On va peut-être finir par comprendre mieux pourquoi exécutions et règlements de compte à Marseille sont si fréquents. Et si en fait les indicateurs des truands, les « tontons », étaient des policiers, les mieux à même de fournir des informations circonstanciées sur les entourloupes entre concurrents ? Depuis mardi, un policier membre de la BSU sud, ancien de la Bac centre, a rejoint ceux de la Bac nord en détention, révèle La Provence, qui signale par ailleurs le vingtième règlement de comptes meurtrier marseillais depuis le début de l’année. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, attendu demain dans la cité phocéenne, aura tout le loisir de se plonger dans les archives judiciaires et policières de l’ère Sarkozy. 

J’allais vous entretenir du formidable essor de « Ma Tante » (les prêteurs sur gages, municipaux ou autres) en Europe, mais l’étonnante, car fort tardive, révélation des agissements d’un nième policier marseillais ont interrompu mon élan.
De plus, à lire le courrier visant ce policier charitablement désigné par l’initiale « R », on en vient à se demander s’il n’était pas un « tonton » (indicateur) de la pègre, et ne refourguait ses recels au Crédit marseillais. Suppositions gratuites, mais…

Tout d’abord, relevons que le courrier incriminant est daté du 28 février 2012.

Il stipule « j’avais expliqué à monsieur Perruaux [un magistrat marseillais, ndlr., qui avait recueilli des déclarations dès le 10 juin 2011] que j’avais commencé le trafic de stups, il y a trois ans, par intermittence, que mon premier fournisseur était R., qui travaille dans la police nationale. ».
En clair, engagez-vous, rengagez-vous dans la fourgue de came, sous l’égide, sinon de la police, du moins de ses fonctionnaires.

On peut déjà se demander si ces éléments, et d’autres, étaient remontés jusqu’à la préfecture, au ministère de l’Intérieur, à la Chancellerie, du temps de Claude Guéant et de Michèle Alliot-Marie (qui n’avait pas encore démissionné), et si les diverses visites de Nicolas Sarkozy à Marseille avaient été précédées de communications à propos de l’état insolite de la police locale.
La patate chaude n’a-t-elle pas été refilée au successeur, histoire de ne pas avoir à faire un aveu d’impuissance, voire de complaisance ?

Nous avons donc, depuis quelques jours, à Marseille, non point trois, mais quatre nouveaux policiers ayant manifestement trempé dans des affaires du milieu local, avec peut-être la complicité (active, moins volontaire qu’il n’y paraîtrait de prime abord), notamment d’un policier « des stups du boulevard des Dames », lequel permettait de fouiller dans les archives policières. Pour mieux éliminer la concurrence ?

Ce jour, à la terrasse du Derby, un mort, un blessé, et deux hommes affublés de masques de carnaval en fuite. Des policiers hors ou en pause d’heures de service ? Les victimes ou les agresseurs, ou leurs complices ? On peut désormais s’attendre à tout.

Ce sera bientôt une vingtaine de policiers à être mis sur la sellette à Marseille. Gageons qu’on s’en tiendra là. À moins que des magistrats ayant senti le vent tourner, des policiers ne craignant pas trop leurs syndicats, en viennent à ouvrir les parapluies…

Des affaires de ce genre, connues ou restées sous le boisseau, ne datent pas d’hier. Puisqu’il y a désormais prescription, évoquons donc une affaire parisienne dont l’un des protagonistes fut abattu dans un parking souterrain. Il s’agissait d’un gradé, dirigeant un commissariat de quartier où il se montrait très jugulaire-jugulaire… quant à la répartition des fruits du racket des commerçants et des saisies de numéraires accompagnant de la drogue. La voie hiérarchique était parfaitement respectée. Gare à qui, à la base, s’affranchissait de l’étiquette. Quant à ceux qui ne « croquaient », leur carrière était – et fut – sérieusement compromise. Il n’a bien sûr pas été possible de dissimuler à la presse un meurtre de commissaire. Mais il n’était pas trop indiqué – sauf à risquer de voir ses sources se tarir – d’insister sur la provenance de la fortune (blanchie sur les champs de courses) du défunt, ni sur ses relations professionnelles.

Là, comme le souligne La Provence, cette histoire de courrier qui date, et qui ne surgit qu’impromptu, s’explique fort bien : le procureur « venait en fait de prendre connaissance de la missive dont nous reproduisons les passages. ». Cordonnier est toujours le plus mal chaussé… On y croit très fort. Mais parfois, la réalité dépasse la fiction.

Mais on ne peut s’empêcher de relever que le poisson pourrit toujours par la tête et que ce n’était pas que le menu fretin qui était chargé de masquer les odeurs.

Les véritables questions sont les suivantes : depuis des décennies, le ministère de l’Intérieur, avec l’assentiment contraint ou volontaire des ministres, a-t-il pris l’appareil d’État en otage ? A-t-on oui ou non favorisé un sentiment d’impunité ? D’excès en excès, la hiérarchie et la base ne se sont-elles pas retrouvées à jouer à « je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ».
Réponse : bien sûr que non, et d’ailleurs Manuel Valls, sur le ton convenu de ses prédécesseurs, a proclamé que « les faits reprochés à certains ne doivent pas retomber sur l’ensemble. ». Soit. Mais sur quelle proportion au juste ?

