C’est déjà du réchauffé, mais pas tout à fait ici-même, et cela vaut d’être signalé sur Come4News. La rédaction du quotidien allemand Handelsblatt a publié dans ses pages et sur son site un entretien du dirigeant de BNP Paribas en laissant les réponses en blanc. La direction de la communication de la banque avait tardé à valider la copie, puis considéré que l’article n’était pas opportun. Depuis, la banque publie, en anglais, les questions et les réponses sur son site.

C’était un procédé courant, dans la presse française, avant même la Grande Guerre. Certains journaux laissaient en blanc, dans leurs pages, les emplacements des articles frappés par la censure.

Le 12 octobre dernier, à 06:57 Uhr, le quotidien Handelsblatt publiait un « non-entretien », accordé puis refusé par Baudoin Prot, de BNP Paribas, en faisant figurer les questions suivies de blancs pour les réponses. La réaction de BNP Paribas ne s’est cette fois pas trop fait attendre. Elle mettait en ligne le texte complet, en anglais, et le site du quotidien signalait le lien le soir même (aktualisiert 21:11 Uhr).

L’affaire a été signalée par de nombreux titres de presse, mais elle vaut d’être commentée.
Je trouve relativement normal que des dirigeants d’entreprises veuillent, en particulier en période de crise, vérifier la teneur de leurs propres propos qu’ils peuvent craindre d’être mal interprétés. Ils demandent donc à lire la version finale. Laquelle peut différer pour des raisons « techniques » (on supprime les redites, les « euh », on rétablit des phrases bancales).

Il m’est même arrivé, jamais pour des politiques, je le signale, de soumettre mes entretiens à mes interlocuteurs, notamment des scientifiques qui ne me l’avaient pas demandé.

De plus, une fois, de ma propre initiative, j’ai « censuré » une info. C’était un entretien avec des dirigeants d’une grande entreprise américaine produisant des imprimantes grandes laizes (largeurs). L’un d’eux, sans malice (j’imagine mal qu’il ait voulu, par mon intermédiaire, celui d’un titre de la presse technique française, manipuler le cours boursier de sa société et celui d’un concurrent allant devenir partenaire, qu’il citait), m’avait lâché une info sensible. Elle intéressait fort peu mes lecteurs, pouvait lui valoir de se faire taper sur les doigts, et s’apparentait, pour moi, à une sorte de délit d’initié.

Quand une ou un nouveau journaliste entrait à la défunte Agence centrale de presse, du groupe René Tendron (Journal des finances, Épargner…), il devait signer un engagement sur l’honneur de ne pas se servir des informations qu’il recueillait en vue de favoriser son enrichissement personnel ou celui de tiers. En clair, ne pas passer ou faire passer des ordres boursiers.

Là, au vu de la teneur des réponses de Prot, y compris celle, laconique (« no comment »), au sujet d’une éventuelle prise de participation de BNP Paribas dans IKB, l’attitude de la direction de la communication de la banque française ne tenait absolument pas à la prévention d’un éventuel délit d’initié. C’était, à l’en croire, « l’aggravation de la crise de la dette souveraine et de l’état des marchés financiers » qui motivait la demande de reporter la diffusion de l’entretien. En toute conscience, la rédaction en chef d’Handelsblatt a estimé que la raison invoquée était farfelue. D’où ce coup d’éclat, condenser la publication sur deux pages en laissant de larges blancs sous les questions.

C’est salutaire. Il faut parfois des jours ou des semaines pour obtenir des entretiens. En sens inverse, surtout s’il s’agit d’annonceurs, ceux qui sollicitent la publication d’entretiens s’attendent à ce que les journalistes accourent, venant « au pied ». Parfois, non seulement ils n’ont rien de nouveau à dire, mais de plus, leurs services de communication édulcorent et rabotent tant les propos tenus que le résultat est parfaitement insipide, de très faible teneur informative. Les services de com’ peuvent parfois aussi exiger des directions qu’on leur envoie des interlocuteurs vraiment très complaisants, s’abstenant de poser des questions qui fâcheraient.

On ne peut d’ailleurs pas dire que les questions des journalistes, Robert Landgraf et Nicole Bastian, aient été vraiment retorses ou vicieuses. Elles sont même particulièrement convenues. Rien sur les super-avantages des dirigeants des banques, par exemple. Et quand Prot indique que pratiquement le tiers des profits de BNP Paribas sont allés aux actionnaires, et non pas à la consolidation des comptes, nos deux confrères s’abstiennent de toute nouvelle question à ce propos. On peut en juger.

 

Cette réaction est salutaire alors qu’en France, le Crédit mutuel devient l’un des plus papivores patrons de presse, étendant sa zone d’influence sur tout le grand Nord-Est et le centre de la France. Déjà, quand le Crédit mutuel d’Alsace ne contrôlait que le quotidien L’Alsace, toute info touchant à la profession bancaire, banques concurrentes incluses, remontait direct à la direction. Il ne fallait pas fâcher les confrères de la sphère financière.

Si, seuls, les titres ne dépendant pas de la publicité, sans dettes ni problèmes de fin de mois, peuvent traiter en toute indépendance des milieux financiers, de leurs us et mœurs (comme par exemple, en matière de contentieux, aller jusqu’en cassation histoire de décourager l’adversaire), on est mal barrés. Si, de plus, le secteur bancaire peut mettre la majorité de la presse à sa botte (le Crédit mutuel avait cessé tous ses abonnements, retiré toute sa publicité d’un titre économique qui lui avait déplu), les risques de manipulation sont considérables.