Maroc : un viol s’aggravant d’un déni de justice ?

Une large partie de l’opinion publique marocaine, associations féministes et opposition laïque en tête, reste sous l’émoi d’un jugement acquittant un député, Hassan Arif, du chef d’inculpation de viol sur la personne d’une fonctionnaire, Malika Semlali. Une semaine après le jugement, qui a aussi condamné Malika Semlali à une peine de prison pour « outrage à magistrats », la polémique fait rage.

Hassan Arif est député de l’Union constitutionnelle (UC), parti libéral en matière économique et conservateur dans le domaine religieux et sociétal. Dans un premier temps, en juillet dernier, il avait écopé d’un an de prison. Pour cause, des tests ADN montraient qu’il était le père, depuis trois ans, d’un fils de sa victime, Malika Semlali, 26 ans, fonctionnaire au ministère des Affaires islamiques (et du patrimoine des Habous, ou lieux religieux), et il avait été constaté qu’elle avait reçu pas moins de 284 communications téléphoniques de la part du député. Il fut donc condamné à un an de prison non assorti de sursis et à verser 300 000 dirhams à sa victime.

Coup de théâtre la semaine dernière. En second instance, la cour de Rabat, jeudi 17 dernier, le député est acquitté.
La plaignante déboutée, hors salle d’audience, assure-t-elle, crie le lendemain sa colère et elle est non seulement accusée d’outrage à magistrats mais emprisonnée. Le député, lui, n’a jamais connu la détention.

L’affaire continue de faire grand bruit et une pétition a été lancée pour que Hassan Arif soit déchu de son mandat. L’affaire devrait être portée devant la Cour de cassation.

L’Union constitutionnelle dénonce une « instrumentalisation politicienne » et s’en tient au dernier jugement.

Au Maroc, en dépit d’affaires retentissantes, la loi permet toujours, de fait, aux hommes de violer des mineures sans risquer de poursuites judiciaires du moment qu’ils consentent à les épouser.

Ce à quoi les familles des violées les incitent. La loi devait être révisée de fond en comble, mais le projet a été rejeté par 12 voix contre trois par la commission parlementaire de justice. En revanche, les peines pour viol(s) de mineure(s) ont été durcies (jusqu’à 30 ans de prison en cas de défloration). Cela découle du drame d’Amina el Filali, 15 ans, qui s’était suicidée après avoir dû épouser son violeur. Puis, en début d’année, une jeune femme de 19 ans avait tenté de se suicider à la suite d’un viol, à Casablanca, sa famille la rejetant, et l’ayant répudiée depuis le viol survenu à Marrakech alors qu’elle avait 14 ans.

Justice de classe, justice de genre ?

L’avocat de Malika Semlali, Réda Oulamine, dénonce une justice de classe, de caste, et patriarcalequi fait que « le puissant est toujours au-dessus de la loi ». Marwa Belghazi, qui avait couvert la dernière audience pour le site Yabiladi, a dénoncé « un théâtre de l’absurde ». L’innocenté est maire d’Aïn Aouda, mais il semble qu’il puisse se croire tout permis, ainsi de harceler téléphoniquement la fonctionnaire, à toute heure du jour et de la nuit, et même au soir du second jugement.

Le procureur Youssef Zerhouni Salmouni avait pourtant insisté sur la gravité des faits. Marwa Belghazi concluait : « Hassan Arif a insulté la femme marocaine en pleine séance dans une cour de justice. Aujourd’hui j’ai vu un menteur, représentant du peuple, décideur public, regarder par la fenêtre en toute tranquillité pendant son procès, conscient qu’il en sortira innocenté. ».

Malika Slimani a été libérée au bout de trois jours, le 21 janvier, mais elle risque toujours des mois d’emprisonnement.

L’affaire est d’autant plus scandaleuse que le député n’a pas plaidé du tout une relation consentie. Au contraire, il a nié toutes les évidences avec un bel aplomb. Il n’aurait jamais eu de relation autre que professionnelle avec la mère de son enfant, et il se serait contenté de la rappeler près de 300 fois sans savoir qui lui aurait laissé un message. Malheureusement, des enregistrements ont été produits qui ne laissent guère de doute quant à la validité (ou plutôt le caractère mensonger) de cette affirmation.

Cette affaire a fini par déborder le cadre marocain après que RFI, puis Slate Afrique, en aient fait état, tardivement. L’ampleur des répercussions sur les réseaux sociaux a suscité l’attention.