Il est souvent question de la collusion entre presse et monde politique. Rarement des accommodements entre presse et hiérarchie policière. Au moins, dans le premier cas, la presse peut-elle prendre des mesures de rétorsion (l’univers politique de même). Dans le second, quid ?

Il n’y a pas que les policiers à fréquenter des « tontons » de la pègre (voire, à la lumière des faits, réciproquement). Les faits-diversiers aussi. Il n’est en revanche pas du tout surprenant que rien n’est filtré jusqu’à ce que des déclarations officielles permettent de révéler certaines affaires. Tout juste est-il permis, une fois l’an, en s’appuyant sur des commentaires extérieurs, de critiquer la présentation des statistiques de la délinquance et de la criminalité. Et encore, au plus proche des sources locales, avec un maximum de gants (au national, c’est plus facile, les retombées négatives sont moindres).

Philippe Pujol, dans La Marseillaise, ouvre ainsi son éditorial de ce jour. « “Comment est-il seulement possible que les divers patrons n’ai rien su de ce qui se passait au sein de la Bac nord ?”, s’étrangle la majorité des policiers interrogés sur l’affaire des ripoux présumés. ». Il poursuit, sans doute renseigné de l’intérieur de certains services ou commissariats : « comment imaginer que le désordre causé par les agissements des ripoux (…) n’apparaissent pas dans les écoutes téléphoniques effectuées (…) par des services de Police judiciaire ou de la Sûreté départementale ? ». Conditionnel et interrogatives de mise. 

Le Point se réveille : « A-t-on voulu étouffer l’affaire de la Bac nord de Marseille ? (…) l’ancien numéro deux de la police marseillaise n’a jamais saisi la justice des faits de corruption dont il avait été alerté. ». Pascal Lalle, le DDSP, n’avait pas voulu mettre dans le coup Jacques Dallest, le procureur de la République, fin 2009. Des policiers de base, qui s’étonnaient de pratiques de certains collègues, ont été mutés en 2011. Début 2011 aussi, le nouveau capitaine de la Bac nord alerte Pascal Lalle, non pas à propos d’une dizaine ou douzaine de ses hommes, mais « sur la probité d’une quarantaine de policiers du service » (sur environ 70). Cherchez la différence : une trentaine… de part et d’autre (une dizaine sur quarante appréhendés, une trentaine apparemment absous, une autre qui ne sera sans pas sanctionnée, mais pas vraiment promue : manque d’esprit de corps ?).

Je m’étonne que les responsables d’associations ayant averti, en 2011, la hiérarchie policière, n’aient pas pipé mot à la presse. Mais parfois l’exception confirme la règle.

Au fait, on comprend mieux pourquoi les policiers étaient vent debout contre le récépissé de contrôle d’identité : « pourriez-vous consigner combien de grammes et d’euros vous m’avez prélevé, monsieur le policier ? ».

Comme l’explique le controversé Georges Moréas, commissaire honoraire (retraité), « que peut faire celui qui ne marche pas dans la combine ? Cafarder ? Pas facile… ». D’autant que le messager devient si facilement le bouc émissaire. On éprouvera donc une certaine compassion pour celles et ceux qui ne croquent pas, mais ne peuvent pas risquer une mutation, des sanctions. Tout le monde ne peut pas se recaser dans la littérature policière.

Les ripoux seraient, à Marseille, « une poignée ». Vingt, 40, 120, 200 ou davantage ? Ce n’est pas leur nombre qui fait le plus problème, mais celui, beaucoup plus important, des écœurés, résignés, ou complices par passivité et peur de représailles.

Les ripoux l’étaient-ils dès leur sortie d’Oissel ou Chassieu ?  Ou ont-ils macéré avant d’être initiés ? Qu’avaient-ils observé avant de franchir le pas ? Avaient-ils, elles et eux aussi, tenté d’alerter leur hiérarchie ? L’appât du gain explique-t-il tout à lui seul ?
Voir des délinquants mener grand train peut certes donner envie quand la paye est chiche (du moins, au départ d’une carrière). Mais quel aura été l’effet d’entraînement ? Quelles sont au juste les motivations les plus profondes ?
C’est sans doute ce que l’on ne saura jamais. Mais est-ce vraiment un hasard ? L’autre question est : comme la plupart de ses prédécesseurs, Manuel Valls se contentera-t-il de jouer les matamores, les bravaches et rodomonts, et de hausser le menton tel une Alliot-Marie ? Le Front national, qui a tant et tant choyé les policiers, quels qu’ils soient, va-t-il changer d’attitude ? Guéant s’expliquera-t-il vraiment ? Ne nous faisons pas trop d’illusions. Mais les mêmes causes produiront sans doute les mêmes effets, et on pourra encore longtemps faire des films sur les policiers ripoux.