James Holmes, qui se prenait pour le personnage du Joker, « relativise-t-il » Anders Behring Breivik ? Lequel se prend toujours peut-être pour un « ange » de la mort purificatrice ? Assumons, cyniquement, la psychanalyse sauvage. Après tout, comme l’énonçait Balzac dans sa Monographie, le rôle du journalisme n’est-il pas de fournir des idées pré-mâchées pour les dîners en ville (ou le café-calva du matin avant d’aller pointer) ?

Futile (mais j’assume ma futilité) approche médialogique d’un phénomène qui fait causer dans les chaumières : les massacres dus à des individus isolés. Bien sûr, un journaliste digne de ses payes ou piges ne va pas écrire noir sur blanc que, quels que soient les mobiles énoncés, d’un Mohamed Merah, d’un Anders Behring Breivik, d’un James Holmes, tout cela c’est kif-kif du messianisme et que le « prophète » fait sa religion davantage que sa « religion » fait son prophète.

Non, non, non sum dignus. Pour faire passer ce type d’hypothèse (qui en vaut peut-être d’autres), il faut avancer masqué. Soit avoir recours à un ou mieux, deux, sachants, si possible en l’espèce des ethno-anthropolo-spykekchose, et encore mieux, en publier un « pour », un « contre ».

Mais là, comme je n’en ai pas sous la main (dans mon carnet d’adresses), lançons-nous sans filet.

Un adage connu des psys spécialisés dans les addictions veut que « ce n’est pas la drogue qui fait le drogué, mais le drogué qui fait sa drogue ».
Entendez que, prédisposé, le futur toxicomane (à des substances, mais aussi peut-être des opinions, des idéologies, des comportements), va finir par trouver de quoi « s’alimenter ».

Substituez une substance par une autre, cela marchera ou non, mais en définitive, la plupart des toxicomanes finiront par trouver le substitut qui leur convient.

 

N’extrapolons pas sur le passage du communisme dictatorial au fascisme (ou inversement), voire du militarisme au pacifisme (et ne faisons pas d’un père de Foucauld un Doriot). 

Mais malgré tout, n’a-t-on pas trouvé des similitudes entre un Mohamed Merah et un Anders B. Breivik ? Là, je n’invente rien : une rapide revue de presse l’établit.

D’ailleurs, pour l’amalgame entre Breivik et Holmes, c’est déjà parti. La Voix de la Russie évoque un « Breivik américain », le rapprochement est aussi fait avec Cho Seung-Hui (univ. Virginia Tech), Richard Dum (Nanterre), Marc Lépine (Montréal), &c.

Il y a sans doute « toujours » eu des tueurs de masse, et la liste en reste incomplète. Je me souviens d’un cas, aux débuts des années 1980, de tireur ayant parcouru la grand’ rue d’un village du Doubs sans trop laisser de traces dans la mémoire collective extérieure à la Franche-Comté. Comparez d’ailleurs les articles Wikipedia consacrés aux tueries de masse, les listes diffèrent (et les approches sont différentes, la version hispanophone mentionnant aussi les génocides ou les bombes atomiques américaines sur le Japon, sans mention des bombardements britanniques de Dresde ou d’ailleurs en Allemagne).

Qui, en France, se souvient de Szilveszter Matuska (évadé en 1945), un Hongrois qui fit dérailler ou exploser des trains (22 morts, des centaines de blessés dans deux tentatives réussies sur quatre) dans les années 1930 ? Ou du policier de l’alors Congo belge, William Unek (†1957), auteur de 57 assassinats en deux expéditions ? 

 

L’amok malaisien ou d’Extrême-Orient, le criminel de la péninsule arabique bénéficiant de circonstances atténuantes si meurtres ou assassinats sont commis lors d’un simoun « pestilentiel », tant d’autres, ne sont guère propres à nos actuelles contrées. World of Warcraft ou des films ultra-violents n’étaient guère le propre de ces cultures.

