Vue d’ailleurs, la campagne présidentielle française évoque les primaires du GOP (le Grand Old Party républicain) qui semblent donner une prime au plus conservateur sur les « valeurs ». L’enjeu est d’arriver au moins au « premier tour » face à Obama (même s’il n’y en pas de second). Là, entre Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy, l’objectif serait d’éliminer l’adversaire principal pour avoir sa chance d’affronter le « champion en titre », François Hollande. C’est du moins l’avis de John Lichfield, de The Independent, qui suit à présent, en France, la campagne présidentielle.
Il n’y a rien qui soit particulièrement neuf dans l’article de John Liechfield dans The Independent de ce jour sur la campagne présidentielle française mais une sorte de « révélation » y figure : Nicola Sarkozy ne pourrait se permettre d’arriver en troisième place au premier tour des élections et il a décidé « d’éliminer » sa concurrente à droite, Marine Le Pen, à l’américaine. Soit en se battant sur le « sociétal » et des « valeurs » qui ne mangent pas trop de pain et n’engagent budgétairement à rien. En fait, en fonction de la suite, des législatives, une très bonne troisième place ménagerait peut-être l’avenir.
Pas de divulgation donc, mais un éclaircissement. Au jour le jour, le nez dans le guidon, les journalistes français commentent et comptent les points. Tandis que la presse étrangère prend un peu davantage de recul, n’intervenant que ponctuellement, aux moments cruciaux. Pour l’auteur de « Fight for the right: Sarkozy’s bid to win Le Pen’s people », nous en serions à un tournant.
Cela tiendrait d’abord à un changement d’orientation de la perception élyséenne de la manière de traiter François Hollande, non plus sur le coût de son programme, mais en fonction de sa personne même, afin de ne plus laisser place qu’à l’affrontement entre les deux candidats du peuple profond, soit Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. C’est d’ailleurs un peu vrai : en points, pourcentages budgétaires, l’écart entre les mesures annoncées par Le Pen et Sarkozy est faible. Hollande n’est que peu, hormis sur la forme, le verbiage, attaquable sur son programme.
Les stratèges de l’Élysée considéreraient à présent que tout ce qui les concerne directement la plupart des Français, soit en particulier le portefeuille, l’emploi réel (et non rêvé), leur passe largement au-dessus de la tête. C’est trop complexe, trop pénible, et surtout, n’y comprenant que peu, ils veulent tout en ignorer, refusant de faire l’effort de comprendre. Mieux vaut leur dépeindre un Hollande élitiste, arrogant, déconnecté du peuple, pas assez « souverain » (comme si un pays républicain devait tout attendre d’un seul tsar omniprésent, tout puissant). Dans les couches qui s’intéressent encore à l’économie, la politique étrangère, les grandes orientations, les jeux seraient faits, place à la chasse aux autres.
Éliminer d’abord
Pour Marine Le Pen, l’objectif à présent vise à de redresser haut l’étendard de l’attachement aux valeurs traditionnelles : pas d’étrangers, ordre et accessoirement loi, pinard-camembert, famille. Pour un peu, elle passerait de nouveau devant m’sieu le maire (faute de pouvoir obtenir un nouveau mariage devant le curé). Pas la peine de relever que, sur l’immigration, la priorité accordée au BTP par Sarkozy risque de l’accroître et d’éliminer quelques sous-traitants bien souchiens, ce serait trop complexe, mieux vaut traiter les autres affaires au faciès. Et comme Nicolas Sarkozy aurait décidé de faire de la surenchère, il faut faire préférer à son électorat l’original à la copie de plus en plus conforme.
Place à l’émotionnel donc, aux valeurs « chrétiennes » et « familiales ». De manière plus feutrée qu’un « prédicateur télévisuel américain », mais à la Gingrich, Ron Paul, Santorum (Romney étant décidément trop « mou », à la Bayrou ou Hollande). Pas d’hystérie mais de la « ferveur » pour se ranger derrière la cheffe ou le chef. La « blonde pit-pull » contre le « roquet bâtard mais vicieux », en quelque sorte. Marine Le Pen, selon Liechfield, aurait trop rapproché le FN de l’United Kingdom Independance Party (UKIP, droite nationaliste, qui s’est trop intéressé à l’Europe, à l’éducation, à la politique énergétique, aux collectivités locales, &c., en délaissant les fondamentaux).
Mieux vaudrait donc débattre de l’euthanasie et des homosexuels, du contrôle policier des banlieues basanées et des reconduites aux frontières. Le but étant d’arriver en seconde position derrière François Hollande. Visiblement, Lichfield ne croit guère aux chances de Bayrou, jamais mentionné dans son long papier.
Un peu réducteur
Évidemment, les synthèses un peu trop serrées éliminent un peu trop de points d’analyse, et si ce round sur les valeurs était un peu bousculé par le retour du réel venant à survenir, soit par l’économie (par exemple une nouvelle délocalisation d’ampleur, des émeutes incessantes en Europe du Sud, on ne sait trop quoi d’inattendu), soit par n’importe quoi (un désastre climatique de grande ampleur, un immense scandale bancaire), le débat sur les valeurs serait écourté.
De plus, si le nombre des chômeurs longue durée ou l’ayant trop été à répétition venait à enfler très vite, les débats sur l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, l’adoption par les couples lesbigays, pourraient finir par lasser.
Sarkozy prend le pari qu’il peut éroder les intentions de vote pour Le Pen. Il ne croit pas trop que, ce faisant, il pourrait sensiblement favoriser Bayrou ou que, en déstabilisant Hollande, il ne risque pas de donner un coup de pouce à Mélanchon, le plus en pointe contre le FN. Reste la question des signatures de Marine Le Pen que seuls l’UMP ou le PS peuvent débloquer. Cela se décidera sans doute au dernier moment ou presque.
Cette focalisation sur les présidentielles laisse de côté l’aspect législatives. En France, un président ne l’est véritablement que s’il dispose d’une majorité ou peut, en cohabitation, ménager ses chances d’un retour pour lui-même ou le mieux placé de sa formation cinq ans plus tard.
En fonction de la suite (il reste quand même quelques semaines), cette question sera cruciale. Ce ne pourrait plus être tout à fait tant le devenir de Nicolas Sarkozy qui importerait que celui de l’UMP, sous ce nom ou un autre. Au FN, le « qui t’a fait reine » ne pose plus trop de problèmes. À l’UMP, c’est très différent.
La stratégie élyséenne comporte un risque. Celui de voir le candidat de l’UMP en troisième position, talonné de peu par Mélenchon et Bayrou (on ne saurait prédire dans quel ordre). Avec les aléas que cela comporte pour la suite, soit pour le devenir de l’UMP.
En France comme aux États-Unis, les élections sont, toutes proportions et habitudes gardées, question de monnaie. Le président-candidat ne le serait peut-être pas resté si longtemps si le Premier Cercle et d’autres dispositifs avaient craché massivement au bassinet. La stratégie élyséenne doit aussi compter sur ce facteur en prévision des législatives. Si l’UMP et les milieux qu’elle représente a déjà conclu que Sarkozy devait être contraint de se retirer de la vie publique, comment envisagent-ils l’avenir ? Brandir le péril FN pour rassembler la droite qui « compte » et influe serait-elle plus payante en vue de mieux tenir jusqu’en 2017 ? Cela, aussi, influera sur la suite de la compagne présidentielle.
Lichfield a sans doute vu juste en comparant les élections françaises et les américaines. Pas suffisamment toutefois. Le reste passerait-il au-dessus de la tête du lectorat de The Independent ?