Réactions et dénégations

Le plus choquant est que, comme après l’affaire d’Amina El Filali, des commentateurs mettent en doute la sincérité de la victime qui est présumée, tout comme l’adolescente, avoir aguiché le député ou tenté de lui extorquer de l’argent. Pour une partie de l’opinion islamistes, les femmes ont toujours tort, sont toujours provocantes et ne méritant que la monnaie de leur « pièce » (de théâtre, en quelque sorte).

Marwa Belghazi a été sommée de respecter la présomption d’innocence. Mais elle insiste sur son blogue-notes. Si la plaignante s’était tue, c’est parce que le député lui aurait promis de « couvrir sa honte sociale ». « Je pourrais comme un bon nombre de femmes marocaines l’assener à coups d’accusations et de reproches [pour s’être tue] (…) et puis, comme bon nombre d’hommes marocains (dont certains sont juges et avocats), je pourrais penser (…) qu’elle l’a cherché. ».

Il y a peut-être présomption d’innocence, mais aussi présomption de culpabilité lorsqu’il s’agit d’une femme, d’une adolescente. En admettant qu’il n’y ait pas eu viol avec violences, il y a bien déni de paternité, harcèlement, relation sexuelle hors mariage (condamnable selon la loi marocaine), ou alors, toutes les preuves matérielles et apparences, accablantes, qui auraient abusé les juges en première instance (puisque le député fut condamné), auraient été fabriquées. Ce que l’arrêt n’a pas soulevé.

La plaignante déboutée s’était évanouie à l’audience. C’est le lendemain que, dans la salle des pas perdus du tribunal, elle avait invectivé des magistrats. Son enfant, Fahd, a trois ans, mais l’un des magistrats l’ayant jugée cette fois avait classé sa plainte sans suite pendant au moins deux ans. Dans un premier temps, ce magistrat, Mohamed Ouahrouch, rapporte Lakome (.com), était procureur à Témara et avait d’abord classé sans suite une première plainte. Pourtant, des expertises prouvant le lien de paternité étaient déjà présentées. Malika Slimani avait ensuite multiplié les démarches, adressant même une requête à Mohammed VI. Le parlementaire promet ensuite de lui céder des parcelles de terrain, de l’argent, mais elle insistait pour qu’il reconnaisse son enfant.

En première instance, la cour avait été clémente : le minimum pour un viol est de cinq ans de prison.

Hassan Arif mieux que DSK

Les Marocains évoquent l’affaire Dominique Strauss-Kahn et tirent des conclusions de la comparaison. Hassan Arif a pu fêter son acquittement en compagnie de proches, il reste député, il avait pris la parole devant le parlement pour s’inquiéter du prix des médicaments après son premier procès, il sera peut-être demain congratulé par des parlementaires de divers partis. Devant le tribunal, il avait même évoqué l’islam.

Hassan Arif avait été élu député fin novembre 2011. On ne sait si ses électrices et électeurs avaient su qu’il était visé par une plainte pour viol. Mohamed Labiad, secrétaire général de l’UC, son parti, a considéré qu’il s’agissait d’une affaire privée et qu’il ne fallait pas intervenir « afin de garantir l’indépendance de la justice ».

Au Maroc, dans le Moyen Atlas, une jeune femme de 21 ans peut avoir déjà été mariée trois fois, la première fois à 12 ans (sa sœur aînée, âgée de 23 ans, en est à cinq mariages, et elle a une fille de 8 ans). Les fillettes ou jeunes filles sont répudiées, puis remariées. Des fillettes accouchent par césarienne ou meurent en couches. En ville, ou en banlieue de la capitale, comme dans le cas de celle ayant élu Hassan Arif (au sud de Rabat), c’est une autre histoire pour les jeunes femmes éduquées. Mais Malika Slimani n’est certainement pas la seule à avoir été soit violée, soit séduite et abandonnée. Le harcèlement dans les rues est considéré « systématique et massif », mais il se produit aussi sur les lieux de travail.

Malika Slimani a reçu le soutien de l’Association marocaine de défense des droits humains (AMDH) qui dénonce un procès inéquitable qui « encourage toute forme de violence à l’encontre des femmes ». D’autres commentatrices ont estimé que la victime avait été violée deux fois, dont par le tribunal.