On a beau tenter de rationaliser (un massacre en masse est désormais, selon une définition internationale, celui impliquant quatre victimes), le seul lien, ou ppdc (plus petit dénominateur commun), c’est le désarroi ressenti par l’opinion.

Après, on ratiocine, on ergote. Holmes et Brievik auraient été en mal de notoriété, admettons. D’autres, pas vraiment. Et quand je lis, dans Direct Matin, un sachant (Stéphane Bourgoin, auteur de Mes conversations avec les tueurs chez Grasset), énoncer qu’on retrouve « toujours » chez les tueurs de masse « cette fascination pour les armes à feu, pour l’image de la toute puissance », je rappelle quand même qu’une simple hache, voire des serpents (un cas en Colombie), et tant et tant de lances, machettes, casse-têtes par le passé, contredisent cette assertion. Certains ressentent peut-être cette présumée toute puissance, mais d’autres, pas vraiment vus, pas vraiment pris, conservent leur anonymat et ne récidivent (peut-être) pas.

L’autre point commun est que le mobile est rarement le gain financier. Point. Enfin, évidemment, cela dépend des massacres et les protestants massacrant des catholiques avant la Saint-Barthélémy faisaient souvent au passage main-basse sur leurs biens.

Quand je lis aussi que Stéphane Bourgoin soutient que l’Australie, depuis le massacre de Port-Arthur de 1996 (Martin Bryant y tue 35 personnes, en blesse 37 autres) et l’instauration d’une législation draconienne sur la détention d’armes « n’a plus jamais » connu de telles tueries, je reste sceptique. L’Australie compte moins de 23 millions d’âmes, 1996 n’est ni jadis, ni antan, tout juste naguère. Par ailleurs, un véhicule est quasiment tout aussi efficace (au moins pour une douzaine à une vingtaine de victimes, ainsi à Kilifi, au Kenya, en août 1993 : auteur inconnu pour 18 morts et 25 blessés). N’oublions pas non plus les incendiaires (1982, HP d’Aire-sur-l’Adour, auteur inconnu, 24 morts).
Cela étant, les accidents avec des armes à feu étant globalement plus meurtriers que les tueurs en série, on peut ou non être pour une législation restrictive (pour d’autres raisons aussi, affaire de conviction davantage que de statistiques). Le candidat républicain Mitt Romney, opposé à durcir la législation, a estimé que le tueur avait obtenu ses armes « illégalement ». Ah bon ? Hormis pour les explosifs, il s’était rendu chez les armuriers du coin en déclinant son identité.

Non, Holmes ne « relativise » pas tel ou tel. Bourgoin, plus spécialisé dans les tueurs en série que dans les tueurs de masse, estime par ailleurs : « chaque serial killer est complètement unique. ». Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les tueurs de masse ? Restons circonspects.

Si vous manquez de sujets de conversation, relevons qu’aux dernières nouvelles James Holmes aurait été un enfant adopté et qu’il suscite de nombreux cas d’hybristophilie (ou syndrome de Bonnie & Clyde), soit un attrait pour sa personne de la part de « groupies ». Notez aussi que, selon un unique témoignage, contrairement à la définition du tueur de masse (reprise par Bourgoin et d’autres), Holmes aurait plus ou moins sélectionné certaines de ses victimes, certes au hasard, ou au faciès (dans l’obscurité, c’est improbable, mais sait-on jamais), allez savoir…

En revanche, il est allégué que, comme Breivik, Holmes aurait cherché à développer son activité sexuelle avant ses crimes en recherchant la compagnie de prostituées. On pourrait sans doute trouver d’autres cas inverses, ayant observé l’abstinence avant de passer à l’acte… contre, pour Holmes, à l’origine, les acteurs du dernier Batman, soit Christian Bale, Morgan Freeman, Anne Hathawas et Gary Oldman, lors de la première de The Dark Knight Rises, lors de la première à New York. Il se serait ravisé, selon des sources policières, estimant qu’il serait trop vite intercepté.
De quoi tirer bien des conclusions contradictoires. En l’espèce, je m’abstiendrai.