant d’un abonnement dûment résilié consécutivement à un changement d’adresse et non d’opérateur). Toujours sans citer le nom de cet opérateur (qui peut donc être Bouygues, SFR, Orange… Free ou tout autre FAI affilié ou sous-traitant partiel des acteurs majeurs du secteur). Lequel opérateur, signale Aliocha, propose une offre « Zen ». Chacun étant libre de voir en ligne qui utilise le terme « zen » dans ce contexte pourra aussi débattre de l’opportunité de nommer agrume ou fruit les espèces du genre citrus.

Il y a, comme le relevait Marie Cardinal, « les mots pour le dire » adéquats et d’autres. Jour de France titre : « Anne Sinclair : elle refait sa vie – après la tourmente, une nouvelle passion ». La nouvelle passion d’Anne Sinclair est peut-être la préparation de nouilles aux truffes ou la visite des musées, je n’ai pas plus cherché à percer ce « secret » que celui liant Jean-Paul Belmondo à « Barbara ». Aliocha a peut-être voulu éviter de vivre une nouvelle passion éprouvante avec le service clientèle de son opérateur (appelons-le Tango ou Jaune-Rouge selon l’un ou l’autre alphabet des abréviations des télécommunications ou d’autres secteurs d’activités).

Aliocha n’épargne pas ses interlocuteurs : « quand le client est accusé d’être un voyou » ; « soit c’est de l’imbécillité crasse, soit… Je préfère ne pas aller au bout de ma pensée. ». Ses relations avec eux s’apparentent à un véritable – toutes proportions gardées – chemin de croix. Elle a récolté pour le moment (5 juillet, 13:30) 27 commentaires, ce sera (dé)multiplié sur le site de l’hebdomadaire Marianne qui reprendra son billet comme il le fait habituellement. La Plume d’Aliocha donne des conseils utiles, en commentaires du dernier billet, pour traiter avec des services (clientèle, technique) des fournisseurs d’accès. Il serait fort dommage que ces billets disparaissent du fait d’une injonction adressée aux hébergeurs des contenus de ce blogue-notes.

Pour le moment, le FAI incriminé n’a pas donné la « couleur » (ou teneur) du moindre droit de réponse ou de réplique. Pour l’instant, les billets d’Aliocha sur la question n’ont pas déjà fait tout le « tour du Web » au point d’être cités par des titres de presse ou des supports (de publicité, aussi) imprimés.

Les divers syndicats patronaux de la presse n’ayant guère pour habitude de recourir à l’effet « boucher de Lyon », même si je tirais une conclusion comparative entre l’affaire Santé Service (client peu fréquent des régies publicitaires) et celle d’Aliocha, je ne risque guère de m’attirer leurs foudres.

Reste le fond : faut-il taire au risque d’amplifier la rumeur ou dire pour la ramener à des plus justes proportions (incident isolé d’un seul FAI, pratique d’une seule société d’aide à la personne dans un cas particulier) ?

Il n’y a pas de réponse universelle et intemporelle à cette question. Il faut donc lui donner la ou les réponses appropriées au cas par cas. Le FAI d’Aliocha s’est à diverses reprises rendu injoignable (toutes les lignes étant occupées), s’est défaussé sur d’autres services, a laissé des questions en suspens, &c. Des pratiques auxquelles les services de presse de diverses sociétés ou institutions ont trop souvent recours. Faute d’obtenir confirmation ou commentaire « équilibrant » la relation de faits allégués ou précis, des papiers passent parfois à la trappe de crainte d’entraîner des poursuites (voire des mesures de rétorsion). Taire ou dire est parfois objet d’un débat dans lequel les considérations déontologiques restent subsidiaires. Trouver les mots pour le dire au bon moment et lieu adéquat– les péripéties de l’affaire DSK contre Tristane Banon nous en offrent une illustration – est question d’appréciation.

Quant au débat qui semble parfois opposer les médias traditionnels, ceux qu’avait pu connaître Mac Luhan, aux nouveaux médias en ligne, il est parfois aussi artificiellement passionné que peut l’être le nouveau centre d’intérêt d’Anne Sinclair pour Jour de France. On me permettra d’estimer que les rumeurs ne sont pas plus qu’une autre sa pierre de touche de prédilection. La polémique, n’en déplaise à Philippe Labro et tant d’autres, est artificielle.

Parlons plutôt de la nécessité ou de l’opportunité de savoir nommer un chat, un chat, et une orange, une orange. Notamment quand il s’agit de celle du marchand de la chanson de Gilbert Bécaud…

Le plus souvent, comme dans cette chanson, les médias, quels qu’ils soient, disputent des avantages ou inconvénients de ne pas s’aliéner l’opinion ou de ne pas mécontenter le « marchand ». Selon ce rapport de forces, tel voleur ou volé d’hier devient ou non celui de demain, les rôles étant interchangeables parfois. De même pour « la Toile » et d’autres ensembles des médias.

Je ne sais si un La Fontaine tirerait une fable de ces divers éléments. Il faut parfois « porter habit de deux paroisses », mais « ne point agir chacun de même sorte »… La morale des fables ne l’est parfois guère (« où la guêpe a passé, le moucheron demeure », que l’on peut rapporter à DSK ou à Nafissatou Diallo, voire Tristane Banon, en exemple ou contre-exemple, on ne sait). On ne m’en voudra pas trop durablement, je l’espère, de « quelquefois répondre en Normand.».