H16 (auteur du blogue-notes Hash Table) tire sans doute des conclusions exagérées de l’insuccès du premier (et dernier ?) salon du Mariage gay à Paris. « Ce que montre ce bide est en revanche intéressant : l’étroitesse du marché, et par voie de conséquence, le nombre extrêmement réduit de personnes directement intéressées par le mariage gay, » estime-t-il. Qu’est-ce qu’un nombre extrêmement réduit ? Est-il appelé à croître ou décroître ? Mais il n’a pas tort et nous l’écrivions sur Come4News tout au long de la période des manifestations de la Manif pour tous puis du Printemps pour tous, en l’état des choses, le mariage des homosexuel·le·s reste un phénomène très marginal.

Environ cinq visiteuses ou visiteurs (dont des hétérosexuels) par exposant (une trentaine), soit 150 à peu près, selon le blogueur H16, samedi 22 juin dernier à Paris pour le salon du Mariage gay. Admettons que le chiffre, compte tenu des invitations, qui fournissent à présent l’essentiel de la fréquentation des salons, soit minoré. Il n’en reste pas moins que vraiment très, très, très peu des homosexuel·le·s vivant en couples stables envisagent à court terme de se marier. 

D’une part, les intéressé·e·s continueront sans doute, dans un premier temps, par se pacser, très majoritairement (ce qui ne représentera sans doute que 3 à 4 % des unions civiles ces prochaines années). Certes, soit pour (se) proclamer constance et attachement privilégié ou exclusif, il s’en trouvera bien chaque année plus d’une centaine à désirer se marier ; d’autres songeront à faciliter l’acquisition d’un logement, d’autres encore à la perspective d’une pension de réversion en cas de décès de l’un·e ou de l’autre. Il y aura aussi quelques cas d’adoptions, qui porteront ou non à passer devant un maire ou un adjoint, et l’attrait de faire une fête, pour des couples sans enfants (ou avec, issus d’un ou de deux premiers mariages ou cohabitations antérieures), histoire de réunir familles et ami·e·s, favorisera quelques unions de la sorte.

Quelques quotidiens régionaux, histoire de combler une page de leur édition dominicale et de vendre une cinquantaine ou centaine d’exemplaires par édition, publient une rubrique des « mariés du samedi ». J’ai effectué quelques tests, certes non significatifs, et jusqu’à présent, j’ai fait choux-blanc : passés les premiers rares mariages médiatisés de personnes de même sexe, cela ne se bouscule pas sur les parvis des mairies.

Mais il y a fort à parier qu’avec le temps, les réticences à s’afficher plus publiquement (ce qui ne veut pas dire avec ostentation) vont s’estomper. Ce qui ne préjuge pas de la stabilité, croissance ou régression du nombre des homosexuel·le·s vivant durablement en couples par rapport à l’ensemble de la population.

« Dans les grandes villes françaises, il y aura quelques mariages homosexuels de temps en temps, et c’est tout. L’impact social effectif de ce changement-ci risque d’être faible ou anecdotique, » suggère H16. Il s’en trouvera d’autres dans les plus petites, dans des villages où l’un ou l’autre des futur·e·s conjoint·e·s se domiciliera, au moins pour un temps. Mais cette estimation fort probable me semble juste.

Numériquement, le mariage pour tous est, sera, restera sans doute pour au moins un lustre, un fiasco. Symboliquement, c’est tout autre : beaucoup de gens opposés au mariage ou s’en contrefichant ont fini par se déclarer favorables (ou défavorables) à la loi. Pour les favorables, il s’agissait de dire tout simplement que l’homophobie leur répugnait, qu’elles ou ils soient hétéros, bi ou homos. Pour les homos songeant ou non au mariage, au pacs, l’adoption de la loi fut un réel soulagement, très majoritairement (une minorité redoutant qu’elle accentue l’homophobie, à court terme, en tout cas, et ses conséquences vécues au quotidien).

Le fiasco des manifestations sera encore plus patent quand les maires et les adjoints féliciteront chaudement celles et ceux qu’ils estiment être de futurs réélecteurs, même s’ils confieront à d’autres qu’ils étaient bien forcés de se conformer à la loi. L’homophobie proclamée, d’une manière ou d’une autre, restera-t-elle vraiment payante électoralement ? Ou se partagera-t-on la tâche (comme dans ces grandes villes au sujet des nuisances sonores des bars et restaurants, avec un discours pour les riverains, un autre pour les tenanciers, le ou la même tenant les deux ou déléguant le soin de soigner l’une ou l’autre de ces clientèles) ?