Le Maroc est aussi le cadre d’affaires d’abus dont sont victimes des employées de maison originaires des Philippines. Elles seraient déjà 3 000 dans le pays : « la majorité de ces femmes sont victimes de mauvais traitements et d’exploitation, y compris sexuelle », a estimé Porto Joselito, consul honoraire des Philippines au Maroc. Beaucoup de victimes s’étant manifestées ont évoqué des viols. Mais on ne sait pas trop quels types de suites judiciaires ont pu être donnés. Mais plus de 70 000 Marocaines mineures sont aussi placées en tant que domestiques. Un projet de loi avait été élaboré pour condamner les employeurs de mineurs de moins de 15 ans, mais il n’est toujours pas adopté.

Chiennes, louves ou agnelles ?

Parfois, des jeunes filles nées et scolarisées en France sont mariées de force avec des Marocains qui leur dénient tout droit dès qu’elles se retrouvent au Maroc. Récemment, Amale El Altrassi a publié (éds L’Archipel) son récit dans Louve musulmane. Elle avait fui le Maroc à 19 ans, après trois ans de retour forcé au pays. Sa mère avant elle avait dû cohabiter avec un mari violent qui abusait d’elle. « Je veux que l’on sache comment une chienne devint louve », conclue-t-elle la fin de son premier chapitre. Elle est issue d’une fratrie de six filles et un garçon (l’humoriste Mustapha El Atrassi, le benjamin de la famille). 

Après un tel jugement, et en dépit de l’interjection du parquet, des Marocaines, en de telles circonstances, confrontées à la justice du pays, ne doivent pas se sentir telles des chiennes ou des louves, mais des agnelles soucieuses de s’éviter l’abattoir… Était-ce aussi le but recherché par les magistrats ?

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Maroc : un viol s’aggravant d’un déni de justice ? »

  1. [b]C’est comme le « mariage » homosexuel qui viole mes convictions !
    Indépendamment de cette flèche décochée, la barbarie de ces actes est révulsante pour qui croit à la liberté de chacun de disposer de lui même comme il l’entend … dans la sphère privée.[/b]

  2. Oui, Zelectron : d’un côté, le mariage peut être protecteur, de l’autre, opprimant (je parle pour toutes les sociétés, avec ce bémol : dans des sociétés civiles, séculières, dotées d’un corpus législatif suffisant pour garantir les droits des parties, tout auxiliaire de justice devrait suffire, pas besoin de cérémonial). Et j’aurais largement préféré une loi s’appliquant non seulement aux homosexuels, mais profitable à toutes et tous, dispensant du mariage.

    Il est quand même étonnant que l’on « pousse » au mariage, y compris des couples de parents hétérosexuels (pour des questions, par ex., de pensions de réversion).

    Dans le cas des lois marocaines, ce n’est pas tant la loi qui importe souvent, mais son application. Il existe des lois liberticides (par ex., en Turquie), mais même des lois peu contestables peuvent être détournées. La preuve dans cette affaire, dès le premier jugement où les faits ne sont pas requalifiés mais la peine cinq fois inférieure au minimum prévu. Quelque part, le second jugement se conçoit mieux ; en tout cas en droit (s’il n’y avait pas d’éléments très probants, si toute relation sexuelle n’avait pas été niée par l’acquitté, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit ; en cas de doute sur le consentement, une requalification en déni de paternité, &c., était « concevable »).

  3. cet article est complètement brouillon. Il mélange maladroitement plusieurs affaires. La première concerne cette femme qui accuse le député de viol et d’être le père de l’enfant qu’elle a mis au monde. concernant le viol, rien ne permet de le prouver. C’est comme ça que fonctionne la justice, il faut prouver ce qu’on avance. Elle aurait pu juste réclamer une reconnaissance de paternité.

    seconde affaire, Amina filali, je dis basta ce mensonge qui ne fait pas rire. rien ne prouve le suicide et il n’y a jamais eu de viol mais une relation consentante entre Amina et son futur mari et là, il s’agit des faits réels clairs et précis pour ceux qui au lieu de répéter les colportages se sont penchés sur le dossier. Pour la 3 ième affaire, je ne connais pas le dossier donc je ne me prononce pas.

  4. [b]Cher Jef,
    On dirait que la planète toute entière détourne les lois, sauf rarissimes exceptions.
    En ce qui concerne la France, c’est l’inverse, tout le monde il est gentil.[/b]

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