Tout ça pour ça ? Ou pour toute autre chose ? Pour soigner les clientèles confessionnelles (dont la musulmane) ?

La nuit dernière encore, environ 200 « veilleuses » ou « veilleurs » se sont rassemblés à proximité de l’Elysée. Pestant sans doute à présent contre la « théorie » (les guillemets s’imposent) du genre, voire la création de crèches qui mènent nécessairement, c’est sûr, au kibboutz laïques et à l’embrigadement des hommes et des femmes dans sovkozes communistes totalitaires, c’est forcément inévitable, ce ne peut être que la suite logique… L’homme (et la femme) ne vit pas que de pain, les fantasmes lui sont parfois indispensables, les religiosités aussi, de toutes sortes, contradictoires ou cohérentes.

Une minorité, sans doute aussi faible numériquement que celle des homosexuel·le·s contractant un mariage, au moins dans les prochaines années, mais sans doute tout autant en croissance, sans jamais pouvoir rallier la majorité (au moins pour ce siècle, peut-on estimer au doigt mouillé), va donc s’échiner à faire du mariage pour tous un épouvantail. De moins en moins en soi, mais en raison de la « bête immonde » qu’il est censé, à leurs yeux, porter en germe.

En fait, le mariage pour tous n’est pas vraiment une bonne affaire pour les associations militantes homosexuel·le·s, beaucoup moins (ou pas du tout) subventionnées qu’il est de bon ton, dans certains milieux, de le clamer. Il entraînera leur déclin, une mise en sommeil, si les actes d’homophobie les plus flagrants ne leur offrent pas de quoi entretenir leur flamme. On verra ce qu’il en adviendra. Mais opposants ou pro-mariage pour tous vont avoir à présent éprouver beaucoup de mal à trouver de larges échos dans l’opinion. Le billet de H16, repris par d’autres supports (dont Atlantico), a encore suscité un assez grand nombre de commentaires, mais évoquant tout autre chose, majoritairement, que le mariage pour tous. 

Un signe ? Christine Boutin n’intéresse plus que La Nouvelle République, et encore, la seule édition de l’Indre, parce qu’elle est native de Levroux, et si elle se rendait dans une commune de ce départemental natal. Croyez-vous qu’elle tente encore d’évoquer (si ce n’est en privé) le mariage pour tous ? Inutile de fournir la réponse que tout un chacun devine.

Des centaines de maires, plus ou moins spontanés ou incités à le faire par des formations, avaient monté une pétition contre le mariage pour tous. Ils sont à présent moins d’une dizaine, de villages ou petits bourgs, à soutenir une requête officielle et soulever la question de la constitutionnalité de la loi. Ils restent certes davantage que de couples homos devant se marier samedi prochain (s’il en est au moins un, ce qui n’est pas sûr). C’est dire si on s’émeut encore très fort dans la France profonde. Il n’est même plus sûr que le pape François évoquera frontalement la question au Brésil, pays ayant légalisé le mariage pour tous en mai dernier (comme à présent 14 des Etats étasuniens). Je prend le pari, et je reviendrai sur cette page, le 29 juillet, pour infirmer ou confirmer ce pronostic.

Oscar Léon, dans L’Echo des savanes, concluait un encadré de sa rubrique par « les catholiques ultras rejoignent les islamistes. Leur ennemi, ce ne sont pas nos idées, c’est notre mode de vie . » Oui, bof, pas de quoi s’égosiller à hurler contre la menace fasciste. Breivik, dans sa prison norvégienne, rêve sans doute encore d’obtenir des ralliements. Il en est réduit à céder sa part d’héritage de sa mère à une demi-sœur pour que la somme ne serve pas à indemniser ses victimes (fort peu, vu le nombre). Bof. Et si cela se trouve, quand il sortira de prison, ce sera peut-être pour convoler avec un homme. Dans ce cas, cela vaudra peut-être une photo et quelques lignes, mais ce n’est même pas sûr…